
Procès Le Scouarnec : 58 médecins demandent à l'Ordre de "quitter le banc des parties civiles"
Alors que s'ouvre ce lundi le procès de l'ancien chirurgien Joël Le Scouarnec, accusé d'avoir agressé sexuellement 299 jeunes patients, une cinquantaine de médecins appellent l'Ordre à "quitter le banc des parties civiles". Ils dénoncent "l'inaction" de l'instance, qui a permis au pédocriminel de bénéficier d'une "impunité durable" jusqu'en 2017, date de sa radiation.

Ils sont 58 à avoir signé cette lettre ouverte adressée ce vendredi 21 février au Dr François Arnault. 58, comme le nombre de membres que compte le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom), qui a récemment annoncé s'être constitué partie civile dans le procès de Joël Le Scouarnec. Accusé d'avoir agressé sexuellement 299 patients, pour la plupart mineurs au moment des faits, dans une douzaine d'hôpitaux de l'ouest de la France, Joël Le Scouarnec doit être jugé à partir de ce lundi après-midi à Vannes, devant la cour criminelle du Morbihan. Un procès "hors normes" qui devrait durer près de quatre mois.
Alors que le Cnom a motivé sa décision de se porter partie civile par la volonté de "garantir l'intégrité de la profession médicale" et a dit espérer "une condamnation exemplaire" du pédocriminel, les 58 signataires de la lettre ouverte adressée à son président – et qu'Egora a pu consulter – dénoncent des "propos indécents, contraires à la réalité et donc irrecevables". "Nous venons rappeler [aux membres du Cnom] que l'institution ordinale a laissé dans l'impunité durable Joël Le Scouarnec jusqu'en 2017", date à laquelle l'ancien chirurgien a été radié.
Forme-t-on trop de médecins ?

Fabien Bray
Oui
Je vais me faire l'avocat du diable. On en a formés trop peu, trop longtemps. On le paye tous : Les patients galèrent à se soigne... Lire plus
En juin 2006, l'Ordre du Finistère a été alerté par un collègue psychiatre de Joël Le Scouarnec de la condamnation de ce dernier à quatre mois de prison avec sursis pour détention d'images pédopornographiques. Une peine qui n'était assortie d'aucune obligation de soins ni d'interdiction d'exercer. Joël Le Scouarnec n'avait ainsi pas averti la direction de l'hôpital de Quimperlé, où il exerçait alors. Le psychiatre informera lui-même la direction, indique l'AFP, qui est revenue sur les erreurs ayant permis au pédocriminel de continuer d'exercer sans être inquiété.
Réuni en session plénière fin décembre 2006, le CDOM avait décidé de ne pas engager de sanction disciplinaire à l'encontre du Dr Le Scouarnec.
Pour les signataires de la lettre ouverte, "la crédibilité de l'Ordre des médecins est fortement mise à mal dans la présente affaire". Ils réclament que "la lumière [soit faite] sur l'impunité dans laquelle vous avez laissé Joël Le Scouarnec", écrivent-ils au Dr Arnault, dénonçant "des failles systémiques disciplinaires et une impunité ordinale fréquente pour les médecins prédateurs sexuels". Ces 58 médecins demandent surtout que l'Ordre revienne sur sa décision de figurer sur le banc des parties civiles et des personnes victimes dans le cadre de ce procès, la "jugeant illégitime et indigne".
Manifestation devant le siège de l'Ordre des médecins
"En 2006, suite à la condamnation pénale de Joël Le Scouarnec pour détention d’images pédopornographiques, le conseil départemental de l’Ordre des médecins (Cdom) du Finistère s’était dit incompétent pour le poursuivre devant sa juridiction disciplinaire. Le prétexte était qu’il ne pouvait poursuivre un médecin hospitalier que pour des 'actes détachables de sa fonction publique hospitalière'. Or, comment penser que la possession d’images pédopornographiques était liée à sa fonction de chirurgien ?!", s'insurgent également plusieurs syndicats, collectifs et associations, dont le SNJMG*, le SMG**, ou encore le collectif Stop aux violences obstétricales et gynécologiques (VOG) France, dans un communiqué.
"Par la suite, en 2008, le Cdom de Charente-Maritime, mis au courant de la condamnation pour pédopornographie de ce chirurgien amené́ à s’occuper d’enfants, n’aurait pas dû lui donner l’autorisation d’exercer sans enquête préalable. Nombre d’agressions et de viols auraient pu être empêchées...", tiennent à souligner les signataires de ce communiqué, qui ont appelé au rassemblement à 12h, ce lundi, devant la cour criminelle de Vannes et devant le Conseil national de l'Ordre des médecins, à Paris.
"Alors que l’Ordre des médecins est censé veiller au maintien des principes de moralité́ et de probité́ de la profession, on voit bien une fois encore qu’il ne remplit pas ce rôle de défense des usagers de soins face à des actes délictueux et criminels de médecins", écrivent-ils, jugeant "inadmissible" que l'Ordre "n'exprime ni regrets ni excuses publiques par rapport à cette passivité irresponsable, à ces années de silence, lourdes de conséquences pour les victimes". "Ainsi, nous ne tolérons pas qu’il ose se porter partie civile dans cette affaire, alors que sa responsabilité est engagée", dénoncent les syndicats et associations, allant jusqu'à remettre en cause l'existence même de cette "juridiction ordinale d’exception".
"Au-delà de ce procès, nous dénonçons l’inaction de l’Ordre des médecins dans de nombreuses situations de violences perpétrées par des médecins. L’Ordre des médecins n’est visiblement pas compétent pour juger de telles situations et il est même nuisible. En cas de violences de la part de médecins, le premier recours doit rester le tribunal de droit commun", estiment les signataires.
*Syndicat national des jeunes médecins généralistes
**Syndicat de la médecine générale
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