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"Le Gouvernement préfère supprimer des tâches médicales plutôt que les certificats inutiles et absurdes"

"Le 6 avril, Gabriel Attal a annoncé 'mettre toute son énergie pour chercher chaque créneau de médecin, un à un'. S’il s’agit ici de 'toute son énergie', nous pouvons légitimement être inquiet quant aux capacités de notre Premier Ministre — ou admiratif de sa capacité à prôner la basse consommation", s'interroge le Dr Michaël Rochoy, généraliste à Outreau, dans une tribune publiée sur Egora.

 

16/04/2024 Par Dr Michaël Rochoy
Politique de santé
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"Dans son plan, Gabriel Attal annonce « reconquérir 15 à 20 millions de rendez-vous chez les généralistes dès cet été ». 

Le calcul n’est pas détaillé, mais semble reposer essentiellement sur la suppression de « 9 millions » de consultations pour angines. 

Ce chiffre même de 9 millions traîne depuis quelques années, de la Haute Autorité de Santé à l’Assurance Maladie, sans être remis en question : il vient en réalité du nombre d’angines traitées par antibiotiques sans test en 1997 … Feu l’observatoire de médecine générale de la SFMG  indiquait que 4,7 % des patients avaient consulté pour angine en 2009. En extrapolant aux 51,6 millions de « consommants » des soins à l’époque, on serait donc plutôt à 2,4 millions d’angines…

Une autre façon d’estimer est de comptabiliser le nombre de tests rapides d’orientation diagnostique utilisés par les médecins généralistes. En février 2024, le directeur général de la CNAM (Thomas Fatôme) déclarait qu’1,5 million de tests étaient commandés chaque année — et plutôt que remettre en question le « 9 millions » issu de 1997, il préférait en déduire une sous-estimation d’un facteur 6 des tests par les médecins… 

Nous sommes donc passés de 9 à 2-3 millions d’angine. Par ailleurs, l’arrêté du 7 novembre 2023  limite toujours le recours aux tests par les pharmaciens aux enfants de 10 ans et plus (ou 3 ans et plus… après consultation du médecin). Ainsi, nous partîmes de 9 millions de consultations, et par une franche correction, nous nous retrouvâmes à quelques centaines de milliers… 

Et comme si ça n’était pas suffisant pour réduire l’impact de cette mesure, rappelons enfin que même une consultation qui n’aurait que l’angine pour motif est l’occasion d’autres demandes associées auxquelles le pharmacien ne pourra répondre — un certificat d’absence pour enfant malade, ou un arrêt de travail court ! Cela fait des années que des médecins généralistes militent pour remplacer ces certificats par des auto-déclarations des salariés ou parents… en vain ! Mais ce n’est pas grave : des services de télémédecine pourront s’emparer de cette faille et fournir pour 25€ ces papiers manquants (en ajoutant 12€ si un infirmier aide dans la télécabine, financée par le Département). Plutôt que supprimer des tâches administratives inutiles et absurdes, le Premier Ministre préfère supprimer en priorité des tâches médicales !

Avec la même rigueur mathématique, Gabriel Attal estime que 10 000 assistants médicaux vont libérer 2,5 millions de consultations chez les médecins. Cela représente 250 consultations par an par assistant, soit environ 1 consultation par jour. Mais comment un assistant peut faire gagner 1 consultation toutes les 20 consultations ? Est-ce que le médecin passe les créneaux de 15 à 14 minutes sur son agenda, ouvrant à 9h, 9h14, 9h28, etc. ? Est-ce que le médecin travaille finalement 15 minutes de plus en fin de journée ? Est-ce que l’assistant a pu régler une tâche administrative inutile et absurde, qui aurait pu être supprimé par une action politique ? 

Finalement est-ce que payer 1 personne à temps plein pour « libérer » 20,8 consultations par mois (à 26,50€) est un investissement que l’Assurance Maladie doit faire avec l’argent des assurés-contribuables ?

Là encore, non seulement ces chiffres sont déjà ridicules, mais en plus ils sont gonflés puisqu’ils viennent d’une expérimentation de l’Assurance Maladie incluant des médecins sélectionnés… sur leur engagement préalable à augmenter leur activité ! 

Comme annoncé à la signature du contrat, ils ont donc montré qu’ils avaient augmenté leur activité, et l’Assurance Maladie conclut fièrement que c’est grâce à l’assistant, juste pour aller dans le sens du storytelling prévu — le développement des assistants médicaux étant réclamé par Emmanuel Macron.

Les assistants médicaux ont probablement des vertus sur la qualité des soins (actes techniques, remise d’auto- et hétéro-questionnaire) et pour pallier aux difficultés sociales (aide à la prise de rendez-vous, aide sociale, etc.), mais prétendre qu’ils permettent de libérer des créneaux montre a minima une méconnaissance du métier de médecin généraliste.

