"J'ai saisi l'occasion de faire des choses" : confidences d'un jeune généraliste au ministère
L'histoire ministérielle du Dr Dauberton, médecin généraliste dans un petit village de la Marne, commence un samedi du mois de mai. Alors qu'il est en voiture, son téléphone se met à sonner. Numéro inconnu. "Bonjour, c'est Agnès Buzyn." La ministre de la Santé a été nommée il y a seulement quelques jours. Le jeune généraliste pense d'abord à une blague, évite de poser la question, et décide de se garer un instant. "Je voudrais que vous intégriez mon équipe." Abasourdi, Jacques-Olivier Dauberton demande s'il peut prendre un peu de temps pour réfléchir à la proposition. "Oui, vous avez jusqu'à cet après-midi", répond Agnès Buzyn. Il est alors 11 heures. "Là, j'ai eu un reflexe un peu basique de garçon : j'ai appelé ma mère", confie le Dr Dauberton, 37 ans, dans un sourire. Sauf que sa mère vit en Guadeloupe, où c'est encore la nuit, et qu'elle dort. "Elle ne m'a pas répondu. Donc j'ai appelé ma femme, qui est aussi médecin." Après un troisième coup de fil à la coordinatrice de la maison de santé où il travaille, sa mère le rappelle enfin. "Vas-y !", tranche-t-elle. "Du coup, j'ai dit ok à Agnès Buzyn."
Du chamboulement s'annonce à la maison de santé de Saint-Rémy-en-Bouzemont. Voilà trois ans que le Dr Dauberton a posé sa mallette dans ce village de 500 habitants, et s'est démené pour créer la structure et faire venir d'autres professionnels de santé. Un événement dans ce territoire rural, à une heure de voiture de Troyes ou de Reims, où résident d'ailleurs le généraliste et sa famille. Une chance que les habitants semblent avoir oubliée. Depuis le premier tour de l'élection présidentielle, et la qualification de Marine Le Pen, le Dr Dauberton entend des patients qui se sentent abandonnés, oubliés, délaissés. Le discours de la candidate d'extrême droite prend. "Je suis noir ça se voit un peu, plaisante le généraliste. Et pourtant, j'ai eu des patients qui m'expliquaient pourquoi ils votaient Front National. On sentait une vraie fracture." C'est une période de profond questionnement pour le jeune médecin et ses confrères. "On se demandait comment faire avancer les choses. On avait évoqué l'idée d'envoyer un courrier au ministère de la Cohésion des territoires pour proposer un travail sur les maisons de santé", se souvient-il. Alors, dans ce contexte-là, une proposition comme celle d'Agnès Buzyn ne se refuse pas. Mais tant que sa nomination n'est pas parue au Journal officiel, hors de question pour le généraliste d'en parler à ses patients, ni même aux collègues. Les premiers jours, il faut donc faire comme d'habitude tout en songeant à l'épreuve qui vient. "Entre le coup de fil et la nomination, il y a eu trois semaines. La première semaine, j'ai travaillé au cabinet et personne ne savait sauf ma coordinatrice. On a eu quelques jours pour organiser le plus possible la suite", se souvient Jacques-Olivier Dauberton. Lors de son annonce aux élus, il sent un moment de panique : la ministre créerait des déserts médicaux en prenant les jeunes médecins installés ? "En fait, depuis que je suis parti, je me suis fait remplacer. Il y a toujours eu un médecin. Et il y en a même qui pensent à s'installer", explique-t-il, avant d'ajouter en souriant : "Peut-être que c'était bien que je me barre." En charge de l'accès aux soins, et des crises sanitaires, le Dr Dauberton est très vite "rentré dans le concret". Les crises sanitaires ne se font pas attendre. L'ouragan Irma frappe Saint-Martin et la Guadeloupe. Quelques semaines plus tard, un incendie détruit le CHU de Pointe-à-Pitre. "A cette occasion, on est allés en Guadeloupe avec la ministre et j'ai pu aller voir ma mère avec l'équipe. C'était marrant de revenir à la maison, certes dans un contexte particulier, mais de revenir quand même. Ça restera un bon souvenir. Enfin, surtout pour ma mère." Le plan d'accès aux soins est une priorité du ministère. Présenté en octobre, il a été pensé dès les premières semaines du nouveau quinquennat. "L'idée c'était que le plan soit pragmatique et concret. On ne voulait pas d'un énième plan, mais voir concrètement les expériences et les freins sur le terrain. Globalement, les bonnes idées sont sur le terrain, mais personne n'est au courant que ça se passe. Ça ne remonte pas", confie le Dr Jacques-Olivier Dauberton. Il multiplie les rencontres, les déplacements, les échanges. Et découvre au passage les carcans de l'administration. "J'ai découvert les différentes directions, les interactions entre les ministères, la vie gouvernementale… tant qu'on ne l'a pas vécu, c'est compliqué de savoir ce qu'il se passe. C'est un apprentissage de ce qu'est ce monde particulier, un peu à part", raconte le médecin. Pour autant, il estime que son expérience de généraliste le sert dans son travail quotidien au ministère. "En tant que médecin, on connait le compromis, souligne-t-il. Quand on voit un patient qui dit qu'il ne boit pas, et descend en fait trois bouteilles par jour, on sait qu'on part mal. De base. Soit on s'oppose à lui, on passe pour quelqu'un de rigoriste et on n'arrivera pas à le faire avancer, soit on réfléchit à comment avancer ensemble. L'idée, ce n'est pas d'être dans l'opposition mais plutôt de trouver la façon de faire avancer les choses. On est dans une période favorable au compromis et il faut l'utiliser."
