Allergies alimentaires de l’enfant : des recommandations pour la prévention
Les nouvelles propositions pour la prévention des AA des allergopédiatres français ont été publiées dans les Archives de pédiatrie(1) et sont à paraitre dans la Revue d’Allergologie. Une initiative justifiée par la prévalence croissante des AA depuis ces cinq dernières années en particulier : à un an, 3% des enfants sont allergiques à l’arachide ; à 6 ans, 2,7% à la noix de cajou. En France, on compte 6% d’enfants AA dont un enfant sur 5 polyallergique. Des données inquiétantes confirmées par la cohorte Elfe (qui a analysé les allergies au lait, aux œufs et à l’arachide), ainsi que par le réseau d’allergo-vigilance qui collige les cas d’anaphylaxie chez l’enfant dont 90% sont liées à des AA : arachide, cajou, pignons, puis sésame, beaucoup étant polysensibilisés.
Prévention pour tous
Si le risque d’atopie est plus grand lorsqu’un parent ou un membre de la fratrie a une allergie documentée (35% des enfants), la majorité du contingent des enfants atopiques l’est de novo. "C’est pourquoi les recommandations s’appliquent à tous les nourrissons", insiste le Dr Dominique Sabouraud-Leclerc (service de pédiatrie, CHU de Reims), premier auteur des recommandations françaises.
Les moments pour une prévention primaire efficace pourraient être même avant la conception, pour moduler l’expression du risque génétique. Si des liens très clairs ont été établis entre le tabac ou la pollution atmosphérique et le risque d’allergie de l’enfant, ce n’est pas encore le cas pour la nutrition : lait et beurre fermiers pourraient avoir un rôle protecteur, les huiles de poisson aussi -oméga 3-, de même qu'une supplémentation en vitamine D, les fruits et légumes riches en prébiotiques, et les probiotiques. "Beaucoup de pistes, peu de certitudes pour une prévention in utero", résume Dominique Sabouraud-Leclerc. Toutefois, des IgE spécifiques d’AA sont produites dès la 20e semaine par l’embryon et sont retrouvées dans le sang de cordon, témoignant du passage d’allergènes alimentaires et respiratoires par voie transplacentaire et via le liquide amniotique. Les enfants conçus, nés et vivant en milieu rural traditionnel développent moins d’allergies (Cohorte Pasture, 2013 (2)), l’environnement microbien produisant des modifications épigénétiques perceptibles dès la phase in utero (dans le sang de cordon du nouveau-né).
L’intestin des nouveau-nés, peu habité, ne peut développer de tolérance vis-à-vis des allergènes alimentaires. Le microbiote intestinal, modelé par les IgA et autres composants du lait maternel, puis l’alimentation solide, atteint progressivement une composition et une variété adulte vers 2 ans. "L’enfant est soumis à une dualité d’expositions : cutanée d’une part, sensibilisante ; digestive d’autre part, tolérogène", observe la spécialiste. Sur cette hypothèse, on peut dès lors envisager des actions préventives.
Protéger la peau
La dermatite atopique (DA) est le principal facteur de risque d’AA chez le jeune enfant, et la quantité d’arachide présente dans l’environnement associée à l’apparition d’une AA à l’arachide… Les émollients pourraient être une solution, mais la nature de ceux-ci est sûrement déterminante. La plus efficace pourrait être une crème trilipidique comportant céramides, acide linoléique et cholestérol, mais sans équivalent en France. Un traitement actif de la DA (surtout en présence de S. aureus) est indiqué ainsi qu’une limitation de la présence des allergènes dans l’environnement du nourrisson qui seraient en contact avec sa peau : pas d’huile d’amande douce ou de coco sensibilisante, et lavage de mains avant de toucher le nourrisson en cas de consommation ou de cuisine de fruits à coque par exemple.
Induire une tolérance digestive
La diversification alimentaire doit être la plus large et la plus précoce possible, dès 4 mois révolus avec l’œuf, l’arachide (2g de protéines d’arachide par semaine) et autres fruits à coque : la prévalence de la DA à un an est alors diminuée (Pasture, (2)). La consommation de fromages entre 12 et 18 mois réduit le risque... de DA de 26% à l’âge de 6 ans et d’AA de 45%. "A cette étape, l’intérêt des compléments alimentaires (oméga 3, vitamine D, pré ou probiotiques) n’est pas démontré même si le microbiote paraît une voie de recherche très prometteuse", souligne le Dr Sabouraud-Leclerc.
L’introduction de l’œuf - cuit, et à petites doses croissantes - entre 4 et 6 mois réduit fortement le risque d’allergie, de 44%. Idem pour l’arachide (3).
