Egora.fr : Les étudiants sont de retour à l’université après plusieurs mois de fermeture à cause de la crise liée au Covid-19. Comment se passe la rentrée ?
Pr Patrice Diot : C’est une rentrée dans une ambiance extrêmement concentrée, attentive et vigilante. C’est vrai qu’il y a une ambiance particulière. Ce virus circule toujours et donc on sent partout, pour cette raison et parce qu’on est en train de mettre en place des réformes, une très grosse pression.
Des mesures de dématérialisation des cours ont-elles été prises à cause de la crise sanitaire ? Comment s’organisent les cours, notamment concernant les amphis ?
Le ministère de l’Enseignement supérieur a demandé à ce que quatre niveaux d’organisation soient anticipés dans les universités. Dans les facultés de médecine, on y était déjà préparés. Le masque est obligatoire dans l’enceinte de l’université, aussi bien à l'extérieur qu’à l’intérieur. Globalement, les enseignements se font beaucoup en présentiel, comme d’habitude, mais il y a un certain nombre d’enseignements qui sont réalisés en distanciel. A la fois à cause des circonstances, mais aussi parce que les réformes qu’on met en place nous avaient de toute façon amenés à anticiper une évolution de la pédagogie et essayer de dématérialiser certains enseignements pour reconcevoir la rencontre enseignant-enseigné autour de l’acquisition des compétences.
La réforme du premier cycle prend effet en ce mois de septembre, elle a été mise en place en pleine crise sanitaire avec un fonctionnement de Parcoursup perturbé. Comment cela a-t-il été géré par les facultés de médecine ?
Le principal facteur qui a impacté l’été et la rentrée c’est effectivement Parcoursup et surtout, le fait qu’on ait 30.000 bacheliers en plus cette année qui candidatent aux études de santé. Parmi eux, un nombre très conséquent de Bac S mention très bien. Cette crise Covid a probablement conduit des jeunes à s’orienter beaucoup plus que d'habitude vers les études de santé... On a eu un tel afflux de demandes d’inscription entre les Pass* et les L.AS*, que les universités ont été conduites à revoir leur capacité d'accueil. Et c’est compliqué, car le Covid est là et il ne faut pas non plus le négliger. Quelque part, la difficulté de cette rentrée, ce...
sont les conséquences du Covid sur un afflux exceptionnel d’étudiants. Tout cela se conjugue avec la mise en place des réformes.
Dans quelle mesure les capacités d’accueil ont été revues dans les facultés ?
Par exemple à Tours, quand j’ai vu que restaient bloqués sur Parcoursup des étudiants qui avaient un baccalauréat avec mention assez-bien mais tout près de la mention bien, et qu’ils ne pouvaient pas, alors qu’ils exprimaient des motivations fortes, tenter leur chance, on a convenu avec le rectorat d’augmenter notre capacité d'accueil. Nous avons ouvert 200 places supplémentaires en Pass et 30 places dans les L.AS. La difficulté, c’est que les L.AS dépendent d’autres composantes et nos collègues nous ont indiqué qu’ils étaient, eux aussi, confrontés à une situation de saturation de l’offre. Pour vous donner un chiffre marquant, d’habitude avec la Paces, on avait 1.500 étudiants. Cela correspondait environ à 1.000 primants et 500 redoublants. Cette année, entre le Pass et les L.AS on est à peu près à 2.200 étudiants. C'est une augmentation considérable, rien que dans notre université de Tours, qui est une université de taille moyenne.
Malgré la suppression du numerus clausus dans la réforme du premier cycle, il y aura tout de même une sélection à la fin de l’année pour intégrer la filière médecine. Compte tenu de cet important effectif, ne redoutez-vous pas un écrémage finalement plus sévère que lors du concours de la Paces ?
D’une part, je pense que cette réforme est intéressante parce qu’on sait bien que les redoublements n’étaient pas une bonne solution. Permettre à un étudiant d’avoir une deuxième chance, en lui offrant la possibilité de rejoindre les études de santé plus tard, c’est une bonne chose. Je ne peux pour l’instant pas le démonter, j’espère ne pas avoir tort. Mais, je crains que les néo-bacheliers, qui n’ont jamais passé d’examen puisqu’ils n’ont pas passé le baccalauréat à cause du Covid et qui ont été confinés pendant trois mois, psychologiquement, ne soient pas tout à fait préparés comme d’habitude.
Et puis, d’autre part, on a beaucoup parlé de la disparition du numerus clausus. Je pense que ça a été une erreur. Même s’il n’y a pas de numerus clausus à l’unité près désormais, je pense que les études vont rester extrêmement sélective et probablement pas moins sélectives qu’elles ne l’étaient avec le numerus clausus. C’est un sujet de préoccupation pour nous.
Effectivement, car les 2.000 élèves de Tours par exemple, ne pourront pas tous intégrer médecine, maïeutique, pharmacie, odontologie et kiné...
