
Mineurs transgenres : quand et comment l’hormonothérapie est-elle envisagée ?
Afin d’harmoniser l’accompagnement à la transition hormonale des mineurs transgenres, une quinzaine d’équipes de la Société française d’endocrinologie et diabétologie pédiatrique ont rédigé leurs recommandations. De nombreuses polémiques ont accompagné ce texte et celui de la Haute Autorité de santé, dédié aux sujets de plus de 16 ans, prévu avant l’été. Le Pr François Brezin (endocrinologie et diabétologie pédiatrique, CHU de Strasbourg), l’un des coauteurs, en évoque les principaux messages et réagit aux polémiques.

Egora : Comment l’accompagnement médical se situe-t-il dans le parcours des jeunes concernés ?
Pr François Brezin : Tous les mineurs transgenres ne sont pas dysphoriques, notion qui implique une souffrance, mais tous ont une incongruence au sens de la CIM-11, soit une incompatibilité entre le sexe assigné à la naissance et le genre ressenti. Ils demandent d’abord reconnaissance et soutien, et souvent une prise en charge psychologique ou psychiatrique face aux discriminations dont ils font l’objet. Seuls certains souhaitent des soins d’affirmation de genre. Notre texte est là pour homogénéiser leur accompagnement.
Forme-t-on trop de médecins ?

Fabien Bray
Oui
Je vais me faire l'avocat du diable. On en a formés trop peu, trop longtemps. On le paye tous : Les patients galèrent à se soigne... Lire plus
Comment se déroule le début du parcours ?
Les jeunes qui nous consultent viennent avec au moins un parent, qui est donc soutenant. Nous assurons un suivi conjoint entre endocrinopédiatre et professionnel de santé mentale. Même si la demande est exprimée lors de la première consultation, la décision de prise en charge hormonale est prise collégialement après un parcours de consultations et de discussions de plusieurs mois ou années, selon les cas et le degré de consensus familial sur la question. Ce parcours est indispensable pour objectiver la maturité émotionnelle et cognitive du jeune, mais surtout s’assurer que la souffrance psychologique exprimée est constante et liée à l’apparition ou au développement des caractères sexuels secondaires.
Comment la prise en charge hormonale s’articule-t-elle ?
La prescription d’agonistes de GnRH, qui freinent le développement des caractères sexuels secondaires, est d’abord proposée chez les jeunes en prépuberté. Elle est controversée alors que le recul dont on dispose chez l’adulte est rassurant : les aGnRH ont des effets réversibles, ils sont bien tolérés, sous couvert de surveillance osseuse, et ils n’ont pas d’impact sur la fertilité ultérieure chez les jeunes qui changent d’avis et souhaitent finalement les arrêter. Toutefois, la plupart des jeunes qui consultent sont pubères et, chez eux, ces agonistes contrent les modifications corporelles comme la pilosité et la prise de masse musculaire chez les filles trans.
Qu’en est-il de l’hormonothérapie d’affirmation de genre ?
Elle repose sur la testostérone ou les estrogènes. Après un bilan complet, le traitement est instauré à posologies progressives, et est compatible avec le traitement de freination. Il permet d’ailleurs à ceux traités par ce dernier avant la puberté de ne pas avoir un corps d’enfant à 18 ans. Après initiation, l’équipe mène des examens cliniques et paracliniques réguliers : bilan lipidique et hormonal, ainsi qu’une NFS chez les garçons trans et un bilan glycémique et osseux chez les filles trans. Le suivi est ensuite assuré une ou deux fois par an.
Il faut savoir que certains garçons trans ne veulent pas de transition mais uniquement bloquer leurs règles par l’intermédiaire d’un microprogestatif, par exemple : cela peut parfaitement relever des soins primaires. Il faut aussi avoir en tête que la transition hormonale, même souhaitée depuis longtemps, peut être mal vécue, car les changements corporels qu’elle génère créent un mal-être semblable à celui de la puberté, mais dont ils n’osent souvent pas parler. Enfin, la préservation de gamètes est proposée systématiquement, mais elle est souvent refusée à cet âge, du fait de ce que la procédure implique (masturbation ou procédure lourde et invasive).
Qu’en est-il de la chirurgie ?
Les chirurgies sont généralement réalisées après la majorité, tout particulièrement s’agissant des génitoplasties. Dans les situations de très grande souffrance, la torsoplastie peut être proposée avant, après discussion collégiale et toujours dans le cadre d’un consensus familial. La prescription précoce des bloqueurs de puberté limite la nécessité ou l’invasivité des gestes chirurgicaux, mais peut aussi limiter certaines techniques.
Quelle est votre position personnelle et collective face aux critiques qui ont été émises quant à vos recommandations ou à celles de la HAS ?
Nous n’avons pas réagi publiquement et n’avons pas forcément à le faire car les postures sont extrêmement figées et dogmatiques. Notre réponse, c’est notre travail : accompagner des enfants en souffrance, en nombre restreint, et leur proposer une prise en charge adaptée. Certains ont fait plusieurs tentatives de suicide avant de nous consulter, et plus aucune après, simplement parce qu’ils voient un endocrinologue et peuvent se projeter. Reste que la littérature sur la prise en charge des mineurs n’est pas bien documentée : notre texte reste un consensus.
Certains vous ont reproché des conflits d’intérêts…
Réglementairement, les déclarations de conflits d’intérêts se font à l’échelle des laboratoires. La difficulté est que ce sont les mêmes qui produisent la majorité des traitements prescrits par les endocrinologues : la plupart des conflits d’intérêts déclarés se rapportent en réalité à des prescriptions sans lien avec la prise en charge des patients transgenres. Mais cela n’interfère pas avec notre accompagnement, que certains qualifient de transactiviste : je ne suis pas militant, mais je suis convaincu de l’aide que j’apporte aux jeunes en souffrance.
Quant au risque de retransition, il concernerait 1 à 6% des cas selon les études, et je n’en ai jamais eu dans mon service. Ce sont des situations dramatiques et un dilemme éthique, mais je n’ai pas de réponse à y apporter : est-ce au nom de ces rares cas qu’il faudrait tout arrêter ? Nous sommes coincés entre les associations qui trouvent que nous n’allons pas assez vite, et le risque de médiquer trop de personnes. La plupart des jeunes sont compétents pour exprimer leurs besoins et leur consentement. Nous devons trouver un juste équilibre, écouter, reconnaître et envisager la prescription thérapeutique lorsque la souffrance existe et persiste. Quoi qu’il en soit, en huit ans, l’équipe a accompagné 150 mineurs sur un territoire de 4 millions de personnes. Et parmi eux, à peine la moitié ont reçu des hormones avant l’âge de 18 ans. On est loin d’une supposée épidémie transgenre !
Le Pr Brezin déclare avoir des liens d’intérêts avec les laboratoires Merck, Pfizer, Sandoz et Ipsen.
Au sommaire de ce dossier :
- "Il y a des pertes de chance pour les enfants" : menacées "d'extinction", les PMI tirent la sonnette d'alarme
- Asthme : les recommandations de la SP2A
- Vaccin anti-HPV : la France enfin sur les rails ?
- Harcèlement : qui sont les harceleurs, qui sont les harcelés ?
- Drépanocytose : des nouveautés pour améliorer la prise en charge préventive et curative
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Références :
D’après les propos du Pr François Brezin, endocrinologie et diabétologie pédiatrique (CHU de Strasbourg).
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