L'attentat contre Charlie Hebdo, a plongé Patrick Pelloux dans une profonde dépression dont il se remet à peine. Ecrire le récit de son effondrement et de sa renaissance fut pour le syndicaliste urgentiste, journaliste et écrivain qui a perdu presque tous ses amis dans le drame du 7 janvier 2015, une thérapie visant à éloigner les flashs morbides. Victime et thérapeute, il espère à travers "L'instinct de vie", aider les victimes de psychotraumatisme à retrouver la force de vivre.
Dr Patrick Pelloux. En fait, ce livre s'adresse à tout le monde. A la fois aux gens qui ont été victimes de psychotraumatismes, catastrophes, accidents de la circulation, attentats, etc. Aussi à ceux qui ont des proches décédés et sont dans le deuil, et à ceux qui sont dans l'entourage de personnes ayant vécu ces événements horribles. C'est un témoignage et le développement d'une tentative de méthode pour aller mieux. En fait, cela s'adresse au plus grand nombre. Votre écriture très intimiste est celle d'un citoyen, mais aussi, d'un médecin. Le travail sur ce livre vous a-t-il appris des choses, en regard de votre pratique des urgences par exemple ? Ah oui ! Le corps médical s'était donné un dogme, consistant à dire que l'intervention des cellules médicopsychologiques dans le cadre d'un psychotraumatisme se résumait aux premières heures et puis c'est tout. Je me suis rendu compte que c'était faux. La prise en charge d'un psychotraumatisme, c'est très long ; le lien qui s'est créé entre la victime et un soignant ne peut pas être brisé. Ce qui veut dire que la prise en charge du psychotraumatisé par la cellule médico psychologique doit être beaucoup plus longue que ce qu'elle est aujourd'hui. Et cela, c'est quelque chose de nouveau. Il faut concevoir l'intervention de ces cellules avec un après, alors qu'aujourd'hui, elles sont dans l'immédiateté. Il faut les doter d'un aval qui fasse le lien. Par exemple, lorsqu'est survenu l'attentat de Nice, des psychiatres sont venus de toute la France pour prendre en charge les victimes et ensuite, ils sont rentrés dans leurs régions. Eh bien, cela a été terrible pour beaucoup d'entre elles. Elles avaient pris attache avec un psychiatre, qui est reparti ailleurs. Il me semble important de doter ces cellules médicopsychologiques de moyens pour assurer cette continuité. Vous êtes médecin et journaliste et vous avez utilisé l'écriture pour retrouver progressivement le goût de vivre. Dans l'équipe de survivant de Charlie, certains ont dessiné, écrit un album, voyagé, fait un enfant. Avez-vous parlé avec eux des moyens sur lesquels ils se sont appuyés pour parvenir à éloigner le drame de leur quotidien ? Oui, avec certains. C'est très variable, c'est ce que j'explique dans le bouquin. On est à la fois dans un phénomène collectif, avec une origine très précise de l'événement, mais avec des comportements totalement différents. Il faut le respecter. La reconstruction est "à la carte" si l'on peut dire. Depuis l'attentat contre Charlie, vous vous êtes interdit certains comportements ou situations, pour vous protéger. Ainsi, vous n'avez pas voulu vous rendre sur place au Bataclan, pour être plus efficace, mais vous étiez à la régulation cette nuit-là. Est-il encore possible pour vous de travailler aux urgences, l'un des services les plus violents de l'hôpital public ? C'est une vraie question, c'est là que naît une problématique. D'abord, il faut que je vive… Je pense qu'au même titre qu'un chirurgien orthopédique se spécialise avec le temps sur le genou, le coude ou la main, il convient d'adapter sa prise en charge et son activité professionnelle. Il faut que je fasse attention, sans pour autant être trop angoissé. Dernièrement, un fou avec un couteau a attaqué un bus à Paris. Je me suis demandé si je devais y aller. En définitive, oui et cela s'est bien passé. Et je vais participer aux exercices de simulation d'attaque terroriste qui sont prévues dans la capitale. Vous restez dans le même créneau, donc... Oui. En revanche, on a noté que vous vous étiez mis en retrait des apparitions médiatiques dont vous étiez coutumier. Depuis le drame que vous avez vécu, comment vivez-vous votre notoriété ? Est-ce un fardeau ou une aide ? C'est un