"J'accuse l'État" : l'UFC-Que choisir frappe un grand coup contre la liberté d'installation des médecins
Plus de dix ans que l'UFC-Que choisir alerte l'Etat sur les difficultés d'accès aux soins, contribuant à imposer dans le débat public le concept de "déserts médicaux". Pourtant, étude après étude, la situation n'a eu de cesse de se dégrader, générant une "fracture sanitaire" de plus en plus vive et contraire à la Constitution de 1946, qui garantit aux citoyens "la protection de sa santé", déplore l'association. C'est pourquoi l'UFC-Que choisir, représentant les usagers de santé, a décidé de frapper un grand coup en attaquant l'Etat devant le Conseil d'Etat pour son "inaction coupable" en la matière. Car si la démographie médicale s'avère insuffisante pour faire face à l'augmentation des besoins, après des "décennies de pilotage inepte du numerus clausus", c'est "le refus obstiné des autorités de réguler l'installation des médecins" que l'UFC-Que Choisir met aujourd'hui en cause. 51.5% des généralistes ne prennent plus de nouveaux patients La politique des "rafistolages" n'a que trop duré, considère l'association, dont la dernière étude démontre une nouvelle dégradation de l'offre de soins entre 2021 et 2023. Se basant sur l'indicateur APL (lire l'encadré décrivant la méthodologie), l'UFC estime ainsi que 23.7% de la population française désormais, soit 15.5 millions de personnes, a difficilement accès à un généraliste, et que 1.7 million d'entre elles (soit 2.6%) vivent dans un "désert médical"... Sous l'effet des départs en retraite des généralistes du baby-boom, la situation s'est détériorée pour 44.4% de la population au cours des deux dernières années.
La preuve : désormais, 51.5% des 2642 généralistes contactés par les bénévoles de l'UFC dans le cadre d'une opération de testing téléphonique refusent de nouveaux patients médecin traitant, alors qu'ils étaient 44% en 2019. La plupart (74%) se disent déjà surchargés, tandis que 12% invoquent un prochain départ à la retraite. Cette moyenne nationale recouvre de fortes disparités territoriales, entre d'un côté la Loire (87% de refus), le Gard (77%) ou encore l'Isère (71%) et de l'autre, le Doubs (12%), la Vienne (14%) ou l'Indre-et-Loire (21%). De toutes les régions, seule la Bourgogne-Franche-Comté fait mieux qu'en 2019, révèle l'étude. L'association souligne cependant qu'il n'est pas "nécessairement plus difficile de trouver un médecin traitant dans un désert médical qu'ailleurs". Des témoignages relevés par les bénévoles ayant participé au testing témoignent des efforts déployés par les praticiens dans ces zones : "J'accepte, car je ne peux pas m'accommoder que des patients restent sans médecin", aurait répondu un généraliste, tandis qu'un confrère aurait jugé "qu'un médecin qui ne prend pas de nouveaux patients n'est pas un médecin"… 83.3% de la population rencontre des difficultés pour accéder à un ophtalmologue sans dépassement Si malgré tout, les généralistes demeurent les "mieux répartis", du côté des ophtalmologues en revanche, "c'est l'hécatombe", alerte l'UFC-Que choisir : 38.8% de la population (soit 25.3 millions de personnes) subit des difficultés d'accès à ces spécialistes et la situation s'est dégradée pour 71.3% des citoyens ces deux dernières années. Et si l'on prend en compte les dépassements d'honoraires, critère central pour l'accessibilité financière, le tableau est "désastreux", voire "apocalyptique", puisque les difficultés d'accès à un spécialiste pratiquant des tarifs modérés concernent 71.5% de la population… et même 83.3% si l'on souhaite consulter un spécialiste en secteur 1. Quant aux pédiatres, l'UFC calcule qu'au total, 45.9% des enfants rencontrent des difficultés d'accès, avec une fracture nette entre les grands centres urbains et les zones rurales. De larges pans du territoire, où résident 28.9% des enfants, sont classés "désert médical" pour la pédiatrie libérale. L'installation de nouveaux professionnels et la baisse de la natalité ont toutefois conduit à une amélioration de la situation pour 12.5% des jeunes Français, quand 23.7% sont concernés par une dégradation, indique l'étude. La liberté d'installation jugée "anachronique" Enfin, pour les gynécologues, 24.8% des femmes vivent dans un désert médical et 43.5% au total rencontrent de fortes difficultés ; l'accessibilité s'est dégradée pour 54.2% des femmes au cours des deux dernières années… "Il est quasi-impossible de décrocher un rendez-vous sans s'acquitter d'un dépassement", lance l'UFC, qui calcule que les difficultés d'accès à un gynécologue à tarif opposable concernent 88.4% des femmes. "Pas étonnant, dans ce contexte, que de nombreuses patientes se rabattent sur les sages-femmes pour leur suivi de routine", assène l'UFC-Que Choisir.
