Généraliste, j'ai refusé le contrôle de mes arrêts de travail : "J'arrête tout et je prends ma retraite"
"C'est la CPAM qui porte le chapeau de mon départ anticipé. Je suis installé dans une zone en pénurie de médecins et la démarche de l'Assurance maladie a été contre-productive. J'ai ouvert mon cabinet à Ousse en 1987. J'avais 27 ans. Je suis parti de zéro. J'avais fait ma thèse sur la densité médicale et j'avais déjà réfléchi à l'époque à m'installer dans une zone dépourvue de généraliste. Dans les années 1980, il y avait trop de médecins. Finalement, j'ai fait mon trou et je suis resté installé 36 ans au même endroit. C'était une autre époque. Désormais, les jeunes sont beaucoup moins attachés à un territoire. Beaucoup s'installent puis repartent au bout de deux ans. Il y a une rotation qui n'existait pas il y a quelques années. Aujourd'hui, j'ai 63 ans, je commençais certes à fatiguer un peu, mais je prévoyais de rester quelques années de plus…
"Colère"
Ce courrier de la CPAM reçu fin juin a été le coup de grâce. La caisse me menaçait d'une possible mise sous objectif (MSO), mettant en doute mes prescriptions d'arrêts maladie. Cette lettre m'a mis dans une grande colère. C'est à ce moment-là que j'ai décidé d'arrêter. J'ai envoyé un courrier disant que je fermais mon cabinet et je ne me suis pas rendu à la première convocation destinée à justifier mes prescriptions auprès du médecin conseil.
Nous étions six médecins à être convoqués. Tous ont été mis sous objectif sauf une qui était venue avec le président d'un syndicat parisien. Ils ont préféré se débarrasser des emmerdeurs. Parmi les médecins convoqués avec moi, il y avait une jeune consœur installée dans le quartier le plus pauvre de Pau, avec beaucoup de pathologies comme le diabète, l'hypertension et beaucoup de travailleurs manuels. Une autre généraliste de 34 ans, mère de trois enfants, installée dans un désert médical au nord de Pau était également convoquée. Elle était complétement effondrée, n'en dormait plus la nuit… Tout cela est vraiment dégueulasse, j'en étais malade pour elle.
Moi j'étais le vieux qui prescrivait beaucoup de séances de kiné. Ma patientèle suit mon âge, puisque j'ai 63 ans, elle vieillit avec moi. J'ai beaucoup de patients en fin de carrière avec des troubles musculo-squelettiques. Je prescrivais des arrêts pour des gens qui n'arrivaient plus à faire leur travail manuel. On parle de gens qui ont bossé toute leur vie. Résultat des courses, la CPAM s'est retrouvée avec un médecin qui a pris sa retraite, une autre écœurée qui est partie...
travailler ailleurs comme médecin du travail.
"Comme dans un gag"
Pour ma part, je me suis rendu à la CPAM lors de la seconde convocation. J'ai d'ailleurs déclenché une manif qui n'a pas plu au directeur de la Sécu... Une centaine de personnes - médecins, patients, syndicalistes - sont venues me soutenir. Un autre praticien était là pour m'accompagner lors de cette convocation. On est descendus au sous-sol dans une grande salle de réunion tout en longueur. Il y avait une douzaine de personnes installées sur une estrade. Moi, ils m'ont assis sur un tout petit siège très bas, au niveau d'un pouf. C'était comme dans un gag de Charlie Chaplin. Tout cela pour essayer de m'humilier et m'intimider.
Je n'avais plus rien à perdre. Je ne me suis pas gêné pour leur dire ce que je pensais. J'avais un sentiment de dictature. Je me demandais ce que je faisais là, à 63 ans. Si j'avais eu 40 ans lors de cette réunion, je me serais réorienté. J'étais complétement écœuré. À mon âge, je quitte la médecine générale soulagé. Et pourtant, je laisse une patientèle de 1000 personnes, sans compter les moins de 16 ans... Etant en cabinet isolé, je n'aurai pas de successeur, cela n'intéresse plus personne. Et dans le secteur, mes confrères ne prennent plus de nouveaux patients.
"Un fil à la patte"
Malgré cela, mes patients ont compris. J'ai été très touché par la quantité de cadeaux que j'ai reçus, même de la part de certains n'ayant pas de moyens. En 36 ans, j'ai soigné des malades enfants qui sont devenus parents et presque grands-parents. Une page se tourne.
Je suis à la retraite depuis le 1er janvier. Je suis parti sur la côte basque. Pour l'instant, j'ai l'impression d'être en vacances. Je suis dans un bon état mental. Là je souffle un peu. Je n'ai pas arrêté les trois derniers mois. Mais je pars avec de grosses pénalités. Il me manque plein de trimestres. Je n'aurai que 2 000 euros de retraite. Je vais sûrement reprendre un exercice un jour par semaine, dans un cabinet du nord Béarn.
Je suis enfin libre. Je vais m'occuper de mon âne, de mon cheval et de mes moutons. Ce boulot, c'est quand même un fil à la patte.
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