Gabriel Attal appelle également à la « responsabilité » des médecins quant aux gardes, et menace de les rendre obligatoire. En pratique, l’Ordre des Médecins a estimé en 2022 que 96 % de territoires étaient effectivement couverts par une prise en charge ambulatoire les week-ends et 95 % en soirées de semaine. Fin mars 2024, Evan D. Gumas et al. ont publié un article sur 10 pays qui montre que les médecins généralistes sont déjà ceux proposant le plus fréquemment des consultations après 18 heures (91 % contre 16 % aux Pays-Bas, 70 % en Allemagne ou 79 % au Royaume-Uni). Ces informations en main, faut-il continuer de menacer toute une profession déjà sous tension et en difficulté de recrutant, juste parce qu’il n’est pas possible dans 5 % du territoire de consulter un médecin à 23h un samedi soir pour un motif ne relevant pas d’une urgence médicale ? 

Le Premier Ministre appelle aussi à la « responsabilité » des patients, avec la « taxe lapin » — grâce à laquelle des médecins pourront punir les absents, parfois précaires, en leur réclamant 5€ bruts (soit 2-3€ net avant impôt). Cette taxe a déjà entraîné une levée de boucliers, en questionnant la pertinence d’une empreinte bancaire obligatoire et le risque de filtrer des patients solvables avant prise en charge, la lourdeur administrative, le risque d’augmenter les absences inexcusées (car payées), l’intérêt pour l’accès aux soins… Beaucoup de discussions pour 3€ et quelque chose de pourri dans la forêt de Sherwood.

Le Premier Ministre appelle enfin à la « responsabilité » des autres spécialistes médicaux et des kinésithérapeutes, qui pourront être librement consultés par les patients sans passer préalablement par le médecin généraliste. Là aussi, la mesure questionne pour d’évidentes raisons : toute lésion dermatologique ne nécessite pas un avis chez un dermatologue (loin de là !), tout essoufflement ne nécessite pas un double avis cardiologue-pneumologue… En fait la mesure apparaît absurde à tout médecin généraliste, puisque nous sommes confrontés quotidiennement à des demandes de courriers qui se terminent par un diagnostic et un traitement (c’est logique, le patient ne peut pas avoir une parfaite vision du champ de connaissances/compétences et des limites de son médecin traitant !). La mesure n’est probablement pas réclamée non plus par les spécialistes ayant des délais de rendez-vous de plus en plus longs ; finalement, est-ce qu’elle ne serait pas juste utile pour aider le développement de start-up de médecine préventive pour riches ayant envie de bilans inutiles, telle que Zoï d’Ismaël Emelien, proche et conseiller d’Emmanuel Macron ?

Il est tout de même dommage de faire des pieds et des mains toute sa vie pour devenir « responsable politique », et passer tout son mandat à se défausser de toute responsabilité. Les politiques au pouvoir peuvent agir. Mais ils ne le font pas. Pire, comme nous le verrons ci-dessous : lorsqu’ils en ont l’occasion, nos dirigeants agissent en connaissance de cause contre l’accès aux soins, tout en déclarant dans toute la presse « y mettre toute leur énergie ».

Prônons donc ici une énième fois une série de quelques propositions concrètes, qui ne dépendant QUE de responsabilité politique, si tant est qu’on remette un jour la main dessus.

1/ Faire de la prévention passive des infections respiratoires en déployant un plan « qualité de l’air », en priorité dans toutes les écoles, puisque les enfants sont des moteurs de toutes ces épidémies en favorisant la transmission entre les familles. 

C’était un engagement du candidat Emmanuel Macron le 16 avril 2022 à Marseille… 2 ans plus tard, il serait temps d’y revenir. 

Il est illusoire de prétendre « mettre de l’énergie » dans l’accès aux soins, diminuer les consultations médicales, lutter contre les arrêts de travail… sans rien faire contre les infections respiratoires aiguës, a fortiori en ayant désormais accepté sans mesure pérenne un nouveau virus qui contamine quasi toute la population 1 à 2 fois par an. En 2022, le réseau Sentinelles a estimé qu’il y avait eu 6 271 329 cas d’infection respiratoire aiguë vus en médecine générale. Envisager une vraie politique d’utilisation de masques, a minima dans les lieux de soins, serait également un vœu pieux…

Améliorer la qualité de l’air a d’autres vertus : elle diminue les allergènes, diminue les absences, favorise la concentration et donc l’apprentissage. Un ancien ministre de l’Éducation Nationale pourrait y être sensible si la santé publique l’intéressait au moins autant que sa direction de carrière. 

2/ Supprimer les arrêts de travail de moins de 3 jours, comme en Belgique, en Allemagne, en Suède, au Royaume-Uni, au Portugal, etc. 

Cette mesure était dans le rapport Franzoni de janvier 2023 remis au ministre François Braun. Les opposants y étaient (et sont toujours) le MEDEF et la CPME qui considèrent que les médecins généralistes assurent le bon fonctionnement des entreprises contre les employés et ouvriers qui seraient des fraudeurs par défaut. Cet avis indigne a été suivi par les députés macronistes le 7 juin 2023, votant contre un projet de loi visant à remplacer ces arrêts courts par une auto-déclaration. « Lorsqu’ils en ont l’occasion, nos dirigeants agissent en connaissance de cause contre l’accès aux soins, tout en déclarant dans toute la presse y mettre toute leur énergie » : voilà une première preuve évidente ici, juste avant la deuxième, encore plus récente. 