Alors que ces inégalités, "déjà criantes", se creusent année après année et que les dépassements d'honoraires ont atteint un niveau record de 3.5 milliards d'euros en 2021, le Gouvernement "s'obstine à faire l'autruche", se contentant de promesses et de "vœux pieux", tacle l'association. L'UFC lui reproche de se plier "aux lobbies des médecins libéraux" en refusant au Parlement toute remise en cause de la liberté d'installation… et ce malgré la promesse de campagne d'Emmanuel Macron en 2022 Pourtant, si "en période d'abondance", les praticiens étaient naturellement incités à se répartir de façon homogène pour se constituer une patientèle, la "doctrine de la liberté d'installation apparaît plus que jamais anachronique", considère l'UFC. "C'est particulièrement parce qu'il y a une pénurie qu'il doit y avoir une régulation de l'installation des médecins : où qu'ils aillent, et quels que soient leurs honoraires, les médecins trouvent partout une patientèle", argumente l'organisme. Alors que les pharmaciens, les sages-femmes, les infirmières, les chirurgiens-dentistes (depuis l'été dernier) et prochainement les kinés voient leur installation soumise à des règles, la liberté d'installation "apparaît moins justifiable que jamais" pour les médecins. Sous la pression de leurs électeurs, des élus de tous bords politiques soutiennent désormais la limitation de la liberté d'installation, qui a fait l'objet d'une trentaine de propositions de loi entre 2017 et 2022, souligne encore l'UFC. Conventionnement territorial et fermeture du secteur 2 L'association enjoint donc l'Etat à instaurer sans plus tarder un "conventionnement territorial des médecins", en ne leur permettant plus de s'installer en zones "surdotées", sauf en secteur 1 "quand la situation l'exige" (zones très largement sous-dotées, remplacement d'un départ en retraite). Face aux dépassements d'honoraires, elle exige la fermeture du secteur 2 : les nouveaux praticiens ne pourront s'installer qu'en secteur 1 ou, à défaut, ils devront signer un contrat Optam. Une pétition a été lancée pour soutenir cette "campagne".
Pour caractériser l'accès aux soins, l'association utilise l'indicateur d'accessibilité potentielle localisée (APL) qui mesure le nombre de médecins accessibles par patient potentiel et par commune au sein de la zone environnante. Les caractéristiques démographiques sont intégrées : les personnes âgées consultent davantage les généralistes et les ophtalmologues, tandis que la proportion de femmes et d'enfants est prise en compte respectivement pour les gynécologues et les pédiatres. L'étude croise ensuite deux critères : l'éloignement géographique (temps de trajet inférieur ou égal à 30 minutes pour un MG, 45 minutes pour les autres spécialités) et l'accessibilité financière (avec ou sans dépassements). Chaque commune est ensuite classée par rapport à la moyenne nationale : les communes des "déserts médicaux" présentent une densité médicale, pour telle profession et/ou tel secteur d'exercice, "au moins 60% en-dessous de la moyenne nationale", tandis que l'accès est "difficile" quand cette densité se situe entre 30 et 60% en-dessous de la moyenne nationale. Chacun est invité à consulter la situation de sa commune, au moyen d'une carte intéractive.
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