Cancer du sein : l’heure de la désescalade thérapeutique ?

01/10/2021 Par Marielle Ammouche
Cancérologie
Les progrès thérapeutiques dans le cancer du sein autorisent, dans certains cas précis, à envisager une réduction des traitements - en durée ou en quantité – pour certaines femmes à faible risque, de façon à limiter les séquelles physiques et psychologiques. La recherche aussi progresse dans ce domaine, que ce soit grâce à l’intelligence artificielle pour la lecture des lames d’anatomopathologie, ou au développement de nouvelles imageries.
 

A l’occasion d’octobre Rose, les experts de l’institut Curie, 1er centre européen du cancer du sein, ont fait le point sur les progrès des traitements utilisés dans les cancers du sein. Aujourd’hui, la survie globale liée au cancer du sein est de plus de 87 % à 5 ans et de plus de 76 % à 10 ans. Les progrès en génomique, en particulier, ont permis une meilleure personnalisation des traitements, adaptés aux différents types de cancer du sein, ouvrant la voie, dans certains cas, à une désescalade thérapeutique, qui concerne surtout actuellement la chimiothérapie. L’objectif est de réduire les traitements quand cela est possible afin de limiter les effets indésirables et les séquelles tant physiques que psychologiques, tout en garantissant la même efficacité. "La qualité de vie de nos patientes est une priorité", indique ainsi le Dr Carole Bouleuc, chef du département interdisciplinaire de soins de support à l’institut Curie. Et cela répond à une demande des femmes, comme le montre une étude réalisée par Viavoice pour l’Institut Curie. Cette enquête révèle ainsi que 83% des Français estiment que proposer la désescalade thérapeutique est important pour la qualité de vie des patientes. 79% des personnes interrogées considèrent que des traitements moins nocifs pourraient permettraient d’améliorer la qualité de vie des patientes ; une perception particulièrement importante parmi les générations les plus âgées. L’enquête insiste aussi sur la nécessité de renforcer l’accompagnement (préconisé par 72% des répondants). "Ce sondage Viavoice montre que les patientes sont en faveur de la désescalade thérapeutique. Ils ont conscience des répercussions physiques. Il y a une volonté des français de se prendre en charge pour que l’impact des traitements soit le plus faible possible. Par ailleurs, les patientes ne sont pas prêtes à la désescalade si c’est au risque d’un sous traitement", ajoute le Dr Boulenc. L’objectif sur la vie quotidienne est en particulier d‘aider à la reprise d’une vie professionnelle. L’étude Canto, sur l’après- cancer, avait, en effet montré que seul 70% des femmes qui avaient un travail l’ont repris 2 ans après la fin du traitement pour
leur cancer du sein.

  10 à 15% des patientes Pour ne pas nuire à l’efficacité des traitements, la désescalade thérapeutique ne concerne que quelques cas particuliers. Elle "s’adresse aux femmes chez qui la tumeur est localisée, ne présentant pas de métastases, ou chez qui le risque de récidive est estimé faible. Cela représente 10 à 15% des personnes ayant une tumeur localisée", précise le Dr Paul Cottu, oncologue, chef adjoint du département d’oncologie médicale de l’Institut Curie. Dans le domaine chirurgical, les mastectomies sont de moins en moins réalisées : 85% des chirurgies sont conservatrices. De même la technique du ganglion sentinelle évite souvent le curage axillaire, ou des traitements adjuvants. La radiothérapie a aussi progressé : le nombre de séances a été réduit pour une même efficacité, parfois au profit d’une petite augmentation des doses. C’est la radiothérapie hypofractionnée. Certains cas ne nécessitent que 5 séances (contre 25 auparavant), pour le même résultat à long terme. Et l’essai Romance cherche à mesurer s’il est possible d’épargner complètement la radiothérapie sans risquer de hausse du taux de récidive à 10 ans. Mais les essais de désescalade concernent surtout la chimiothérapie adjuvante. L’analyse des signatures génomiques...

permet une meilleure caractérisation de la tumeur et d’isoler environ 10% des cas ou l’on peut se passer de la chimiothérapie. "Les 2/3 des patientes qui bénéficient d’une signature génomique échappent à la chimiothérapie adjuvante". Cependant, ces tests ne sont pas inscrits à la nomenclature des actes de biologie médicale, et sont donc pris en charge par le référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN). "C’est un problème car comme le remboursement dépend de l’enveloppe RIHN, il pèse sur le budget des établissements hospitaliers, ce qui peut entrainer des disparités sur le territoire", déplore le Dr Cottu. D’autres approches évaluent aussi la substitution de la chimiothérapie par d’autres associations thérapeutiques. C’est le cas de la nouvelle étude Ribolaris, menée par Unicancer qui cherche à évaluer le remplacement d’une chimiothérapie par une association d’hormonothérapie et de traitements ciblés. En revanche, pour les traitements hormonaux, il se passe plutôt l’inverse : "On est plus sur des essais de prolongation de traitement, explique le Dr Cottu. Certains essais sont en cours pour évaluer l’intérêt de réduire la durée de l’hormonothérapie de 1 ou 2 ans. Mais il n’y pas encore aucun résultat. Ce genre d’essai est très long. Il y a encore beaucoup de travail devant nous". De même, aucune désescalade thérapeutique n’est envisagée pour les cancers triples négatifs pour lesquels on est plutôt sur une intensification de traitement.   L’apport de l’intelligence artificielle en anatomopathologie L’intelligence artificielle, couplée à la numérisation des lames d’anatomopathologie, pourrait permettre d’aller plus loin. Cette démarche est déjà en cours à l’Institut Curie. Et dès la fin de l’année 2021, les lames des prélèvements (biopsies ou pièces opératoires) des femmes prises en charge pour un cancer du sein seront numérisées et pourront bénéficier d’une double analyse, par des algorithmes d’intelligence artificielle et par les médecins spécialistes. "Ces algorithmes travaillent très vite, jour et nuit sans discontinuer, ils peuvent réaliser une pré-analyse des images. Le regard du pathologiste sera alors guidé vers les zones les plus significatives à examiner, et il pourra valider facilement les
indications de l’algorithme et affiner son diagnostic"
, ajoute le Dr Anne Vincent-Salomon, cheffe du service de pathologie de l'Institut Curie, ce qui permettra de cibler les traitements. Cette stratégie ouvre aussi "des portes formidables à la recherche".

  De nouvelles imageries Enfin, de nouvelles procédures d’imagerie pourraient permettre aussi de mieux caractériser les tumeurs à risque et d’affiner les stratégies thérapeutiques. Ainsi, l’équipe du Pr Irène Buvat, directrice du laboratoire d'Imagerie translationnelle en oncologie de l’Institut Curie, s’intéresse à la détection précoce des métastases chez les femmes à risque, grâce à un nouvelle forme de TEP-scanner. Ce dernier utilise un nouveau traceur, les protéines activatrices de fibroblastes (FAP), qui sont connues pour être impliqués dans la progression des tumeurs et la migration du cancer vers d’autres organes où il forme des métastases, ainsi que dans la résistance à l’immunothérapie. Ce TEP-scan fournit donc des images corps entiers sur lesquels apparaissent les foyers tumoraux à risque de métastases. Cette imagerie a été testée à l’étranger sur d’autres types de cancers, sans aucun effet secondaire. Les demandes sont en cours pour l’utiliser à Curie dans le cancer du sein dès 2022. A terme, ces FAP pourrait aussi avoir une utilité thérapeutique, via la radiothérapie, en les couplant à un élément radioactif comme le lutétium-177, capable de détruire les cellules.

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