"Si les médecins ne se réveillent pas, il ne leur restera que les yeux pour pleurer"

11/09/2019 Par Aveline Marques
Urgences

Vous avez été nombreux ces derniers jours à réagir aux annonces faites par Agnès Buzyn en réponse à la crise des urgences. La volonté ministérielle de déléguer davantage de compétences aux infirmières cristallise les tensions, réveillant chez les médecins, en particulier les généralistes, la crainte d'être les grands perdants d'un système en pleine "refondation". Renvoi des cas non urgents vers les médecins de garde, coup d'arrêt à l'intérim médical, montée en compétences des infirmières et des kinés, biologie délocalisée au cabinet… Les mesures présentées ces derniers jours par Agnès Buzyn en réponse à la crise des urgences sont loin de vous avoir convaincus. La création du métier d'infirmière en pratique avancée, notamment, soulève son lot de questions et de doutes : s'agit-il de former des "sous-médecins"? quid de la responsabilité des actes ? quelle place pour le généraliste? Voici une sélection de vos commentaires.    

"Dérembourser les actes au motif bidon"

Par Ysbredoc

"Nous sommes sauvés ! MDR ! Tout ça pour ça ! Allons-y gaiement : - Admission directe en lit d'aval !? ... Super idée, ça fait 20 ans qu'on supprime des lits, obligeant les patients à passer et stagner aux urgences ! On fait comment ? - Biologie délocalisée ... mouais, avec des résultats rapides comme aux urgences ... on demande à voir ! Et lorsque les D-Dimères ou la Troponine ne seront pas dans les clous ... retour à la case ...urgence ! - Tiers-payant sur les gardes de ville ? ... ne faudrait-il pas plutôt dérembourser une partie des actes de médecine de ville faits aux urgences lorsque le patient vient pour un motif "bidon", genre ce soir chez nous : des boutons qui ne passent pas malgré trois ordonnances de dermatologues ... l'urgentiste serait meilleur que le spécialiste ? - Sutures, radios et plâtres par les IDE, tout à fait d'accord ... mais sous leur seule responsabilité, ce qui ne sera jamais le cas ! Je préfère alors tout faire moi-même ! - IIDE en pratique avancée, avec des algorithmes ... oui, mais ... sous leur propre responsabilité ? ... je doute que non ! Mais, j'y suis, en fait un bon logiciel + 1 IDE, ça remplace un médecin, j'avais oublié ! On peut faire mieux : ni IDE ni médecin, juste une bonne application sur smartphone pour remplacer 10 ans d'études et 25 ans d'experience ! - Gestion informatisée des lits d'aval ... retour à ma première remarque : il n'y a pas de lits ! - Le VSL pour amener le patient au MG de garde ... oui, mais plus de garde de MG passé minuit chez nous ... Réflexions d'un petit urgentiste de province praticien attaché"    

"Dépeçage du métier de médecin généraliste"

Par Latifa_P_1

"Le Samu devient 'Uber taxi' et le médecin urgentiste devient 'IPA'. Le nivellement par le bas continue, ainsi que le dépeçage du métier de médecin généraliste. Avec tous ces non-médecins autorisés à pratiquer la médecine, on peut comprendre que beaucoup de médecins, ne désirant pas servir de boucs-émissaires, ne veuillent plus signer les formulaires "médecin traitant".
Parce que, Buzyn décrète qu'un non médecin peut prescrire, suturer bref pratiquer la médecine mais elle ne dit pas qui est responsable en cas de problèmes ! On a obligé des laboratoires de biologie à se regrouper pour une histoire de label de qualité, les laboratoires sont devenus de simples lieux de prélèvement et maintenant, ils veulent que les médecins généralistes transforment leurs cuisines en laboratoires de biologie. De même, on veut obliger les médecins à se regrouper dans des CPTS et transformer les pharmacies en cabinets médicaux sans médecins. L'argent va à l'hôpital et c'est aux médecins de ville de faire encore plus de sacrifices. Chez ces gens-là, on marche sur la tête; heureusement que d'autres préfèrent courir sur leurs deux jambes pour s'éloigner le plus vite possible de ce système de santé en perdition."    