fardeau. D'un côté, il y a des journalistes malhonnêtes qui font des articles pourris contre vous. J'ai d'ailleurs un procès en appel contre Le Point qui avait raconté n'importe quoi sur moi, avant les événements. Et d'un autre, il y a encore des cons extrêmement violents qui ne vous font aucun cadeau. Avec la notoriété, quel que soit le drame qui vous est arrivé, vos ennemis restent vos ennemis. Je me suis un peu retiré des médias, car je considère que la qualité du monde journalistique a baissé. Depuis que l'AMUF est née il y a 20 ans, j'ai constaté cette très grave dégradation, mais pas pour les journalistes spécialisés, qui connaissent bien leurs dossiers. Mais pour les autres, dans les journaux et les hebdos, la qualité s'est dégradé sans doute par le développement du buzz et d'internet. Le BA-BA du métier, c’est-à-dire la vérification des informations, n'est plus respecté. Il y a une course à la vitesse et je note que la presse régionale fait mieux le travail que la presse nationale. Les journalistes semblent avoir une autre conception de la vie professionnelle, ils ont peut- être aussi moins de pression. Voilà presque 20 ans que vous menez rudement un combat syndical pour la défense des urgentistes de l'hôpital public publics, qui vous a souvent confronté aux médecins libéraux et les deux parties n'ont pas ménagé les coups qu'elles se sont portées. Est-ce encore possible pour vous maintenant ? Ce combat syndical a porté ses fruits. Lorsque l'AMUF est née, il n'y avait pas de structure syndicale correcte pour les urgentistes, nous avons obtenu des moyens, des réformes, des statuts, la reconnaissance d'une discipline à part entière jusqu'à l'accord du 22 décembre 2014 sur le temps de travail. Nous n'avons pas démérité sur la cause des urgentistes et pour faire naître une véritable profession. Ce que je regrette, c'est que les jeunes ne s'intéressent pas trop à l'histoire de la médecine d'urgence. Ils pensent que les choses sont acquises. Or, on sait bien qu'en matière sociale, les choses ne sont jamais tout à fait acquises définitivement, il peut y avoir des remises en cause très rapides. Pour ma part, l'engagement est plus large. Je crois qu'il faut défendre des valeurs communes, fortes et construites. Mon engagement se tourne plus vers des actions sociales, globales et le service public. Pour moi maintenant, la défense d'un seul corporatisme syndical et d'une spécialité me semble un peu étroites. N'est-ce pas trop compliqué pour vous d'assurer la promotion de cet ouvrage ? C'est très dur. J'ai fait très peu de télé car à chaque fois, on me repasse des images des attentats où l'on me voit liquéfié, sidéré, en pleurs. Cela m'est très pénible et cela ravive une situation et des sentiments très difficiles à revivre. C'est très compliqué.
L'attentat contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, où Patrick Pelloux a perdu presque tous ses amis, où il fut le premier à entrer sur les lieux après le carnage, a plongé l'auteur de ce récit autobiographique dans une grave dépression dont il sort tout juste. Sa vie sauve, il la doit à son statut de syndicaliste à l'AMUF (Association des médecins urgentistes de France), et à un rendez-vous avec des acteurs de l'urgence qui l'a tenu loin des locaux du journal visé par les terroristes, où il tenait des rubriques régulières. Et c'est avec le regard du professionnel, qu'il analyse au fil des pages, ses souffrances de victimes et les moyens innovants employés pour tenter d'éloigner l'angoisse, l'insomnie et les flashs back récurrents. Se reconstruire et aider les victimes à y parvenir, pas à pas, c'est le but de cet ouvrage. Enfin, c'est avec la plume sensible de l'écrivain-journaliste que Patrick Pelloux évoque les amis perdus et, au bout de la nuit, les premières et fragiles manifestations d'un instinct de vie qui, doucement, revient.
*L'instinct de vie. Patrick Pelloux. Editions du Cherche Midi. 15 euros.
La sélection de la rédaction
Etes-vous favorable à l'instauration d'un service sanitaire obligatoire pour tous les jeunes médecins?
M A G
Non
Mais quelle mentalité de geôlier, que de vouloir imposer toujours plus de contraintes ! Au nom d'une "dette", largement payée, co... Lire plus