Aide à mourir : " Ce n’est pas obligatoirement le rôle des soignants d’être les acteurs de cet acte-là"

16/09/2022 Par Marion Jort
Ethique
Il pourrait s’agir d’un tournant majeur dans le débat sur la fin de vie. Mardi 13 septembre, le Comité consultatif national d’éthique a jugé qu'une "aide active à mourir" pourrait s'appliquer en France. Le même jour, le Président de la République a indiqué qu’une consultation citoyenne serait lancée sur le sujet, en vue d'une possible nouvelle loi d'ici fin 2023. Attention toutefois à ne pas “céder aux émotions”, prévient le Dr Olivier Mermet, pilote du Plan national "développement des soins palliatifs et accompagnement de la fin de vie". Médecin généraliste dans l’Allier, il appelle à d’abord renforcer l’offre de soins déjà existante et mettre l’accent sur l’anticipation et la coopération. Quant à la loi, si elle devait évoluer, elle devra intégrer de nouveaux repères éthiques. Interview. 

  Egora.fr : Pour la première fois, le Comité consultatif national d’éthique a jugé qu'une "aide active à mourir" pourrait s'appliquer en France. Une position en rupture avec ses précédents avis… Cela va-t-il dans le bon sens ? Dr Olivier Mermet : Cet avis du CCNE est en effet différent de ce qui a été proposé jusqu’alors par le comité, toutefois on voit que le sujet est source de divergences car l’avis n’a pas été majoritaire [huit membres ont émis une réserve, ndlr]. La précaution même qu’a pris le CCNE de le préciser, à la fin de l’avis, montre toute la complexité de la question de la fin de vie. Je pense que c’est une bonne chose de le faire comprendre : on ne peut pas limiter ce débat à la seule question du “pour” et “contre” l’euthanasie. Et puis, parler de la fin de vie confronte un avis sociétal à celui des professionnels de santé. Ces derniers, en tant qu’acteurs des mesures qui pourraient être prises par la suite, ont des questions légitimes. C’est d’ailleurs pour cela que des sociétés savantes ont déjà annoncé qu’elles lançaient des réflexions éthiques en leur sein. En tant que pilote du développement des soins palliatifs, ce qui me va dans cet avis, c’est le fait que le CCNE rappelle l’importance de développer les soins palliatifs. C’est un préalable nécessaire à toute autre étape quelle qu’elle soit.   En quoi le renforcement des soins palliatifs est-il un préalable à une évolution de la législation ?  En pleine période de crise économique, envoyer un message aux citoyens disant qu’on peut leur proposer l’euthanasie s’ils deviennent trop dépendants, trop lourds pour la société… pourrait être perçu très négativement. A côté, le fait de dire que la société doit également s’engager sur un renforcement de l’accompagnement des personnes et des soins palliatifs en général est une précaution du CCNE tout à fait rassurante.    Le cinquième plan national pour le développement des soins palliatifs et l’accompagnement de la fin de vie court jusqu’à 2024. Sur quoi faut-il aller encore plus loin ? Le renforcement des soins palliatifs doit suivre les axes de notre plan actuel : des actions de communication auprès des professionnels mais aussi de tous les citoyens pour qu’ils s’approprient la loi sur la fin de vie en France, qui n’est pas assez connue, pas assez appliquée, pas assez anticipée. Beaucoup de situations éthiquement complexes qu’on peut rencontrer aujourd’hui naissent de la méconnaissance de la loi Claeys-Leonetti. Je pense par exemple à certaines situations d’obstination déraisonnable qui se sont parfois installées, à des pratiques qu’on pourrait qualifier de jusqu’au-boutistes et qui amènent à des situations inextricables sur le plan éthique. Il faut donc que les patients désignent leurs personnes de confiance, discutent en intrafamilial, avec leur médecin, pour écrire les directives les plus pertinentes possibles et qui correspondent aux complications éventuelles qu’ils pourraient rencontrer un jour.  Il faut aussi améliorer la connaissance des soins palliatifs par les professionnels de santé pour l’ensemble des filières de la santé et du médico-social, que les soignants connaissent l’offre de soins palliatifs de leur territoire. Notre volonté est que des liens se créent entre des structures de soins palliatifs et les autres structures, que ce soit les maisons de santé, les CPTS, les établissements médico-sociaux, qu’il y ait des liens beaucoup plus fluides pour que les équipes soient appelées de façon plus précoce afin qu’on puisse accompagner au mieux les gens.  Et puis il faut renforcer le nombre de professeurs de soins palliatifs, afin d’avoir une vraie filière hospitalo-universitaire, soutenir la recherche. L’objectif est aussi d’accentuer le renforcement des structures pour couvrir de manière optimale l’intégralité du territoire. Au début du plan, 26 départements n’étaient pas couverts, mais depuis le début de l’année, 8 unités en soins palliatifs ont déjà été financées et vont voir le jour. Enfin, il y a tout ce qui relève du soin ambulatoire : il faut renforcer les équipes mobiles hospitalières pour leur donner les moyens de sortir de l’hôpital et encourager toutes les initiatives comme les hôpitaux de jour en soins palliatifs.  

