"On a la médecine dans les tripes" : une équipe de retraités reprend du service pour les patients sans médecin traitant

24/10/2023 Par Mathilde Gendron

A Albi, préfecture du Tarn, près de 7 500 habitants n’ont pas de médecin traitant selon le Dr Yves Carcaillet, généraliste à la retraite. Ce médecin de 74 ans s’est alors lancé un nouveau défi : le 5 juin dernier, il a ouvert un centre de consultations externes composé uniquement de praticiens retraités. Plus de quatre mois après, il dresse le premier bilan de cette installation à Egora.   Après un an de démarches administratives, c’est le 5 juin 2023 que le centre de consultations externes des médecins retraités albigeois a ouvert ses portes pour la première fois. Depuis, le Dr Yves Carcaillet, médecin retraité à l’origine du projet, assure avoir ouvert l’établissement “tous les jours”, même pendant la période estivale. “Il n’y a pas eu un seul trou dans notre planning”, assure le généraliste de 74 ans. Entre le 5 juin et le 18 octobre, en l’espace d’un peu plus de 4 mois, les médecins du centre ont vu 3 473 patients. “On était surpris d’en avoir vu autant. Ça montre qu’on a rendu un vrai service à la population, on s’est relayés et ça s’est très bien passé”, reconnaît-il. Seul point négatif de l’été : “il faisait juste un peu trop chaud”, plaisante-il. - Tout est parti d’une discussion en juin 2022, entre Yves Carcaillet et Stéphanie Guiraud-Chaumeil, maire d’Albi. Depuis plusieurs années, le nombre de médecins diminue dans la préfecture du Tarn. A tel point qu’aujourd’hui près de 7 500 habitants d’Albi et de sa périphérie se retrouvent sans médecin traitant, selon le praticien. Lors de leur rencontre, l’édile lui demande : “Est-ce que vous pourriez nous aider à trouver des solutions ?” A partir de cet instant, le médecin s’est mis à réfléchir avec Gilbert Hangard, l’adjoint au maire délégué à la santé. “J’avais dit depuis des années que c’était dommage de se priver du savoir des médecins retraités, quels qu’ils soient”, se souvient le généraliste. “Est-ce qu’on ne pourrait pas essayer de faire travailler les retraités ?”, propose-t-il à l’adjoint. Convaincu par cette idée, Gilbert Hangard l’encourage à explorer cette piste. Installé à Albi en 1988, Yves Carcaillet a, lui, raccroché la blouse, le 1er juillet 2022, à l’âge de 73 ans, après 8 années d’exercice en cumul emploi-retraite. Depuis, il n’a “jamais vraiment arrêté”, il continue encore les remplacements de ses anciens collègues et associés du cabinet Rochegude d’Albi. “Je leur rendais service quand ils partaient en vacances”, se rappelle-t-il. L’établissement lui tient à cœur car c’est lui-même qui l’a créé avec ses confrères en 2009. “On était 24 professionnels de santé”, précise-t-il. Fort de cette expérience, il imagine alors créer un nouveau centre médical, cette fois-ci composé exclusivement de médecins retraités volontaires comme lui, pour aider les Albigeois sans médecin traitant à consulter un généraliste. “Nous les médecins on a pris les choses en main”, s’exclame-t-il.