"Ce qu'Agnès Buzyn décrit, le privé le fait déjà"

Par Medkate

"Urgentiste, j'ai quitté le public où les postes étaient payés au lance-pierre et les collègues se tiraient dans les pattes pour s'arracher un quart temps car ils n'avaient jamais exercé ailleurs (ambiance!). Maintenant je quitte le privé car ce que Agnès Buzyn décrit, le privé le fait déjà. Dès l'admission, les patients sont vus par l'infirmière d'accueil et d'orientation qui prescrit les radios, les pansements, la biologie, etc. Nombreux sont les patients que le médecin ne voit jamais au retour de sa radio 'thérapeutique' Le manip radio n'a rien vu à la radio, donc c'est bon, ils peuvent partir!  Par contre, je vois des bilans biologiques pour constipation simple, et le système a médicalisé un grand nombre d'angoissés pour qui la clinique aurait suffi. A vouloir améliorer le temps de passage, on alourdit les consultations, ce qui coûte à l'Etat (on devrait lire... le contribuable) et à mon moral. Quand des patients impatients me demandent s'il faut être mourant pour être vu, je leur réponds : 'justement, oui!'. Un seul patient n'a pas cru bon devoir justifier sa présence aux urgences lors de ma dernière garde : il faisait un syndrome coronarien aigu. Il n'avait pas besoin de se justifier. Pourtant, je suis dans le privé et payé à l'acte! Mais ça me gonfle quand même de renouveler une ordonnance en milieu de nuit. Tout comme je déteste refuser des patients au Samu car je n'ai pas de lit d'aval. Mais au moins, dans le privé, je peux anticiper les difficultés de lit, que subissent les soignants du public. Le système est pervers et le naufrage assuré. Dans le public, la moitié de la rémunération d'un urgentiste provient des indemnités de garde. Alors que le reste du monde a compris que travailler en 24h est dangereux pour la santé des patients et celle des médecins, nous nous accrochons à ce système car notre portefeuille en dépend. Idem pour le nombre de passages 'non-urgents' aux urgences. La masse salariale dans un service dépend du nombre total de passages dans l'année, avec peu de distinction entre le nombre de passages urgents (CCMU 3 ou plus) et le nombre de passages non urgents (CCMU 1 ou 2). Donc on a créé un besoin et on continue de l'alimenter pour justifier du nombre total de postes. Après 10 ans d'urgences, je suis désabusée. Nos urgences ont besoin d'être complètement rénovées. Un simple pansement - sous la forme d'une IPA - ne suffira pas à réanimer les urgences. Cette annonce choc, certes corporatiste, ne fait que continuer à dévaloriser le travail des urgentistes et des médecins de façon générale, sans amélioration prévisible de la prise en charge des patients ou de la qualité de vie des médecins ou des infirmières."    

"Prescrire un examen sur protocole est à la portée de tout le monde"

Par Michel R.

"L'enfer est pavé de bonnes intentions ! Les IPA, ce pourrait être bien. Mais comme les sages-femmes, les IBODE et les IADE, il leur faut autonomie et homogénéité dans le groupe. Elles ne doivent pas gérer un groupe d'infirmier(e)s’subalternes'. Le flux des urgences est surtout ralenti par le nombre de salles d'accueil et de 'mains' disponibles, au moins autant que par la pénurie de lits d'aval. Prescrire un examen dans des situations protocolisées est à la portée de tout le monde ayant reçu une formation et c'est déjà ce que font les médecins. Suturer la plaie d'un enfant nécessitera toujours le concours de plusieurs soignants. Si l'IPA doit être le 'caporal' ou le 'lieutenant' d'une équipe de soignants, cela ne sert à rien. Si l'IPA 'remplace' le médecin, idem. C'est une équipe d'IPA qu'il faut aux urgences, dimensionnée comme l'équipe médicale au nombre de passages en respectant les pics de fréquentation et pas les moyennes statistiques si chères aux 'tableurs' des tutelles."    