Des recommandations parfois divergentes
Les recommandations des sociétés savantes diffèrent de ce qui est inscrit dans le carnet de santé en particulier pour l’introduction des aliments à haut risque (œuf, arachide, etc.). En pratique, la diversification doit donc être large et précoce, les parents dûment informés de la nécessité d’une consommation régulière (2 à 3 fois par semaine par exemple) de l’allergène une fois qu’il a été introduit durant toute l’enfance (sur une durée encore inconnue). Une interruption ferait courir un risque plus grand d’allergie à cet allergène. C’est pourquoi l’aliment doit être de ceux qui sont consommés habituellement par la famille. Autre précaution, proscrire les compléments de lait en maternité en cas d’allaitement maternel exclusif, la réintroduction du lait de vache lors de la diversification induisant alors une rupture de tolérance…
"La prévention s’exerce ainsi globalement : qualité de l’air intérieur et extérieur, entretien de la barrière cutanée (DA et peau sèche) et diversification alimentaire", résume-t-elle.
Plus de 3% des enfants en France sont allergiques aux protéines du lait de vaches (PLV), selon les données de la Cohorte Elfe. "L’évolution des formes IgE médiées est réputée favorable, et pourtant… à peine la moitié guérissent avant 5 ans, 80% à l’adolescence, pas toujours donc à l’âge de 12-18 mois, les formes persistantes étant plus sévères", souligne le Dr François Payot, pédiatre à Lyon. Le lait est un allergène difficile dans la mesure où il est ubiquitaire, le premier rencontré par l’enfant, à l’origine de 60% des anaphylaxies avant l’âge d’un an, et les protocoles d’induction de tolérance orale pour les formes persistantes complexes. Une prévention primaire de l’APLV serait donc bienvenue, à exercer très tôt.
Les "manipulations" diététiques ou l’allaitement maternel (bien que fortement recommandé bien sûr) sont sans effet sur l’APLV. Les compléments 1er âge donnés en maternité dans l’attente de la montée de lait sont à proscrire (1). Les laits HA (à hydrolyse partielle) ou HE (à hydrolyse extensive) sont inefficaces et non recommandés. A signaler, le risque d’APLV est abaissé de 69% en cas d’allaitement mixte (versus maternel), ce qui justifie des études interventionnelles qui mesurent les effets d’une introduction précoce du lait de vache, ainsi qu’un premier essai de prévention, Spade(2). "L’ingestion régulière quotidienne de 10 ml de lait de vache (formule 1er âge, pas de HA), en complément du sein entre 1 et 3 mois prévient effectivement l’APLV IgE-médiée", rapporte le Dr Payot. A la lueur de ces données, un complément quotidien jusqu’à la diversification de lait de vache pourrait être proposé en cas d’allaitement maternel exclusif.
D’après la communication du Dr François Payot (Lyon)
1.Sakihara T. et al. JACI .2020
2.Sakihara T. et al. JACI .2021
Qu’ils proviennent d’allergopédiatres, de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ou du Haut Conseil de Santé publique (HCSP), les avis sont tous en faveur d’une introduction large et précoce de tous les aliments sans exception y compris les allergènes majeurs que sont le lait de vache, l’œuf et l’arachide. Et ce, que l’enfant soit ou non à risque d’allergie.
Ces préconisations ne concordent toutefois pas tout à fait avec les repères aujourd’hui inscrits dans le carnet de santé : les légumineuses n’y sont conseillées qu’à partir du 15e mois, le pain du 8e mois ou l’œuf du 7e mois. Aucune mention de l’arachide et des fruits à coque. Il en résulte que l’œuf est introduit tardivement par 84% des parents et que 100% manquent la fenêtre d’opportunité pour les fruits à coque. La diversification doit être argumentée, intérêt de l’enfant à l’appui, et des conseils pratiques donnés pour faciliter la compliance. Ainsi, puisque la voie orale est tolérogène, on peut conseiller d’introduire à partir de 5 mois un boudoir deux fois par semaine (l’œuf cuit associé au blé est nettement moins allergisant), réduit en poudre et mélangé à la compote, ainsi que 5g d’œuf dur (une cuillère à café bombée) 2 fois par semaine -d’abord mixé avec la purée. Pour induire une tolérance aux fruits à coque, on saupoudre le repas d’une cuillère à café bombée par semaine de poudre d’amandes ou de pâte d’arachide (pas directement à la cuillère ! pour éviter les incidents de déglutition). "Ces aliments à haut potentiel allergisant doivent être consommés régulièrement", insiste Rachel Pontcharraud, diététicienne-nutritionniste (Service de pneumo-allergologie au CHU de Toulouse, Groupe Allergodiet de diététiciens nutritionnistes spécialisés en allergologie).
La voie cutanée étant sensibilisante, et les allergènes des fruits à coque volatiles, la préparation doit se faire à distance du nourrisson et les mains des parents lavées après manipulation de l’aliment.
D’après la communication de Rachel Pontcharraud, (CHU de Toulouse)
www.allergodiet.org
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