Jeudi 6 juin matin, au congrès des urgentistes, Agnès Buzyn a dévoilé cinq nouvelles mesures destinées à apaiser les services en ébullition. Parmi elles, une mission sur la refonte des urgences, des moyens pour rénover les services vétustes et faire face aux afflux exceptionnels, et une prime de coopération pour les paramédicaux. Mais le compte n'y est pas pour les grévistes, qui appellent à durcir la mobilisation. Journée cruciale pour les urgences françaises. Hier jeudi 6 juin, s’ouvrait le congrès Urgences 2019 à Palais des Congrès de Paris, organisé par la Société française de médecine d’urgence (SFMU) et ses partenaires. En parallèle, le collectif paramédical Inter-Urgences, représentant les quelque 80 services d’urgences en grève sur le territoire, défilait de Montparnasse au ministère de la Santé, avec le mot d’ordre "urgences en souffrance". Agnès Buzyn s’est rendue au congrès des urgentistes presque à l’impromptu, dans la matinée, quittant un instant le Sénat où son projet de loi de santé est en cours d’examen. Au fil d’une allocution de vingt minutes aux accents de sincérité, elle s’est employée à rassurer les urgentistes. "N’ayons pas peur des mots : votre quotidien est devenu insupportable, pour beaucoup d’entre vous", a-t-elle souligné. Pour la première fois depuis le début du mouvement, la ministre a exprimé sa volonté de répondre aux "enjeux immédiats" et aux "impatiences légitimes" par des mesures ad hoc. Une nouvelle "prime de coopération" À commencer par un geste "peut-être purement symbolique, mais [qui] n’a rien de cosmétique" : mobiliser les ARS pour faire enfin aboutir la rénovation des services vétustes. "L’image de services avec des peintures défraichies ou en lambeaux, je n’en veux plus", a défendu la ministre. Aux personnels qui disent redouter l’été, Agnès Buzyn a aussi assuré le soutien de l’État. Les ARS auront ainsi la main sur de nouveaux crédits spécifiques afin d’aider les services "qui font face à un surcroît d’activité et à des afflux exceptionnels". Aucun montant n’a été dévoilé.
Prudente quant à sa marge de manœuvre budgétaire, la locataire de l’avenue Duquesne n’est pas pour autant venue les mains vides. La prime individuelle de risque (97,69 euros brut par mois), qui vise à reconnaître l’exposition des soignants aux agressions physiques ou verbales, devrait ainsi être généralisée. Surtout, Agnès Buzyn a annoncé la création d’une nouvelle "prime de coopération" destinée aux paramédicaux qui se voient déléguer des tâches médicales, dans le cadre de protocoles de coopération nationaux. Autre point abordé : la régulation des appels d’urgence. "Comme ministre de la Santé, je crois fermement à un principe simple : celui qu’un appel médical urgent appelle une réponse médicale. Un point c’est tout", a-t-elle défendu, suscitant des applaudissements dans la salle. Six mois pour refonder les urgences Une mission nationale a enfin été dévolue à la refondation des urgences. Elle sera conduite par un binôme technique-politique : le Pr Pierre Carli, président du conseil national de l'urgence hospitalière (CNUH) et responsable du Samu de Paris, et le Dr Thomas Mesnier, urgentiste à Angoulême et député LREM, auteur d’un rapport remarqué sur les soins non programmés. Une représentation des personnels paramédicaux y sera intégrée. "Cette mission nationale, je vous demande solennellement de la mener sans tabous, sans réticences et sans fausses pudeurs", a indiqué la ministre. Plutôt qu’un "énième rapport", cette mission est plutôt à comprendre comme une feuille de route précise, a détaillé Pierre Carli, dans une conférence de presse en marge du congrès. Selon lui, elle devrait s’organiser autour de deux principes : une vision globale du parcours patient, qui intègre les questions de l’amont et de l’aval mais aussi celle de la médecine de ville, et le recentrage des urgences sur leur cœur de métier. Elle devrait donner ses conclusions avant novembre 2019. D’après le communiqué du ministère, la mission nationale aura trois objectifs : établir une typologie des structures d’urgences (activité, difficultés de recrutement, place dans l’organisation des soins locale) ; apprécier les progrès des réformes en cours, du point de vue de la qualité du service rendu et des conditions de travail pour les soignants ; et enfin identifier d’éventuelles actions complémentaires à mener (information de la population, articulation avec la ville, identifications de solutions d’aval). Des urgentistes rassérénés "Il serait difficile de ne pas être satisfait : nous demandions des actions immédiates, on nous donne des actions immédiates", a réagi pour sa part le Dr François Braun, président de Samu-Urgences de France, qui estimait encore deux jours plus tôt que les urgences "allaient dans le mur". Le