Vaccination : une méfiance aux racines politiques
Vaccination : une méfiance aux racines politiques
Ravivées lors de la crise sanitaire, les réticences vaccinales pourraient compromettre les réponses de santé publique lors de futures épidémies de maladies émergentes. Cette méfiance reflète moins un rejet des scientifiques que des politiques, estime le sociologue Jeremy Ward, coauteur d’un rapport* sur les aspects sociaux de la vaccination dans le contexte du Covid-19.
Vaccination : une méfiance aux racines politiques
Egora : Les réticences vaccinales sont-elles, comme on l’entend souvent, le symptôme d’une méfiance croissante à l’égard de la science ?
Jeremy Ward : Penser la question vaccinale comme une opposition entre la science d’un côté, le public de l’autre, cela ne fonctionne pas. Au cours des vingt dernières années, la confiance accordée à la science ne semble pas s’être érodée, et demeure même à un niveau élevé. Si des personnes doutent des vaccins, c’est parce qu’elles pensent que la science est de leur côté. D’ailleurs, les personnalités qui se sont exprimées contre les vaccins sont souvent des médecins ou des chercheurs, présentant des gages de crédibilité scientifique, ou au moins leur apparence [citons, entre autres, le Pr Henri Joyeux, cancérologue ; NDLR].
La méfiance vaccinale a trait avant tout à la capacité des autorités publiques à réguler la mise sur le marché des vaccins, et en particulier à contrer l’influence des laboratoires pharmaceutiques. Le vrai sujet, c’est l’interpénétration entre les sciences et les pouvoirs publics. Et donc la confiance que l’on accorde, ou pas, aux autorités, ainsi qu’à l’expertise, domaine à l’interface entre science et politique.
Quels sont les événements à l’origine de ce phénomène en France ?
Le premier tournant s’est produit lors de la controverse liée au vaccin contre l’hépatite B, accusé, en 1998, de favoriser le risque de sclérose en plaques. On monte d’un cran en 2009, avec la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1). Citons également la présence d’aluminium dans les adjuvants, le vaccin contre le HPV. En revanche, la polémique sur le vaccin contre la rougeole a eu peu d’écho en France, où il est l’un de ceux qui suscite le moins de réticences – à l’exception des critiques les plus radicaux. Ce n’est pas le cas d’autres pays, dont les États-Unis et le Royaume-Uni, où ce vaccin cristallise les réticences.
D’autres scandales sanitaires ont sensibilisé le public aux échecs, réels ou non, de la capacité des pouvoirs publics à élaborer des recommandations evidence-based. Quand vous discutez avec des personnes réticentes envers les vaccins, elles évoquent spontanément le Mediator, le sang contaminé pour les plus âgés. Le sujet des conflits d’intérêts, par ailleurs un débat légitime, devient dès lors un argument plausible lorsqu’il est transposé à la question vaccinale.
Lors de la crise du Covid-19, les réseaux sociaux ont été accusés d’amplifier le courant antivax. Dans quelle mesure ont-ils façonné l’opinion ?
Je pense qu’on surévalue leur rôle, ou du moins qu’on le pense mal. Selon divers travaux, les militants antivax ont du mal à toucher un public plus large que celui qui leur est déjà acquis, y compris sur les réseaux. Plus important selon moi, le fait que plusieurs personnalités politiques de premier plan ont tenu pendant la crise des propos très éloignés du consensus scientifique. Les médias traditionnels ont aussi participé à sensibiliser la population au risque vaccinal, en donnant fréquemment la parole aux critiques des vaccins.
Quel rôle la formation scientifique peut-elle jouer ?
La formation scientifique, c’est très bien ! Mais penser que c’est en expliquant le principe de la vaccination ou la manière dont l’ARNm fonctionne qu’on va régler le problème, c’est se tromper complètement. L’enjeu n’est pas celui de la compréhension, mais de la confiance, de la conviction. Pendant la pandémie de Covid, l’échec provient du fait que la gestion de crise a été très centrée autour du président de la République, figure politique très clivante. Or on a observé des différences très marquées d’adhésion vaccinale en fonction du rapport à la politique. Lors de l’épidémie de grippe A(H1N1), la communication a surtout été confiée à des acteurs publics plus ancrés dans le monde médical, dont la Direction générale de la santé (DGS) et le ministère de la Santé.
Alors que d’autres maladies émergentes sont à prévoir ces prochaines années, comment rétablir le consensus sur les vaccins ? Quel rôle pour les médecins ?
La première chose à faire, c’est accepter les doutes des patients, ne pas les balayer comme l’expression d’une irrationalité. Le rapport entre patient et médecin repose sur la confiance, c’est grâce à cela que ce dernier peut intervenir. Et peut-être, en cas de blocage, faut-il parfois lâcher l’affaire sur un vaccin afin de ne pas abîmer cette relation, qui est la base d’intervention dans d’autres domaines.
Mais la question majeure, c’est la dépolitisation de la vaccination. Il faut l’extraire des oppositions partisanes et des débats politiques, la ramener à l’arrière-plan routinisé de la pratique médicale. Cela dépend donc des politiques eux-mêmes : plutôt que d’éduquer le public, il serait peut-être plus utile d’éduquer les responsables politiques afin qu’ils sachent mieux créer, et maintenir, la confiance.
* Rapport « La recherche sur les aspects humains et sociaux de la vaccination en France depuis le Covid-19 – 1ère édition », projet Icovac-France, ANRS-Maladies infectieuses émergentes, CNRS, Inserm, Observatoire régional de la santé Paca.
Jeremy Ward déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.
Références :
D’après un entretien avec Jeremy Ward, sociologue au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (Cermes3, CNRS, Inserm, EHESS, Université Paris Cité), membre de la commission technique des vaccinations de la Haute Autorité de santé.
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