Etre payé au forfait plutôt qu'à l'acte : une expérimentation retoquée par les médecins libéraux

18/01/2024 Par Lucile Perreau

En marge des négociations conventionnelles, l’Assurance maladie et les six syndicats représentatifs de médecins libéraux ont abordé, hier le volet “Travail en équipe et conditions d’exercice”. Principal sujet débattu : l'expérimentation Peps, qui vise à passer d’une rémunération à l'acte à un paiement au forfait rémunérant collectivement une équipe de professionnels de santé.   Article initialement publié sur Concourspluripro.fr   Il faut aller vers une rémunération plus intelligente, sans doute au patient plutôt qu'à l'acte, ce qui permettra de mieux intégrer la prévention." Le 16 janvier dernier, depuis le palais de l'Élysée, Emmanuel Macron faisait allusion, à demi-mot, à un système de paiement par capitation. Le lendemain, lors d’une réunion thématique portant sur le thème du travail en équipe et des conditions d'exercice, les syndicats de médecins libéraux et l'Assurance maladie ont notamment discuté de l'expérimentation "Paiement en équipe de professionnels de santé" (Peps), un nouveau modèle de rémunération en lien direct avec la déclaration de la veille du président de la République. Déjà, en novembre dernier, Thomas Fatôme, directeur général de l'Assurance maladie, avait donné le ton lors de la reprise des négociations conventionnelles. "Beaucoup de médecins nous disent qu’ils souhaitent travailler en groupe. Nous souhaitons aussi, conformément à la lettre de cadrage, voir comment nous pourrions basculer dans le droit commun les enseignements de rémunération des expérimentations Peps et Ipep", avait-il déclaré. Selon les chiffres arrêtés au 31 décembre 2022 et présentés par la Cnam lors de cette réunion, quinze équipes - trois maisons de santé et douze centres de santé - participent actuellement à cette expérimentation nationale et ont “basculé au paiement forfaitaire en équipe”.

Au total, 57.349 patients sont concernés par Peps, une expérimentation “qui offre la possibilité à une équipe de professionnels d’être rémunérée collectivement par un forfait substitutif à l’acte”, précise le document de travail de l’Assurance maladie. Objectifs : améliorer la qualité du parcours et optimiser la prise en charge des patients, améliorer la qualité de vie au travail des soignants ainsi que l’accès aux soins dans les zones sous-denses, et gagner en pertinence en diminuant le nombre d’actes.  L’équipe Peps doit être constituée d’au-moins 5 professionnels de santé “volontaires” au sein d’une MSP ou d’un CDS, et d’une équipe pluriprofessionnelle composée d’au moins 2 médecins généralistes - “volontaires pour remplacer le paiement à l’acte par une rémunération forfaitaire” et une infirmière (Asalée, IPA y compris). Quant à la rémunération, elle est “substitutive” pour la patientèle médecin traitant. Le forfait, qui rémunère l’activité de l’équipe selon le profil et le nombre de patients médecin traitant et les caractéristiques de la structure, est versée à la Sisa ou au CDS sous forme de 4 avances trimestrielles et du versement du solde. Charge aux membres de l’équipe d’utiliser et de répartir la rémunération comme bon leur semble. Le but de ce mode de rémunération est de libérer du temps médical et de faire davantage de prévention, deux des objectifs affichés par le Président de la République. "Aujourd'hui vous [les médecins généralistes] vous n'êtes pas incités à faire du bon travail de prévention, mais à un maximum d'actes", a poursuivi Emmanuel Macron, lors de sa prise de parole, tout en insistant sur la délégation de tâches à des paramédicaux (vaccination, renouvellement d'ordonnance par les pharmaciens et les infirmières…) ce qui permettra de "prendre en charge plus de patients". L'expérimentation Peps semble donc tout adaptée pour répondre à ces deux problématiques.

