Quand les patients notent les résultats des soins prodigués par leur médecin
"Votre vue vous occasionne-t-elle des difficultés pour lire un article dans le journal ? Reconnaître les visages des personnes que vous rencontrez ? Voir les prix des articles lorsque vous faites les courses ?" Ce sont 3 des 9 questions qui ont été posées à des patients souffrant de cataracte, avant et après la chirurgie. L'objectif de ce questionnaire : évaluer le "gain de santé" de l'intervention, ressenti par le patient dans sa vie quotidienne. Une donnée forcément "subjective", que seul le patient est en mesure de livrer, et qui, couplée avec l'imagerie et l'examen clinique, permettra de véritablement apprécier le "résultat du soin", a souligné le Pr Grégory Katz, titulaire de la chaire Value in Health, à l'université Paris Cité, lors d'une conférence internationale dédiée à la transformation des systèmes de santé avec les résultats patients, organisée au Cese*, vendredi 16 juin.
"Modèle alternatif" aux avis Google
À la tête d'une société spécialisée dans la science des données, l'universitaire a fait de la diffusion de ces Proms (patient reported outcome measures) son cheval de bataille. Alors que les avis Google sont aujourd'hui "l'alpha et l'omega" de l'évaluation des médecins en France et que "1% de mécontents peuvent dézinguer un praticien", Grégory Katz et son équipe de PromTime proposent un modèle d'évaluation des pratiques "alternatif", "confié aux conseils nationaux professionnels (CNP), aux sociétés savantes, avec l'implication des patients".
Le CNP d'ophtalmologie a emboité le pas en 2020, dans le cadre d'une expérimentation article 51 visant à évaluer la qualité et la pertinence des chirurgies de la cataracte, chirurgie la plus pratiquée en France avec près d'un million d'interventions chaque année. Pour la Pre Béatrice Cochener, présidente du CNP d'ophtalmologie, il ne s'agit plus de "se focaliser sur le nombre d'actes, mais sur le bien-fondé de l'indication", c'est-à-dire d'"opérer la cataracte de manière pertinente, avec une obligation de résultats". "Il faut amener tous les professionnels à un bon niveau de pratique", insiste l'ophtalmologue brestoise. Trois équipes chirurgicales (32 praticiens) participent à l'expérimentation, dont les premiers résultats "sont encourageants" : le gain de santé moyen, évalué sur un échantillon de 1221 patients, a été amélioré de 21% en 12 mois ; et 24% des praticiens qui comparent les résultats Proms de leurs patients ont changé leur pratique dans les 6 mois. "Qui se compare, s'améliore", insiste le Pr Grégory Katz, pour qui "la transparence est un facteur de changement des pratiques rapide".
Et de citer l'exemple suédois du registre des maladies coronaires, dans lequel 69 équipes hospitalières comparent leurs Proms. "Quand ils ont commencé à se comparer, le score a augmenté de 13%, quand ils ont rendu les résultats publics, il a augmenté de 22%", relève-t-il. Cette dynamique de transparence et de nivellement par le haut a pu être observée dans d’autres registres, par exemple aux Pays-Bas pour le cancer colo-rectal avec des taux d’amélioration de +40% en 4 ans seulement.
Lutte contre les "dérives" du 100% santé
Et la démarche est économiquement vertueuse, puisqu'en investissant annuellement 69 millions d'euros dans les registres Proms, la Suède réalise dans le même temps 7 milliards d'euros d'économies. "On va pouvoir revaloriser les actes pertinents avec les économies générées sur les actes non pertinents", souligne Grégory Katz.
En matière d'audiologie, d'ailleurs, l'enjeu économique est de taille, car la mise en place du 100% santé pour les appareils auditifs a créé "un appel d'air", pointe le Pr Vincent Darrouzet, président du CNP d'ORL : entre le premier semestre 2019 et le premier semestre 2021, le nombre d'aides auditives vendues en France a augmenté de 71%, d'après un rapport Igas. En 2021, la Sécurité sociale..
a remboursé pour 408 millions d'euros d'audioprothèses, dont 159 millions d'euros dans le cadre du 100% santé. "Depuis le 100% Santé auditive, les français s’équipent massivement d’audioprothèses, mais est-ce en toute pertinence ?, s'interroge le président du CNP de la spécialité, qui, considère que la construction d'un registre Prom va renforcer la qualité de la prise en charge et "lutter contre les nombreuses dérives constatées dans la filière". Pour ce faire, les ORL et généralistes formés à l'otologie volontaires enverront des audiogrammes réalisés avant et après appareillage, ainsi que les questionnaires remplis par les patients mesurant le gain de santé. PromTime travaille également avec la Société française de chirurgie de la main pour développer quatre registres pour la chirurgie du canal carpien, du radius distal, du doigt à ressaut et de la rhizarthrose. Deux scores sont mesurés : l'un fonctionnel, l'autre relationnel. Une quarantaine de chirurgiens sont engagés dans la démarche, qui a d'ores et déjà permis de démontrer que dans 81% des cas, la durée de récupération est inférieure à 6 mois lorsque le score relationnel patient-chirurgien est élevé.
Réticence des médecins
Reste à convaincre les médecins de l'utilité "immédiate" de cette démarche, chronophage. "L'audiogramme est facturé 32 euros et en plus il faut l'intégrer dans la plateforme", reconnait le Pr Darrouzet. Certains praticiens peuvent également redouter un "flicage" de leurs pratiques, dans un contexte de tensions fortes avec les pouvoirs publics. "C'est vrai que la profession est inquiète, aujourd'hui il y a une réticence très forte au changement. C'est le rôle des CNP d'expliquer en quoi c'est valorisant pour la spécialité. Là il faut aller au combat", lance l'ORL. "On n'est pas du tout dans une logique de menace, insiste la présidente du CNP d'ophtalmologie. Si on ne détecte pas les praticiens qui ont une moins bonne pratique, ils ne pourront pas s'améliorer", plaide-t-elle, soulignant la nécessité d'assurer l'interopérabilité des logiciels et plateformes pour gagner du temps.
Alors que de nombreux pays (scandinaves, anglo-saxons, Allemagne, Pays-Bas, mais aussi Portugal, Espagne…) sont avancés dans cette démarche, la France accuse un retard. Pour Béatrice Cochener, il y a un "choc des cultures". "Depuis des décennies, la mesure de la qualité des soins se focalise sur les moyens mis en œuvre plutôt que sur les résultats des soins", pointe Grégory Katz.
Baser la rémunération sur les résultats ?
Pourtant, les usagers, eux, sont plus qu'emballés par la démarche Prom. Pour Gérard Raymond, président de France assos santé, il s'agit de "poser les jalons d'un nouveau système de santé fondé sur l'expérience patient". "Comment mesurer la qualité des soins sans demander aux patients?", interpelle-t-il. "Les remontées qualité des patients doivent conditionner l'organisation des soins, les parcours et les rémunérations… au moins en partie", affirme-t-il, tout en mesurant les réticences du corps médical en la matière. "On touche là au modèle économique", pointe-t-il. En 2021, en effet, la tarification à l’activité représentait encore plus des deux tiers (67,5 %) des financements des établissements de santé par l’Assurance maladie, et plus de 85% des dépenses pour la médecine générale.
*Conseil économique social et environnemental
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