3/ Supprimer les certificats d’absence pour enfant malade, en remplaçant par une auto-déclaration du parent. 

Techniquement, il s’agit de supprimer les 4 mots « constatés par certificat médical » dans l’article L1225-61 du Code du travail — moins de caviardage que celui prévu par Bruno Le Maire et Eric Dupond-Moretti quant au code du commerce.

Le Sénat avait adopté un amendement dans le projet de loi Valletoux en septembre 2023 pour le supprimer ; finalement, cet amendement n’a pas été conservé par la commission mixte paritaire. 

Suite à un mail que j’avais envoyé à quelque 200 députés, la députée Christine Arrighi a transmis le 21 novembre 2023 une question au gouvernement sur cette suppression [https://questions.assemblee-nationale.fr/q16/16-13193QE.htm]. Le Ministre du travail Olivier Dussopt a estimé, comme le MEDEF et la CPME avant lui, que cela « menacerait le bon fonctionnement des entreprises ». 

Quelques jours plus tard, le 16 janvier 2024, le Président Emmanuel Macron déclarait pourtant qu’on « doit libérer du temps médical en enlevant du temps administratif, du temps médical mal utilisé pour nos médecins et débureaucratiser notre santé » . Cette dualité entre refus masqué et discours affiché n’a que trop duré : nous ne sommes pas dupes. 

4/ Réduire les autres tâches de « contrôleur / assureur » du médecin généraliste : renouvellement trimestriel de soins de nursing pour que les associations puissent se faire payer, renouvellement annuel de soins infirmiers, de lit médicalisé ou fauteuil roulant, demandes illégales répétées des assureurs, etc.

Dans l’étude sus-citée de Gumas et al., les médecins généralistes français sont ceux qui ont le plus de difficultés à gérer les problèmes sociaux : 85 % ont des difficultés à coordonner des problèmes sociaux majeurs (difficultés administratives, trop de paperasse, adressages difficiles, etc.) Il est temps d’y mettre fin. De nombreuses situations ont été listées par le Collège de Médecine Générale, notamment sur le site certificats-absurdes.fr (lancé il y a 1 an en mars 2023 !). La lutte contre certaines demandes absurdes voire illégales a l’objet d’un travail collaboratif avec 10 conseils départementaux de l’Ordre des Médecins, relayé dans Egora.

5/ Faire de l’éducation à la santé, par des campagnes de prévention (alcool, tabac, activité physique, etc.), sur les délais d’accès aux soins, sur les possibilités de renouveler des ordonnances pour 3, 6 ou 12 mois, sur le rôle du médecin généraliste en premier recours, sur l’automédication, sur l’histoire naturelle de certaines maladies bénignes fréquentes... D’autres mesures peuvent être proposées telles que l’amélioration de l’accès aux psychologues, et le développement de l’offre de thérapie cognitivo- comportementale par exemple, notamment dans les troubles du sommeil qui occupent une partie non négligeable de notre activité de médecine générale avec un succès très relatif.

Ces idées ne sont pas nouvelles et sont régulièrement répétées. Outre le Collège de Médecine Générale, ReAGJIR avait notamment publié un rapport sur la simplification administrative en septembre 2023. Bien avant, un certain Emmanuel Macron disait le 18 septembre 2018 que « la priorité absolue, c’est de regagner du temps médical et soignant »… Le 20 janvier 2011, c’est Nicolas Sarkozy  qui déclarait qu’il « faut leur rendre du temps médical. Maintenant les médecins passent plus de temps à remplir des paperasseries qu’à se consacrer à leurs patients. Laissons-les tranquille, faisons leur confiance… » Et nous pouvons même remonter jusqu’à un article de 1977 dans le Monde  qui critiquait déjà l’absurdité de certains certificats médicaux…

Il paraît qu’Emmanuel Macron veut « laisser une trace dans l’Histoire » — on préférerait qu’il laisse davantage d’acquis sociaux. Avec certains de ses paris sur le Covid-19, il est vraisemblablement celui qui est associé à la plus grande mortalité de ces 70 dernières années… 

Aujourd’hui, il a la possibilité sur les 3 années restantes de laisser une trace positive dans la santé, en supprimant des consultations inutiles dans cette décennie où nous en avons le plus besoin, en améliorant la qualité de l’air dans les écoles pour prévenir les infections, consultations, absences et complications qui vont avec.

Peut-être que le temps est venu d’arrêter d’écouter des conseillers McKinsey et de tendre enfin une oreille aux demandes des professionnels de santé concernés. Si nous réclamons de supprimer des actes faciles (voire lucratifs), ce n’est pas pour l’argent ou la gloire : c’est pour la quête de sens de notre beau métier, redonner envie de s’installer (en groupe ou en solo, et améliorer l’accès aux soins avant tout.

Au final, ceux qui souffriront de l’inaction coupable du gouvernement ne seront jamais les médecins libéraux qui possèdent des compétences rares, utiles et recherchées : ce seront les patients les moins aisés qui continueront à en pâtir les premiers…"

 
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