  Des résultats jugés positifs… "Nous constatons des résultats positifs sur la transformation des pratiques, la qualité de vie au travail des professionnels ainsi que la qualité de la prise en charge des patients. Selon les équipes expérimentatrices, le financement forfaitaire a permis de renforcer la coordination pluriprofessionnelle, le partage de l’information entre les professionnels et la délégation de tâches permettant ainsi une libération du temps médical, indique la Cnam dans son document. Nous remarquons également que les professionnels sont incités à une pratique médicale efficiente, par l’orientation vers le professionnel de l’équipe le plus pertinent selon la situation du patient et au développement d’activités en dehors des nomenclatures existantes (prévention, éducation à la santé du patient…)." Le document précise également que les équipes des MSP participantes ont augmenté leur patientèle médecin traitant par généraliste de 21 à 23%. Pour la conforter dans son idée d'étendre le modèle Peps, l'Assurance maladie a dévoilé plusieurs retours d'expérience des professionnels de santé participants à l'expérimentation. "Peps nous permet de nous sentir valorisés et reconnus dans notre travail" et "l’augmentation des patients MT n’est pas juste un gain en terme financier. Cela permet une structuration du parcours du patient et ça le responsabilise dans son parcours", selon les médecins généralistes. "On gère les patients en équipe, il y a un croisement des regards sur un même cas" et "les parcours des patients sont plus coordonnés", d'après les infirmières… De nombreux professionnels s'accordent à dire que le modèle Peps serait donc pertinent et véritablement novateur.   …mais pas par tous Si la Cnam a mis en avant les bons résultats de l'expérimentation, le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, émet cependant de gros doutes sur la viabilité de Peps, tout du moins dans son état actuel. Contacté par Concours pluripro, il estime que la non prise en compte du rapport intermédiaire de l'Irdes de février 2023, qui exprimait un avis plutôt défavorable sur Peps, a biaisé les discussions. "Avec notre maison de santé [le Pôle santé libérale Mayenne, NDLR], nous faisions partie des treize MSP qui ont quitté Peps. Lorsque nous voyons le document présenté aujourd'hui, à aucun moment nous n'avons pu nous interroger sur le fait que l'expérimentation compte 12 centres de santé pour seulement 3 maisons de santé en partage d'honoraires." Pour le médecin généraliste, la répartition de la somme versée à la structure pose un véritable problème. "Nous savons pourquoi les MSP sont parties. Il faut que tous les médecins et toutes les infirmières s'engagent dedans, alors que les pratiques sont différentes. Dans notre cas, nous sommes 19 médecins dans notre Sisa. En plus de cela, nous étions sur les patients en ALD et les maladies neurodégénératives, ce qui pouvait représenter 85% de la rémunération des infirmières. Comment se passe la répartition ?", s'interroge-t-il. "C'était un problème majeur et l'Assurance maladie n'a pas du tout accompagné et je pense que cela était infaisable." Il déplore ainsi l'absence d'évaluation sur toutes les structures qui ont quitté l'expérimentation. "Ce sont toutes des MSP libérales, pas les centres de santé à qui cela a apporté un peu d'argent." Même constat du côté d'Agnès Giannotti, présidente de MG France."Treize MSP sur seize ont quitté l'expérimentation, cela veut dire que ce n'est quand même pas un succès foudroyant, commente-t-elle. En l'état pour nous, cela veut dire que cela est totalement inapplicable pour le libéral." Pour la généraliste, il y a deux raisons à cela : "la répartition entre les professionnels et les patientèles divergentes entre les généralistes et les infirmières." Autre point soulevé par Agnès Giannotti, Peps compte un peu moins de 60.000 patients pour quinze structures participantes, soit 4.000 patients médecin traitant pour chacune d'entre elle. "C'est tout de même assez peu. Il faudrait que nous ayons le détail pour avoir un avis, car nous ne connaissons pas le nombre de médecins prenants part à l'expérimentation." Luc Duquesnel regrette également que l’Assurance maladie n’ait pas réalisé d'études de faisabilité afin de transposer ce modèle dans le cadre d'une convention médicale. Car pour le président des Généralistes-CSMF, le fait que Peps soit proposé dans une convention médicale va engendrer d'autres problèmes. "Lorsque nous sommes dans un système de capitation, comment calcule-t-on la rémunération d'un remplaçant ou d'un docteur junior (4e année d'internat) ?" Pour Luc Duquesnel, avec la "présentation qui a été faite aujourd'hui et de ce qui pourrait être un Peps 2, il n'est pas possible d'en faire quelque chose de conventionnel."   Les effets pervers du modèle unique D'une manière plus générale, la présidente de MG France explique pourquoi elle n'est pas favorable à une capitation intégrale, et de ce fait, à Peps. "Un seul mode de financement dans un système de santé provoque des effets pervers, et ce quel qu'il soit. L'acte exclusif entraine une inflation des actes, le salariat diminue la productivité des médecins et le forfait exclusif augmente les files d'attente et diminue les durées de consultation." Elle cite pour l'exemple, nos voisins d'outre-Manche et leur système qui a été "coulé par le système de forfait". Pour autant, elle estime que chaque mode de financement possède ses propres avantages. "Cela n'a pas que des inconvénients, mais un modèle unique conduira à ces effets pervers." Elle considère également que le forfait permet un "suivi au long cours, l'incitation à la délégation des tâches, au travail partagé…". Voilà pourquoi après réflexion, MG France plaide en faveur d'un mixte, d'une diversification, entre l'acte et le forfait. "Cela permet un équilibre entre la productivité et le fait de s'adapter aux besoins de soins et de santé de la population. Or, ce n'est pas ce qui est proposé dans Peps, il s'agit d'une capitation intégrale." Pour Agnès Giannotti, le fait de proposer cette expérimentation offre un gain à l'Assurance maladie, mais pas forcément aux médecins. "Nous comprenons bien l'avantage pour le financeur, cela lui permet de délimiter la dépense et de budgétiser la population. Il peut anticiper sur les coûts, il sait, par exemple, combien va lui coûter un patient diabétique." Selon la présidente de MG France, cette budgétisation comporte un gros défaut. "Une fois que l'enveloppe est établie, elle ne peut plus être ajustée alors que cela ne suffit plus pour couvrir les besoins de soins. Tout est figé."   Peps 2 ? Forte de ces résultats, la Cnam envisage d'ouvrir une nouvelle phase expérimentale (Peps 2) de juillet 2024 à juillet 2026, afin de traiter l’ensemble des sujets restants du modèle économique. L'ambition est d'avoir, cette fois-ci, autant de maisons de santé que de centres de santé. "Les MSP matures sont des structures particulièrement adaptées à ce mode de rémunération et une forte demande est remontée du terrain pour accroître le nombre de MSP rémunérées au forfait dans une éventuelle suite de l’expérimentation", a précisé l'Assurance maladie dans le document. Une dizaine de MSP se serait par ailleurs déjà portées volontaires pour tester la V2 du modèle. "Pour combien de temps vont-elles l'être ? Anticipent-elles les effets à long terme ?, se demande Agnès Giannotti. Nous, nous les connaissons, il n'y a rien de nouveau sous le soleil. C'est nouveau pour la France, mais il faudrait tirer des enseignements de ce qui a été fait dans d'autres pays." "Contrairement à beaucoup d'autres, je ne suis pas dans l'opposition, assure Luc Duquesnel. Pour un modèle d'entreprise libérale, cela permet d'avoir une lisibilité qui n'est pas seulement dépendante du paiement à l'acte, mais aussi de salarier une IPA ou une assistante médicale." Cependant attention, "il faut être vigilant", estime le médecin. "Le fait que cela soit entièrement forfaitisé et qu'il n'y ait plus de paiement à l'acte, chose qui a été aujourd'hui proposée, est totalement inadapté. Je ne vois aucune porte de sortie à l'expérimentation Peps, telle qu'elle a été proposée aujourd’hui. Je dirai que Peps 2, dans le cadre de la convention médicale, est très probablement enterrée."  