Yves Carcaillet commence par contacter d’autres confrères retraités via le Conseil de l’Ordre pour respecter “les règles déontologiques et ordinales”“J’ai été reçu avec enthousiasme, ils m’ont tous dit que c’était une très bonne idée. On n’a même pas parlé d’argent”, assure-t-il. Selon lui, si les médecins ont été aussi motivés à l’idée de reprendre leur activité c’est parce que leur génération à “une approche assez différente du métier”. “A tort ou à raison, on a consacré toute notre vie à la médecine et aux malades”, confie le généraliste. “S’il faut être là un jour de plus, même si ça nous embête, on est là un jour de plus, on n’en fait pas une maladie”, reconnaît celui qui confie avoir la médecine “dans le cœur, dans les tripes”.  Pour monter son projet, le généraliste à la retraite s’est également entouré de “six partenaires qui cautionnent [le cabinet]; la mairie d'Albi, l’ARS Occitanie, l’hôpital d’Albi, le Conseil départemental de l’Ordre des médecins du Tarn, la Caisse primaire d’Assurance maladie et le Conseil départemental du Tarn”, détaille-t-il. La mairie a également mis à disposition le cabinet, que les médecins retraités ont aménagé eux-mêmes.    “On voulait garder cette liberté”   Si ces médecins sont toujours motivés à continuer leur exercice malgré leur âge, rien dans la législation ne les encourage à continuer à plusieurs. “On n’avait pas le droit de se regrouper en cumul emploi-retraite dans les locaux”, explique Yves Carcaillet. “Et puis, si on continue en libéral, les charges sociales sont trop importantes, on perd de l’argent”, confie-t-il. “On a tous cotisé au moins 40 ou 45 ans à la caisse de retraite, à l’Urssaf, on en a marre”, souffle le généraliste à la retraite. Alors, il décide de créer l’Association des médecins retraités Albigeois (Amra) pour permettre aux médecins retraités volontaires d’être à la fois employés et employeurs. Le Conseil départemental lui avait proposé de salarier tous les médecins retraités du cabinet mais Yves Carcaillet a refusé. “On est quand même des libéraux, on voulait garder cette liberté, on ne voulait pas être salarié de qui que ce soit”, explique-t-il.  Mais pour rejoindre l’Amra, “il y a des formalités administratives à faire. Passer d’un statut de retraité à retraité actif, ce n’est pas tout à fait la même chose”, précise le praticien. En effet, il faut impérativement “passer devant le conseil de l’Ordre des médecins”. C’est lui qui “valide” ou non la capacité d’un médecin à reprendre son activité. S’il a cessé d’exercer pendant plus de trois ans, il doit réaliser un stage de six mois en cabinet médical. “En général ça les décourage”, ajoute Yves Carcaillet, en riant. Puis, ils passent un dernier entretien devant l’Ordre des médecins qui autorise définitivement ou non, la reprise de l’activité. Parmi les retraités qui exercent à ses côtés, le plus âgé a 78 ans et le plus jeune 66 ans. Aucun n’a eu besoin d’effectuer un stage de remise à niveau, précise Yves Carcaillet. “La plupart d’entre eux ont gardé une activité [de garde, de remplacements…], confie le médecin. Si à l’ouverture du cabinet, ils étaient sept médecins retraités à se relayer, Yves Carcaillet avait fait savoir cet été dans la presse, qu’il voulait augmenter sa capacité à une vingtaine de praticiens d’ici...

la fin de l’année. Début octobre, le cabinet affichait onze praticiens différents, mais finalement le généraliste retraité a revu ses objectifs à la baisse. “On pourrait être encore plus, mais pour l’instant même si certains médecins ont fait de gros efforts de présence, on veut être que onze parce qu’il y a aussi un rythme de pratique qu’il ne faut pas perdre”, reconnaît-il. Les médecins doivent en moyenne réaliser deux vacations de quatre heures par semaine ou “au maximum trois, pour garder la main et pour qu’on puisse se répartir de façon équilibrée”, poursuit-il. “Si on est 14 ou 15, on sera trop nombreux et certains ne vont faire qu’une vacation par semaine donc ça n’ira pas”, précise le généraliste, qui assure recevoir encore des sollicitations de médecins retraités voulant rejoindre son cabinet. “Maintenant, je les refuse”, indique-t-il.   Entre 30 et 50 patients par jour Au centre de consultations externes, les conditions de travail sont “souples” entre les médecins retraités, reconnaît Yves Carcaillet. “On fait notre cuisine entre nous, si un médecin veut venir demain, il vient demain… s’il a un empêchement parce qu’il doit garder ses petits-enfants, un autre prendra sa place…”, ajoute-t-il. Les médecins retraités fonctionnent par vacation de quatre heures, de 8h30 à 12h30 et de 14h à 18h. Le cabinet ne comporte que deux bureaux, quatre médecins se relaient donc dans la journée. “On s’occupe des soins primaires et non programmés, des gens qui n’ont pas de médecins traitants ou qui n’arrivent pas à le joindre”, précise Yves Carcaillet. Ils ne font pas de visites à domicile, ni permanence des soins ambulatoires et pratiquent tous la médecine générale à l’exception d’un pédiatre. Si les périodes de travail sont flexibles, la charge de travail, elle, reste conséquente. Du lundi au vendredi (le cabinet étant fermé le week-end), de 8h30 à 18h, “le centre voit entre 30 et 50 patients” par jour, indique Yves Carcaillet. Avec 15 consultations le matin et 15 consultations l’après-midi en moyenne, le médecin reconnaît que c’était déjà le rythme qu’il avait lorsqu’il travaillait en cumul emploi-retraite. Et même avec l’âge, il assure pour l’instant ne voir “aucune différence” par rapport aux années précédentes. Autre avantage de ce mode d’exercice : les praticiens ne font “que de la médecine”. Ce sont les secrétaires qui s’occupent des rendez-vous et du paiement. “On ne passe pas la carte vitale”, précise Yves Carcaillet.