Bien sûr. On n’est pas loin dans les facs de médecine française, d’être au maximum de nos capacités de formation. Et puis, l’enjeu pour répondre aux besoins de santé dans les territoires, n’est pas tant au nombre. C’est vrai qu’il y a besoin de former un peu plus de médecins. Mais le sujet, c’est essentiellement leur répartition. On oublie que quand on se compare aux pays comparables, en particulier en Europe, on n'a pas un déficit quantitatif considérable. Par contre, on a cette fameuse diagonale du vide dans laquelle il y a tout de même des patients à soigner. Et, il n’y a pas de...
médecins. Le problème est donc là. Cela me préoccupe, car tout cela n’est pas bien compris. Le fonctionnement de l’entrée aux études de santé a été entièrement refondu entre Pass et L.AS, pouvez-vous rappeler leur fonctionnement ?
Il n’y a pas de modèle unique. Globalement, l’enseignement du Pass se fait dans des facultés de médecine, sur un modèle dont le contenu pédagogique a été un peu allégé par rapport à la Paces et les étudiants doivent suivre une licence mineure qu’ils choisissent en fonction des universités. C’est intéressant, car on va bien diversifier le profil des étudiants en médecine. A l’inverse, pour les L.AS, les étudiants prennent une licence majeure comme le droit. Et puis, ils doivent suivre une mineure santé qui évidemment ne correspond pas à ce que les étudiants de Pass suivent. Ils auront la possibilité d’intégrer les filières “MMOPK” à la fin de l’année. Donc on va avoir à la fin, des étudiants qui entrent en deuxième année qui n’auront pas eu exactement les mêmes enseignements. Il va enfin y avoir un enjeu de mise à niveau et d’harmonisation des compétences et des connaissances des étudiants. C’est aussi un élément auquel nous serons attentifs.
Comment se passera justement cette remise à niveau entre les Pass et les L.AS ?
Dans les facultés de médecine, les tutorats se sont organisés pour apporter ce qu’ils appellent le “TAS”, le “Tutorat des années supérieures”. On va beaucoup s’appuyer sur ces initiatives étudiantes. On verra s’il faut faire des cours en plus.
N’y a-t-il alors pas de risque d’inégalité selon les facultés ?
Les tutorats se classent et se comparent souvent les uns aux autres. On peut penser effectivement que certains tutorats seront mieux armés que d’autres. Au sein d’une même faculté, tous les étudiants bénéficieront en tout cas du même service. Nous serons vigilants à tout.
En l’absence de concours, comment les étudiants de Pass et de L.AS seront-ils évalués et départagés pour rejoindre les filières MMOPK* ?
Il y aura des oraux, c’est nouveau. Ils permettront de tenir compte de la motivation des étudiants, de leur parcours, des compétences acquises. Concernant le profil du jury, on est en train d’y travailler. Il est souhaitable que soient présents des représentants de toutes les filières MMOPK.
Quid des Paces doublants de cette année ? Auront-ils un numerus clausus et comment sera-t-il calculé ?
Ils sont dans l’amphi de Pass, redoublent leur Paces en suivant le programme de la Pass qui est en gros le même en un peu allégé. Ce qui est très particulier, c’est qu’ils vont avoir un numerus clausus spécifique, qui sera fondé sur ce qu'étaient les chances de succès des redoublants au cours des trois ou quatre dernières années dans les facultés de façon à maintenir l’équité. Tout le monde est très soucieux que ces étudiants ne soient pas les sacrifiés de la réforme.
En parallèle de la réforme du premier cycle, la réforme du deuxième cycle devait également être mise en place pour cette rentrée 2020. Elle a été décalée à votre demande, pourquoi ?
On a obtenu il y a quelques mois que la mise en place de la réforme soit décalée à la rentrée 2021. Nous avons pensé que mettre en place en cette rentrée à la fois la réforme du premier cycle, plus les “docteurs juniors”, c’est-à-dire la fin de la réforme du troisième cycle qui elle-même très compliquée, et enfin rajouter la réforme du deuxième cycle… C’était risquer de se prendre les pieds dans le tapis. Avec l’épidémie de Covid en plus et le confinement, je ne regrette pas. Pour autant, on va utiliser cette année universitaire 2020-2021 pour faire une transition en douceur et pour installer la pédagogie avec par exemple les Examens cliniques Objectifs et Structurés (ECOS). Ils vont être en place dans toutes les facultés de médecine. Et puis dès maintenant, avec l’utilisation du nouveau programme pour les étudiants qui entrent en DFASM1 et la mise en place des situations cliniques de départ.
De plus en plus de facultés proposent des cursus à distance. Est-ce une initiative à valoriser ?
Je crois davantage à l’intérêt d’ouvrir l’entrée dans les études médicales aux étudiants qui ont commencé leur cursus dans d’autres composantes de l'université, plutôt que de créer des antennes. Je pense que c’est beaucoup plus intéressant de diversifier le profil des futurs médecins et d’ouvrir la possibilité d’entrée à partir de la fin de la L1*, L2* ou L3*. L’enjeu pour moi, est là.
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