Liberté d’installation : pour les patients, il est grand temps d’abandonner les “revendications corporatistes”

21/11/2019 Par Louise Claereboudt
Démographie médicale

Le président de France Assos Santé, Gérard Raymond, tire la sonnette d'alarme après la publication dimanche des résultats d'une enquête BVA montrant que deux Français sur trois (63%) ont déjà dû reporter ou renoncer à des soins, pour raisons financières ou faute de médecins disponibles. Pour mettre fin aux déserts médicaux, il plaide notamment pour une régulation de la liberté d'installation des médecins.     Egora.fr : Les chiffres dévoilés par l'enquête BVA vous ont-ils surpris ? Gérard Raymond : Pas du tout ! Ces chiffres n'ont fait que confirmer ceux de l'année dernière, ceux d'il y a trois ans ou d'il y a cinq ans. On ne voit pas beaucoup d'amélioration. Notre système de santé est atteint d'une pathologie chronique à évolution lente. On voit aujourd'hui que le reste à charge augmente de plus en plus pour les patients, que l'accessibilité à des soins de qualité est de plus en plus difficile, que 50% des Français ne connaissent pas les maisons médicales de garde qu'il y a à côté de chez eux (source : enquête BVA).

Sur ce point, on a aussi un souci d'information et de communication auprès de la population. Et peut-être que là, nous, les associations, avons aussi notre part de responsabilité. Mais malheureusement nous avons aussi nos limites, notamment financières.    Vous réclamez, à nouveau, une régulation à l’installation des médecins... Je crois qu'aujourd'hui, la situation de notre système de santé et de ses acteurs, que ce soient les professionnels de santé ou les patients, est suffisamment grave pour qu'on soit responsable et raisonnable. Je pense qu'on a tout intérêt à laisser ses revendications corporatistes dans sa poche et se mettre autour de la table pour tenter de sauver le système. Il nous faut aborder avec courage des sujets qui ne font pas plaisir à tout le monde : la rémunération à l'acte, l'organisation des soins en équipe et, évidemment, l'installation des équipes de soins sur des territoires donnés. Il n'est pas question d'imposer quoi que ce soit. Il est question de réfléchir avec les parties prenantes à comment nous pouvons faire mieux que ce qui est fait aujourd'hui. Pour cela, on s'appuie aussi sur la note de Bercy qui dit qu'effectivement, il faudrait réfléchir à l'installation de professionnels de santé sur des zones surdotées [Bercy propose une mesure temporaire de conventionnement sélectif, NDLR]. Là où nous avons déjà trop de médecins, trop de spécialistes, ça arrive encore dans certaines zones, pourquoi accepter que d'autres praticiens s'y installent alors qu'ils risquent d'avoir des difficultés économiques ?

Aujourd'hui, il n'y a plus besoin d'avoir de sujets tabous. Et cette question de l'installation, sans pour autant avoir des mesures coercitives, doit être aussi un sujet de négociation.   Ne pensez-vous pas qu'en limitant la liberté d'installation, les médecins se dirigeront davantage vers le salariat, étant donné que des milliers de postes de praticiens sont vacants ? Je ne suis pas sûr. Si on retrouve de l'attractivité à l'initiative libérale, en travaillant en équipe, en ayant aussi des décisions de santé publique, je pense qu'on va permettre aux médecins de...

retrouver l'envie de s'installer dans des territoires qui aujourd'hui sont délaissés. Peut-être alors que le fait d'être "fonctionnaire" ou "salarié" ne sera plus aussi attractif que cela.   La note de Bercy indique notamment que les mesures incitatives de l'État n'ont pas été suffisantes, voire inefficaces. Pourquoi ces mesures ont-elles été un échec ? Parce qu'elles n'ont été que des mesures incitatives financières. Elles n'ont absolument pas été réfléchies. Si vous voulez que les professionnels de santé travaillent de manière efficace, il faut qu'ils retrouvent du sens à leur métier. Et ce n'est pas en saupoudrant un peu d'argent qu'on va parvenir à retrouver de l'attractivité. Nous avons pris depuis des années et des années certaines mesures incitatives mais le résultat n'est pas à la hauteur des attentes. Comme je le disais, pour nous le mal est beaucoup plus profond.   Comment serait-il possible d'améliorer l'attractivité de certains territoires ?  Il n'y a pas de schémas déjà tracés. Mais je fais confiance à l'intelligence collective. Si nous mettons sur un territoire donné, tous les acteurs de la santé et si nous réfléchissons ensemble à comment nous pouvons améliorer le travail en commun, comment nous pouvons améliorer la liaison avec l'hôpital, comment nous pouvons nous répartir les tâches équitablement, là je suis persuadé que l'on va retrouver l'envie de travailler ensemble. Et peut-être que les solutions que l'on trouvera dans les hautes vallées de l'Ariège ne seront...

pas les mêmes que celles que l'on trouvera dans le XIIIe arrondissement de Paris. Mais l'essentiel est que tous les patients aient des réponses à leurs attentes et à leurs besoins. Sur ce point, je pense que l'État et les institutions régionales, l'ARS entre autres, ont une responsabilité pour impulser ce mouvement. Par exemple, il faut accélérer la création des CPTS. Les CPTS sont des maisons, il faut maintenant les meubler.

Quelles pourraient être les autres solutions pour lutter contre les déserts médicaux ? Il est aussi question de vivre avec son temps. Et vivre avec son temps, c'est aussi vivre avec les nouvelles technologies. Bien sûr, je comprends la position des professionnels de santé qui ne veulent pas aller s'installer dans certaines zones et je ne souhaite pas envoyer non plus les médecins au sommet du Mont-Blanc ! Il faut donc trouver des solutions adaptées à chaque territoire. Pour les maladies chroniques par exemple, on peut avoir un suivi qui se ferait autrement qu'en passant par la consultation. La télémédecine existe, il faut certainement aussi s'appuyer dessus. Ça fait partie des outils à multiplier. Je ne comprends pas encore aujourd'hui pourquoi dans tous les Ehpad il n'y a pas une infirmière formée réservée à la télémédecine. Ce devrait être obligatoire ! Pourquoi dès qu'une personne âgée ne se sent pas bien, on appelle l'ambulance et hop aux urgences ? Il faut s'emparer de ces outils, sinon des acteurs privés le feront. Et en ce monde-là, on aura perdu notre système de santé fondé sur la solidarité et la répartition. Il faut accélérer la mise en place d'outils qui sont dans le plan Ma Santé 2022, comme les plateformes numériques. Dans le cadre de la formation initiale et continue des médecins, il faut également mettre en place des nouveaux modules qui seront adaptés à notre époque, si ce n'est pas déjà trop tard. Par exemple, l'utilisation de l'informatique, apprendre à recueillir et envoyer des données de santé, comprendre et appréhender la télémédecine. De même, on doit pouvoir mieux organiser les structures d'accueil. En inventant par exemple, l'hôpital du XXIe siècle. Pourquoi passer trois quarts d'heures en salle d'attente pour avoir un lit ? On peut de nos jours facilement réserver un billet d'avion, de train, avec internet, pourquoi ne pourrait-on pas réserver une chambre à l'hôpital ?  

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