  50 euros net par heure Concernant la rémunération, les praticiens retraités sont payés à la vacation, à hauteur de 50 euros net par heure. Ce montant a été a été “soumis aux administrations” et défini “avec le Conseil de l’Ordre des médecins”, poursuit Yves Carcaillet. Mais juridiquement, une association n’a pas le droit de percevoir des remboursements d’honoraires via la CPAM. Alors, il a dû trouver un stratagème… Le médecin et le Conseil de l’Ordre ont passé un contrat avec le centre hospitalier d’Albi. “On est un centre de consultations externalisé de l’hôpital d’Albi, ça signifie que c’est l'hôpital qui touche nos honoraires et l’Amra lui envoie une facture tous les mois selon le nombre de consultations et l’hôpital nous la règle”, explique-t-il. L’association s’occupe ensuite de rémunérer les médecins et l’Urssaf. “C’est un peu compliqué mais c’est la France”, résume Yves Carcaillet en riant. “Il n’y a pas d’autres cabinets qui marchent comme cela en France”, poursuit-il.  Pour l’instant, la structure fonctionne grâce à des “crédits expérimentaux de l’ARS” pendant deux ans. “Elle assure la pérennité du centre si jamais on était en déficit à la fin de l’année, ce qui m’étonnerait”, ajoute Yves Carcaillet. “Quand on leur a dit qu’on avait vu 2 000 patients en trois mois, la maire d’Albi nous a dit que dans tous les cas on ne pourra pas fermer le cabinet”, se souvient-il. “Si l’ARS venait à suspendre ses cautions financières, la mairie prendra le relai”, conclut le généraliste, qui voit d’un très bon œil la suite du centre de consultations externes. 

Photo de profil de Fabien Bray
5,8 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 1 an
Marrant de voir à quel point, par fierté et soyons honnêtes, par ennui, des retraités qui ont plus que largement profité de faibles charges et de faibles cotisations (rappelons quand même qu'à l'époqu
Photo de profil de Dela Lie
391 points
Débatteur Renommé
Médecins (CNOM)
il y a 1 an
Cela part certainement d'un bon sentiment (aider la population) doublé d'une retraite mal préparée (ennui-difficile de combler les 50-60h/se qui étaient consacrées au cabinet; regret du statut...) .
Photo de profil de Christiane Kouji
4,1 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 1 an
C'est tout à fait louable.... Mais l'état compte justement sur notre sentiment de culpabilité (totalement indû puisque nous ne sommes pas responsables de la situation actuelle) pour continuer à ne ri
 
Vignette
Vignette

La sélection de la rédaction

Enquête Hôpital
Pourquoi le statut de PU-PH ne fait plus rêver les médecins
14/11/2024
9
La Revue du Praticien
Diabétologie
HbA1c : attention aux pièges !
06/12/2024
0
Concours pluripro
CPTS
Les CPTS, un "échec" à 1,5 milliard d'euros, calcule un syndicat de médecins dans un rapport à charge
27/11/2024
12
Podcast Histoire
"Elle aurait fait marcher un régiment" : écoutez l’histoire de Nicole Girard-Mangin, seule médecin française...
11/11/2024
0
Histoire
Un médecin dans les entrailles de Paris : l'étude inédite de Philippe Charlier dans les Catacombes
12/07/2024
1
Portrait
"On a parfois l’impression d’être moins écoutés que les étudiants en médecine" : les confidences du Doyen des...
23/10/2024
6