syndicaliste se réjouit en particulier de la prime de coopération. "C’est tout à fait nouveau », indique-t-il, "ça va permettre de favoriser la délégation de tâche et de mieux rémunérer les collaborateurs paramédicaux". Pour le montant, il évoque un maximum de 200 euros par mois, "selon les compétences déléguées". Dans l’ensemble, les principales instances représentatives des médecins urgentistes – société savante, CNUH, Samu-Urgences de France – ne cachaient pas avoir été sensibles aux annonces de la ministre, avec qui ils entretiennent par ailleurs de bonnes relations. Le constat de fond est d’ailleurs partagé : les urgences souffrent avant tout d’un recours exagéré et des défaillances de la médecine de ville, d’où la nécessité de réponses structurelles. Mission réussie pour Agnès Buzyn ? Voire. Car le mouvement des urgences, initié en mars à Saint-Antoine avant de gagner l’ensemble du pays, n’est pas porté par les médecins mais par les infirmiers, les aides-soignants, brancardiers et assistants de régulation, rassemblés au sein du collectif Inter-Urgences. Et sur ce front-là, les nouvelles sont moins roses. Et si la ministre s’était trompée d’incendie, jouant les pompiers au congrès Urgences tandis que la colère flambait sous ses fenêtres ? Applaudie Porte Maillot, huée avenue Duquesne La manifestation, partie de Montparnasse aux alentours de 14h, a mobilisé plusieurs centaines de blouses blanches (dont seulement une dizaine de médecin) sous les fenêtres de l’avenue Duquesne. Au programme, un "die-in" (simulation de mort collective), des prises de parole, une marche funèbre et même une séance de "mises à nu", afin d’interpeller sur les conditions de travail et le malaise des urgences. Une délégation de représentants du mouvement (Inter-Urgences, CGT, FO, SUD) a été reçue, non par la ministre – retournée au Sénat – mais par son directeur adjoint de cabinet Yann Bubien.
Nous tenons à remercier tous les services d'#urgences de France présents aujourd'hui lors de notre #manifestation. L'union fait la force ! #soutienalagrevedesurgences #nosviesdabord pic.twitter.com/28xghKIRK4
— L'Inter-Urgences (@InterUrg) 6 juin 2019
Agnès Buzyn chez les médecins, mais un "simple" dircab pour recevoir les paramédicaux : le contraste a agacé... Quant aux annonces, elles n’ont pas eu l’heur de convaincre les responsables du mouvement. Ce sont des mesures "insuffisantes par rapport aux revendications des personnels dans la rue aujourd'hui", indiquait Hugo Huon, infirmier et membre du collectif Inter-Urgences, à l’AFP avant la rencontre. "Le contenu est tout à fait insatisfaisant", nous a confirmé le Dr Christophe Prudhomme, délégué CGT et membre de la délégation, à l’issue de celle-ci. Journée d’action mardi 11 juin Sur le fond, peu de mesures trouvent grâce aux yeux des manifestants. La mission Carli-Mesnier ? "Une commission c’est pour enterrer le problème, disait Clémenceau", tranche Christophe Prudhomme, rappelant au passage que celle-ci est pilotée par "un député LREM et un inénarrable professeur de médecine…" Les ARS à l’appui des services ? "Les outils du gouvernement qui aujourd’hui nous ferment des services et des lits, et appliquent les consignes budgétaires qui mettent les hôpitaux en difficulté". Les primes ? Bienvenues mais insuffisantes, au regard des 300 euros nets d’augmentation que réclame Inter-Urgences. Quant aux deux autres revendications du collectif, elles ont été à peine effleurées par le plan de la ministre. À propos de l’augmentation des effectifs : "la seule chose qu’on a eue, c’est qu’il y aurait des efforts sur la résorption de l’emploi précaire [CDD à répétition, NDLR]", indique Christophe Prudhomme. Quant à l’arrêt des fermetures de lits : "On nous a dit « ah dans quinze jours on va réunir les directeurs d’ARS pour voir si on peut limiter le nombre de lits fermés ». Mais dans quinze jours c’est nous qui serons déjà alités !" Zéro pointé, rien à sauver.
Bilan des courses : la mobilisation se poursuit de plus belle, avec une nouvelle journée d’action prévue le 11 juin et un appel au "durcissement". Des 80 services actuellement en grève, le mouvement prévoit de s’élargir à une centaine, les petits centres hospitaliers commençant à se joindre à la danse des CHU et des gros CH. À moins, sait-on jamais, que l’opération déminage du soldat Buzyn n’ait porté ses fruits auprès de la base. En ce jeudi 6 juin, le doute était encore permis.
La délégation du Collectif reçue par M. @yannbubien au Ministère déplore de ne pas y avoir rencontré Mme @agnesbuzyn et le manque de travail et de propositions élaborés en amont.
— L'Inter-Urgences (@InterUrg) 6 juin 2019
Nous appelons à un durcissement du mouvement au niveau national. #SoutienAlaGreveDesUrgences
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