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"Nous avons besoin d’augmenter le nombre d’étudiants en médecine à former mais on ne sait pas de combien"

Ce jeudi 17 octobre, l’Académie nationale de médecine et la Conférence des doyens de médecine organisaient un colloque sur "les médecins de demain". Avec des politiques calquées sur celles du passé, la nécessité de réfléchir à un nouveau système de santé (ou de soin) a largement été partagée. Encore faut-il avoir des données sur lesquelles s’appuyer.

18/10/2024 Par Pauline Bluteau
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Dans son discours d’introduction, le président de la conférence des doyens de médecine ne passe pas par quatre chemins : "Le médecin de demain ne sera pas celui d’aujourd’hui ni celui d’hier, et c’est peut-être ce qu’imagine parfois nos politiques". Le tacle passé, au fur et à mesure de la journée, on comprend que l’annonce, en avril dernier, de Gabriel Attal alors Premier ministre, de former 16.000 étudiants en médecine d’ici 2027 reste encore au travers de la gorge de certains.

Former plus ou plutôt former mieux, de manière plus adaptée aux besoins de la société, aux attentes des patients et aux ambitions des soignants, c’est tout l’enjeu qui attend les générations de médecins en devenir.

"Nous sommes déjà à saturation dans les facultés de médecine"

"Depuis sept ans, les ministres de la Santé ont le même constat : notre système arrive à un tournant et son espérance de vie telle qu’on la connaît est très faible, présente le Pr Franck Chauvin, ancien président du Haut Conseil de santé publique. Nous ne sommes plus dans une crise structurelle mais systémique où tous les compartiments de la santé sont en crise, que ce soit le soin, la santé publique et le médico-social. C’est tout notre système qui est problématique."

Si les réformes se sont pourtant succédé ces dernières années, avec en point d’orgue le Ségur de la Santé, le constat reste le même et pire encore, le système continuerait de se dégrader. La faute à un modèle calqué sur le passé, un manque de vision sur l’avenir, et sans doute quelques oublis. "La dimension de la relation au travail est négligé, appuie Henri Bergeron, directeur de recherches au CNRS. Le futur sombre (géopolitique, sanitaire, environnemental...) fragilise les relations et les échanges. De moins en moins de personnes s’investissent." Ajoutez à cela un accroissement des charges de travail, une volonté d’axer sur la productivité des soins et une injonction à la coordination, "tout cela est néfaste à la coopération or, elle est au cœur d’énormément d’activité de soins".

De son côté, le Pr Patrice Diot, doyen honoraire de la faculté de médecine de Tours et ancien président de la Conférence de doyens de médecine, pointe l’instauration d’un numerus clausus en 1972 pour réguler le nombre d’étudiants, beaucoup trop nombreux, et qui ne semble pas avoir porté ses fruits. "Cette politique de quotas qui s’est appliquée pendant 50 ans (…) est un échec et elle n’a pas permis de gérer la pléthore médicale des années 60 ni la pénurie actuelle."

"Faire de la prospective" grâce à l’INDPS

Parce qu’aujourd’hui, plus question de numerus clausus mais de numerus apertus. Ouvrir les capacités d’accueil pour résoudre le manque de médecins sur le territoire. Un projet qui n’aurait pas non plus de beaux jours devant lui. "Il faut des évaluations, une politique orientée vers la santé de la population, disposer de données fiables et actualisées et maximiser les capacités de formations car nous sommes déjà à saturation dans les facultés de médecine", plaide Patrice Diot.

Un avis partagé par son confrère, le Pr Benoit Veber, actuel "doyens des doyens", qui reprend l’idée de transformer l’Observatoire nationale de la démographie des professionnels de santé (ONDPS) en un institut (INDPS). "L’institut serait un moyen de mener des études démographiques, d’avoir des données. Cela permettrait d’éviter d’avoir des chiffres qui tombent du ciel et que brusquement, on passe de 8.000 à 16.000 étudiants à former sans que cela repose sur des données scientifiques. Aujourd’hui, nous n’avons aucun chiffre documenté, c’est absolument nécessaire mais de façon très étonnante, nous ne les avons pas. Nous avons besoin d’augmenter le nombre d’étudiants à former mais on ne sait pas de combien. Il faut nous donner les moyens d’une prospective démographique."

S’interroger sur le devenir du métier de médecin

Si la question du chiffre reste en suspens, c’est aussi parce qu’elle est liée aux attentes et aux besoins futurs. Impossible de savoir combien d’étudiants devront être formés sans savoir ce qu’il va advenir du métier de médecin. Le Pr Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et membre correspondant de l’Académie nationale de médecine, met d’ailleurs en garde les doyens de médecine : "Le système de soins n’est pas fait pour les soignants mais pour les patients. Ce qui compte c’est d’écouter leur demande et leur demande, c’est plus d’humanité et d’écoute donc les universités doivent former à ces nouvelles pratiques."

D’après l’immunologue, augmenter le nombre de médecins n’est "pas forcément" nécessaire "puisque de plus en plus d’actions peuvent être portées par d’autres professionnels de santé. Il y a aussi une prise en charge des patients plus âgés et donc des spécialités qui seront moins pertinentes comme la gynécologie".

Une question aussi posée par le Dr Raphaël Dachicourt, président du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (Reagjir) qui voit la pratique de la médecine générale évoluer : "Est-ce qu’on souhaite qu’un médecin continue à être un soignant ou est-ce qu’il doit être un soignant de second recours avec l’émergence de pratiques avancées et d’autres compétences des autres professionnels de santé qui sont légitimes mais qui posent question? Il est temps qu’on passe aux solutions avec une loi de programmation, c’est essentiel pour créer l’avenir de santé".

S’appuyer sur le territoire pour mener de nouvelles politiques

Se former au numérique, à la coordination des soins tout en donnant du sens à son métier, en s’adaptant aux enjeux sociétaux et aux attentes de la nouvelles génération en termes de santé mentale ou d’équilibre vie professionnelle et personnelle, autant d’éléments à prendre en compte à l’avenir.

Sans oublier la territorialisation. Selon Patrice Diot, "87 % du territoire français est un désert médical. C’est socialement et politiquement inacceptable, il faut trouver des solutions". Tous les acteurs s’accordent à dire que l’avenir médical ne pourra pas se faire sans les régions, les plus à même d’offrir la meilleure répartition médicale. L’université de Montréal en est le parfait exemple : avec toujours plus d’étudiants en médecine (+42 % à l’université de Montréal depuis 2019), l’université a dû s’adapter. "Nous avons réfléchi à des campus délocalisés et désormais, 16 % des étudiants de Québec sont formés dans ces campus régionaux", atteste Patrick Cossette, doyen de la faculté de médecine de Montréal. Une stratégie qui fonctionne, puisque la majorité des étudiants se sont installés dans la région dans laquelle ils ont étudiés.

"Nous pourrions peut-être réfléchir à ne pas faciliter les installations dans les zones sur-dotées, il y a peut-être des outils à utiliser pour que les médecins puissent s’installer en priorité dans les territoires sous-dotés", avance Benoit Veber, même si encore une fois, la question des données semble le meilleur remède. 

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