Antibiorésistance : les chirurgiens aussi doivent faire des efforts
La résistance aux antibiotiques risque-t-elle de compromettre la pratique de la chirurgie ? Face à sa progression mondiale, l’Académie nationale de chirurgie exhorte la profession, peu sensibilisée à ce risque, à faire des efforts en matière de bon usage.
Problème majeur de santé publique selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’antibiorésistance aurait causé 1,27 million de décès en 2019 dans le monde, bilan qui pourrait s’élever à 1,91 millions en 2050 si rien n’est fait pour l’enrayer(1)(2). Selon la Pre Céline Pulcini, infectiologue au CHRU de Nancy, "il y avait plein de choses qu’on ne pouvait pas faire avant l’arrivée des antibiotiques. Notamment les chirurgies compliquées, dont le risque était très élevé à cause des infections du site opératoire, mais qui est devenu minimal grâce aux bonnes pratiques et à l’antibioprophylaxie. L’antibiorésistance pourrait remettre en cause la pratique de la chirurgie, mais aussi l’hospitalisation en réanimation ou la mise de patients sous immunosuppresseurs."
A l’hôpital, la chirurgie est la deuxième activité en termes de fréquence des infections associées aux soins. En 2022, 7,83% des patients opérés ont contracté une infection, derrière la réanimation (23,17%). Ils sont 0,87% à développer une infection du site opératoire, au troisième rang derrière les infections urinaires (1,69%, les plus courantes à l’hôpital) et les pneumonies (0,99%). Or, les germes associés à ces infections présentent des taux croissants de résistance, compromettant la prise en charge des patients. Parmi les principaux agents, Escherichia coli, dont 8% des isolats sont producteurs de bêta-lactamase à spectre étendu (BLSE) et résistent ainsi aux pénicillines, et le staphylocoque doré, dont 16% de SARM (Streptococcus aureus résistants à la méticilline).
Un niveau d’information insuffisant
Or, malgré le risque croissant, les chirurgiens semblent trop peu concernés par ce problème. Selon une enquête menée par l’Académie nationale de chirurgie sur 269 chirurgiens, rendue publique mercredi 30 octobre à l’occasion d’une séance "chirurgie et antibiorésistance", seuls 51% d’entre eux y voient une menace sur la capacité à "réaliser des soins chirurgicaux de qualité dans un futur proche en France". Pourtant, 42% disent avoir été confrontés, lors du mois écoulé, à au moins un problème d’antibiorésistance ayant compliqué la prise en charge chirurgicale de leurs patients.
Par ailleurs, seuls 31% des chirurgiens se disent "bien ou très bien informés" sur le phénomène de l’antibiorésistance et son évolution, et 30% quant aux moyens de la maîtriser dans le cadre de leur pratique. Selon le Dr Gabriel Birgand, pharmacien hygiéniste au CHU de Nantes, il demeure "une méconnaissance persistante de l’antibiorésistance par les chirurgiens. Pourtant, ce sujet doit faire partie intégrante de la stratégie chirurgicale : si on ne prend pas en compte cette problématique, nous serons confrontés à l’avenir à un problème de résilience des services de soins".
Cette faible prise de conscience face à l’antibiorésistance proviendrait notamment d’un manque de connaissances sur le sujet, du fait d’une insuffisance de la formation, initiale comme continue. "A l’hôpital, les prescriptions d’antibiotiques émanent en grande partie des services de chirurgie, or c’est là qu’il y a le moins d’experts sur le sujet", observe le Dr Patrice Baillet, chirurgien viscéral et digestif à Cormeilles-en-Parisis (Val-d’Oise) et chargé de l’antibiorésistance à l’Académie nationale de chirurgie.
L’antibioprophylaxie souvent prolongée en postopératoire
"La prévention infectieuse en chirurgie repose sur trois piliers principaux : les mesures d’hygiène, la vaccination et l’antibioprophylaxie", poursuit-il. Cette dernière, qui vise à prévenir les infections du site opératoire, a fait l’objet de récentes recommandations, élaborées par la Sfar et la Spilf*. Malgré l’existence de lignes directrices bien définies, celles-ci font l’objet de fréquentes entorses. D'après l'enquête de l’Académie, 47% des chirurgiens disent parfois (8% souvent, et 1% toujours) la prolonger en postopératoire, ce qui est hautement déconseillé, car source potentielle d’antibiorésistance. Selon Gabriel Birgand, "il y a encore des efforts à faire au sujet de l’antibioprophylaxie", notamment en matière de répartition des tâches entre le chirurgien et l’anesthésiste.
Outre la nécessité d’un apprentissage plus poussé, Céline Pulcini conseille aux chirurgiens de mieux s’appuyer sur les dispositifs en vigueur, en particulier le référent en antibiothérapie au sein de l’hôpital. "Quand le chirurgien soupçonne la présence d’une infection, quand il doit pratiquer une antibioprophylaxie, il peut se référer au guide de prescription de l’établissement, ou se rapprocher du référent en antibiothérapie. En bref, ne prescrire ces médicaments que quand il le faut, privilégier les durées de traitement les plus courtes possibles, éviter les antibiotiques les plus générateurs d’antibiorésistance."
*Sfar : Société française d’anesthésie et de réanimation. Spilf : Société de pathologie infectieuse de langue française
Références :
- Séance "chirurgie et antibiorésistance" et conférence de presse, Académie nationale de chirurgie, mercredi 30 octobre. D’après les présentations de la Pre Céline Pulcini (CHRU de Nantes), et des Drs Gabriel Birgand (service d’hygiène hospitalière du CHU de Nantes), Patrice Baillet (chirurgien viscéral et digestif à la Clinique du Parisis, Cormeilles-en-Parisis, Val-D’Oise ; chargé de l’antibiorésistance à l’Académie nationale de chirurgie).
Et:
- Santé publique France, Enquête nationale de prévalence 2022 des infections nosocomiales et des traitements anti-infectieux en établissements de santé, mai 2023.
- Recommandations formalisée d’experts (Sfar/Spilf) "Antibioprophylaxie en chirurgie et médecine interventionnelle", 2024.
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