"L'objectif, c'est de diminuer le pouvoir médical"

Par Lolahc

"L'annonce de Buzyn n'a aucun rapport avec les urgences. C'est une message corporatiste pour les infirmières, comme il y en a eu pour les sages-femmes depuis des années. L'objectif, très clair, c'est de diminuer le fameux 'pouvoir médical' en donnant à n'importe qui le droit de faire n'importe quoi. Pendant ce temps, un généraliste installé depuis 20 ans n'a pas le droit de devenir gynéco ou ophtalmo même là où il n'y en a plus, même à temps partiel. Cela fait plus de 40 ans que l'on démonte la médecine (numerus clausus, internat obligatoire, spécialisations étanches, requalification des paramédicaux...). Quand y aura-t-il un syndicat ou un ordre (à 330€/an quand même) capable de défendre cette profession ? Si les médecins ne se réveillent pas, il ne leur restera que les yeux pour pleurer et les procès pour se retrouver au trou. Il faut absolument se dresser contre cette démagogie. Grève générale je ne vois que cela !"    

"Arrêtons le corporatisme"

Par Cécile J.

"C'est ce que font déjà les infirmières libérales en assurant la continuité des soins 7j/7, en étant déjà acteurs de soins de 1er recours gratuitement. Bien souvent, pour ne pas dire tout le temps, il n'y a aucun médecin généraliste consultable le dimanche (car non organisés entre eux pour assurer une continuité des soins et je crois à ce jour une aberration car non autorisés à consulter le dimanche...). Accepter une coopération entre professionnels de santé avec des protocoles bien cadrés et écrits ne vous enlèvera en rien vos consultations à 25 euros et plus. Ou alors organisez-vous pour assurer des consultations 7j/7... Arrêtons le corporatisme et agissons dans l'intérêt des patients et non pas l'intérêt d'une chasse gardée médicale qui n'assume pas sa place en refusant de s'organiser... Personne ne prendra la place des médecins. La solution doit venir des médecins généralistes eux-mêmes, en concertation avec les autres professionnels de santé. Heureusement, certains endroits s'y sont mis... Et pas des politiques qui n'y connaissent rien. A chacun son métier, à chacun de le prendre en main."    

"En fait de super infirmiers, Buzyn crée des sous-médecins"

Par Chris 34

"En fait de super infirmiers, Buzyn créé des sous-médecins qui feront des sous-diagnostics et des sous-traitements. Le nivellement par le bas a fini par banaliser diagnostics et traitements. Quand je pense à la trouille que j'ai toujours eue, lors de chaque consultation, conscient des lacunes que m'avaient laissé mes 10 ans d'études et 30 ans d'exercice de la médecine générale, je ne peux qu'être effrayé par l'inconscience des uns et l'irresponsabilité de l'autre. Attendons les catastrophes et les médecins aux pieds nus..."    

"A quel moment on responsabilise le patient ?"

Par Eric_B_6

"Mais à quel moment on responsabilise le patient ? Que les exigences de soins immediats, de bilans tirés de sites internet ne sont plus de mise... Il y a l'urgence et ce qui peut attendre. Je constate régulièrement qu'un patient à qui j'ai donné RDV le lendemain, voir le soir du même jour, passe par les urgences parce que plus simple.

J'ajoute qu'il est impossible désormais d'obtenir en ville des examens complémentaire en urgence. Si l'on suspecte une pathologie nécessitant imagerie ou biologie....quand bien même le médecin appelle, il s'entendra repondre 'pas de place, envoyez aux urgences'... Donc IPA pourquoi pas, mais les mentalités ne changeront pas. Et vous placez sur le medecin une nouvelle casquette pour laquelle il n'est pas fait : chef d'équipe."    

"Oui, il y a de tout chez les IDE, mais c'est aussi vrai chez les médecins"

Par Christopher D.