Faut-il remplacer le paiement à l'acte par un forfait par patient?

Laurent Laloum

Laurent Laloum

Non

Ravi de cette proposition stupide, car elle encourage au déconventionnement. Or, je suis un médecin S2 tranquille mais un futur pa... Lire plus

5 commentaires
6 débatteurs en ligne6 en ligne
Photo de profil de David Azérad
54 points
Médecins (CNOM)
il y a 10 mois
On remarque que la majorité des MSP participantes ont jeté l'éponge devant l'impossibilité de décider la répartition de la somme fixe entre pros de santé. Cela me semble encore un nouveau rôle à endos
Photo de profil de B M
4,6 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 10 mois
Voilà, c'est ce que je disais. Obliger à travailler avec des sous/fausses/ ou partielles compétences. Pas le choix de la dégradation des prises en charge.
Photo de profil de Francois Molli
250 points
Débatteur Renommé
Médecine générale
il y a 10 mois
dépendre d'un financement d'un état endetté à 3000 milliards d'euros est suicidaire. n'importe quel médecin addictologue sait que si la première dose est festive, le manque arrivera rapidement et imma
 
Vignette
Vignette

La sélection de la rédaction

Enquête
Soirées d'intégration en médecine : le bizutage a-t-il vraiment disparu ?
02/10/2024
2
Concours pluripro
Maisons de santé
Objectif 4000 maisons de santé : les enjeux des prochaines négociations conventionnelles
07/11/2024
2
Podcast Histoire
"Elle aurait fait marcher un régiment" : écoutez l’histoire de Nicole Girard-Mangin, seule médecin française...
11/11/2024
0
Histoire
Un médecin dans les entrailles de Paris : l'étude inédite de Philippe Charlier dans les Catacombes
12/07/2024
1
Portrait
"On a parfois l’impression d’être moins écoutés que les étudiants en médecine" : les confidences du Doyen des...
23/10/2024
5
La Revue du Praticien
Addictologie
Effets de l’alcool sur la santé : le vrai du faux !
20/06/2024
2