Beaucoup de mesures que vous venez de citer sont déjà prévues par la loi de 2016 ou dans le plan de développement des soins palliatifs…  Oui, c’est déjà prévu mais pas assez appliqué. Par exemple, début 2022, seuls 18% des gens avaient rédigé leurs directives anticipées… et pour ceux qui l’ont fait, elles sont souvent encore vagues et pas toujours applicables quand on en a besoin. Il faut encourager ces temps d'anticipation, de réflexion entre médecins et patients. L’obstination déraisonnable doit être réfléchie collectivement, pour éviter une médecine qui amène à des situations d’inconfort par une surmédicalisation d’une période de fin de vie.    A-t-on besoin d’une nouvelle loi sur la fin de vie selon vous ? Pour pouvoir dire si la loi actuelle est adaptée ou pas, il faudrait... déjà l’appliquer… et pour ça, il faut des moyens, du temps et une volonté politique et sociétale. Le débat est ouvert : est-ce qu’on est une société qui accompagne les personnes ou une société qui propose d’autres solutions ? C’est en ce sens que la consultation est intéressante.    Cette consultation citoyenne va s’ouvrir à partir du mois d’octobre. Qu’est-ce que cela va changer dans les débats ?  Il faut faire attention à ne pas céder aux émotions et écouter les professionnels qui sont confrontés, tous les jours, à ces situations. Il faudra bien distinguer ce qui est du domaine médical et du domaine sociétal.    Quels repères éthiques devrait-on intégrer dans une nouvelle loi, si elle était amenée à voir le jour ? Les soignants sont là pour s’occuper des personnes malades, des personnes qui vont mourir. Quant aux personnes qui veulent mourir, c’est une question différente, qui intéresse peut-être plus la société. Ce n’est pas obligatoirement le rôle des soignants d’être les acteurs de cet acte-là, car dès lors que cette possibilité existe, cela change beaucoup la relation patient-médecin. Il faut bien penser qu’une nouvelle législation pourrait être un changement important car une personne malade, dans un pays qui aurait légalisé une aide active à mourir, va être amenée à se demander si elle veut le faire ou non. Actuellement en France, ce n’est pas possible mais en légalisant une telle chose, cela va apporter de la liberté… et aussi la contrainte d’envisager l’aide active à mourir. Les patients peuvent être amenés à se questionner s’ils ne sont pas devenus un poids, pour eux même ou leur famille, pour la société.    Dans son avis, le CCNE indique qu’il y a des règles avec lesquelles il ne faut pas transiger. Lesquelles ? Dès lors qu’on autorise une aide active à mourir, on va répondre à la demande de personnes qui veulent mourir. Il faudra mettre des barrières sur la question de l'autonomie. Ce n’est pas à un tiers de prendre la décision à la place de la personne, comme ça peut se voir dans certains pays qui ont légalisé depuis plusieurs années. Il ne faut pas non plus que les patients soient amenés à prendre les décisions par défaut, par manque d’accompagnement des soins palliatifs, d’où l’importance de leur renforcement.    Faudra-t-il intégrer une clause de conscience à cette potentielle nouvelle loi, comme le préconise le CCNE ? C’est primordial. Légiférer sur la fin de vie changerait radicalement le principe de soin actuel : aujourd’hui, tuer n'est pas un soin. Beaucoup de soignants ne voudraient pas être acteurs d’une telle pratique. Ce n’est pas ce pour quoi ils ont signé lorsqu’ils se sont engagés dans leur voie, il faut donc leur ouvrir la possibilité d’utiliser une clause de conscience, à condition de réorienter les patients.   

Qu’est-ce qu’une évolution de la loi Claeys-Leonetti peut changer pour les médecins généralistes ?   Beaucoup de patients sont à leur domicile, avec des pathologies chroniques létales à moyen et long terme. Ils vont vouloir chercher des informations, se renseigner auprès de leur généraliste. J’appelle tous les médecins traitants à être acteur de cette anticipation. Je pense par ailleurs que les médecins généralistes doivent pouvoir être interrogés par les équipes hospitalières dans le cadre de la fin de vie. Ils connaissent leurs patients depuis des années, ils ont eu des confidences sur leurs volontés au fur et à mesure des consultations. Ils ont un avis tout à fait intéressant et pertinent à faire valoir dans ce cas.    Comment cette nouvelle législation pourrait-elle se traduire en ville ?  Il est tôt pour répondre à cette question car on ne sait pas si on se dirigerait vers une pratique qui sera dévolue aux médecins ou non. Dans certains pays, les soignants n’ont pas le droit de participer à ces pratiques, comme en Suisse. La démarche de l’aide active à mourir implique par ailleurs de la collégialité, il faudrait donc travailler en ce sens. Le généraliste seul ne pourrait pas initier une telle démarche. 

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