"Tristes réactions à lire. Les IPA ne sauveront probablement pas les urgences, certes, mais l'officialisation de ce statut ne servira qu'à reconnaître des pratiques qui se retrouvent déjà dans nos urgences quotidiennement. Les IPA, des sous-médecins, vraiment ? Faut-il être docteur en médecine pour avancer une radio sur une suspicion de fracture ou luxation ? Une imagerie pour une céphalée suspecte ? (Elles le sont pratiquement toute de toute manière.) Faire une NIHSS pour une suspicion d'AVC ? Un ECG pour une douleur thoracique ? Idem pour la biologie chez une douleur thoracique typique ou abdominale ? Pourquoi râler puisque de toute façon, ils auront une bio... J'ai lu dans un commentaire que la clinique suffisait souvent à poser un diagnostic, ce qui est aussi vrai pour l'interrogatoire, qui est bien suffisant dans la majorité des cas. Seulement voilà, j'ai bien vu des vrais docteur en médecine prélever des gastro entérite typique, en pleine épidémie et notion de comptage, d'autres irradier pour la énième fois des migraines chez des patients chroniques, et le fin du fin, des premiers épisodes migraineux rentrés chez eux sans images et revenir pour au final retrouver une thrombose cérébrale. Oh, et je ne compte plus les suspicions d'appendicite confiés la nuit par des médecins de SOS, pour des douleurs abdominales parfois farfelues, dont les patients n'ont d'ailleurs pas été examinés, mais ont bien payé une consultation par un médecin qui s'est simplement contenté d'écrire 'Suspicion d'appendicite' sur un courrier. Allez admettez-le, en tant que paramédical, j'ai les compétences pour effectuer ce genre de 'conclusion', non? Et que dire des médecins qui concourent à celui qui verra le moins de patients, ceux qui prélèvent et irradient tout le monde VS ceux qui n'explorent rien et font rentrer tout le monde avec des retours parfois bien tristes, ceux qui ne comprennent rien de leurs patients et qui ne peuvent plus se passer de Google, qui comparent des ECG avec ceux retrouvés sur Internet (Merci Dr Taboulet ;), les médecins de ville qui envoient les troponine ou Ddimères au plafond, le tout avec une clinique douteuse, aux urgences par leurs propres moyens au risque de se planter en chemin, et ne parlons pas de ceux qui confondent une belle paralysie faciale centrale et une paralysie périphérique, hors délais de prise en charge bien sûr, ceux qui confondent urgences et médecine interne, ceux qui voient 3 patients dans la journée sans oublier les radiologues qui ne veulent voir aucun patient de la nuit, etc. Alors oui, il y a de tout chez les IDE c'est vrai, mais c'est aussi vrai chez les médecins. Un autre commentaire invitait les maçons à venir poser des plâtres, tournant ainsi en dérision les paramédicaux qui effectuaient ces actes. Eh bien rassurez-vous, il s'agit à vrai dire d'une spécialisation de paramédicaux formés à la pose de plâtre, les gypsothérapeutes ; votre maçon peut travailler tranquillement sur ses chantiers. Par ailleurs, comme pour la pose de points de suture, de colle ou d'agrafes (votre couturière peut rester derrière ses ourlets) et bien d'autres actes, il ne s'agit que de technique, des brancardiers secouristes militaires savent poser des cathéters intra osseux et intuber des patients en situation d'urgence sans aucun problème. Ils n'ont fait ni médecine, ni d'études en soins infirmiers. Il y a quelques mois, un infirmier sapeur-pompier volontaire, Iade de profession, a osé intuber un patient en ACR alors que le Smur tardait à venir. Il s'est attiré les foudres médicales du Smur local... Bref, arrêtons cette guéguerre débile, la profession infirmière passera forcément par davantage de délégation d'actes médicaux comme ce fut le cas pour la pose de perfusion. De fait, aux urgences notamment, les infirmiers seront de plus en plus amenés à effectuer des actes autrefois réservés aux médecins, et pourquoi pas, gérer des patients aux recours simples (une gastro, un pyrosis, une constipation, etc.) sous l'encadrement des médecins, qui eux, auront ainsi plus de temps pour gérer les cas plus complexes, naturellement plus intéressants."

Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?

François Pl

François Pl

Non

Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus

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