D'autant que la discussion et la négociation sont des arts que le Dr Jacques-Olivier Dauberton maîtrise. Il a déjà eu l'occasion de le prouver lors de son passage à la présidence de Réagjir en 2014. "Il a une intelligence politique indéniable, se souvient le Dr Lucas Beurton, à qui il a succédé à la tête du syndicat. Il sait négocier, il sait imposer des propositions. Quand on travaillait sur les Praticiens territoriaux de médecine générale [PTMG], il a su construire des choses qui font aujourd'hui partie du paysage. C'est quelqu'un de très volontaire, et à l'aise avec tout type d'interlocuteurs." Même son de cloche du côté du Dr Yannick Schmitt, élu à la présidence du syndicat à l'automne dernier. "Sa qualité première, c'est incontestablement l'écoute et le dialogue. C'est une grande qualité. Il est toujours content de rencontrer quelqu'un", témoigne le Dr Schmitt. "J'ai fait médecine générale pour rencontrer des gens", abonde le Dr Jacques-Olivier Dauberton. Et c'est encore ce qui l'anime dans son travail au ministère. "Certaines réunions sont ennuyeuses, admet-t-il. Mais ce qui me passionne, c'est que quoi qu'il arrive, on rencontre plein de gens, on voit des expériences… Et notre rôle c'est d'être nourri par tout ce que ces personnes nous apportent pour pouvoir le traduire en quelque chose de cohérent sur le territoire". Etre à l'écoute du terrain, et en même temps, faire preuve de pédagogie face aux élus qui réclament un médecin par village quitte à en passer par la coercition. Et là, son expérience de généraliste de terrain lui permet d'avoir les idées claires. "Il y a une part d'idéologie dans la volonté de coercition de certains élus. La seule façon d'y répondre, c'est d'apporter des réponses concrètes. C'est la meilleure réponse, sans posture. Et ça peut les faire changer de vision", explique-t-il avec conviction. "J'ai été surpris d'avoir à expliquer, dans certaines conversations, qu'on a six ans d'études et trois ans d'internat. C'est parfois cette méconnaissance de l'exercice et de la pratique qui nous bloque", confie le Dr Dauberton. Même son de cloche du côté de son confrère le Dr Lucas Beurton. "Personne ne sait ce que fait un médecin généraliste. On a encore besoin de reconnaissance, assure le médecin aujourd'hui installé dans un village du Finistère. Et là, Jacques-Olivier Dauberton peut apporter un éclairage sur notre spécialité." Une légitimité reconnue par ses confrères, qui n'empêche pas les désaccords ou les tensions lorsqu'il s'agit d'envisager l'évolution du système de santé. "Les gens sont contents de me voir", avance le Dr Dauberton dans son habit de conseiller ministériel. "Personne n'a brûlé des voitures en apprenant ma nomination. Enfin, je ne crois pas. Ou je ne suis pas au courant", plaisante-t-il. D'autant qu'il sent une évolution des postures. "Les syndicats se rendent compte qu'il est nécessaire d'évoluer sur certaines choses. On arrive au bout d'un système. Faut-il l'aménager ? En changer ? C'est aux acteurs de nous le dire. J'en suis un, et je suis convaincu qu'il faut mettre un peu plus de forfait. A quelle hauteur ? Quand la question du curseur se posera, on sera peut-être dans une discussion plus dure, mais pour l'instant je sens les gens ouverts."
Dans ce système de santé du nouveau monde, le Dr Dauberton imagine aussi des médecins enthousiastes à l'idée de faire de la délégation de tâches, la fin des querelles ville-hôpital… "Il faut casser les barrières entre les gens, faire de la coordination. Il faut se connaître les uns les autres, et faciliter les interactions entre les gens", plaide-t-il, avant d'ajouter avec malice : "Après, on ne pourra pas régler les problèmes d'ego, c'est un problème à part." Dire que le chantier auquel s'attaque le médecin est vaste serait un euphémisme. Mais il assure avoir l'énergie pour le mener. "S'il a un défaut, c'est qu'il peut être hyperactif, se souvient l'ex président de Réagjir Lucas Beurton au sujet de son ex vice-président. Il peut être fatigant Mais on a les défauts de ses qualités, tout dépend du contexte..." "Dire qu'on a un rythme léger ? Non. Mais ce n'est pas l'endroit pour", confirme le Dr Dauberton qui assure trouver sa force dans l'enthousiasme de son équipe, la bonne humeur et les franches rigolades, les bonbons et la fierté non avouée de sa mère. En contrepartie, il y a les nuits sans sommeil et l'éloignement de sa famille. Quand il a créé sa maison de santé dans la Marne, il a tenu à garder du temps pour les siens. Pas question de passer ses soirées au cabinet sans voir grandir ses enfants, comme tant de médecins avant lui. Il ne travaille pas le mercredi, prend un samedi sur deux et quitte le cabinet à 19h30. Une petite heure de route, et le voilà chez lui, à Reims. Une routine clairement bousculée depuis un an. "Le temps pour ma famille ? Je n'en ai plus, admet-t-il. Je remercie la technologie, qui me permet pendant la semaine de voir mes enfants et ma femme qui sont restés à Reims. Notre vie est là-bas." Une vie à 45 minutes de TGV, qu'il s'efforce de prendre tous les week-ends pour assister à la chorale de sa fille, pour passer du temps avec son fils. Pour, aussi, ne pas s'enfermer dans la bulle du ministère. En acceptant la proposition d'Agnès Buzyn, le médecin a quitté "un monde de campagne, de contacts, d'histoires humaines". "Ce qui me manque, ce sont les consultations", confie-t-il. D'ailleurs, il n'a pas lâché son cabinet. Quand on cherche à joindre le médecin de Saint-Rémy-en-Bouzemont, on tombe toujours sur "le secrétariat du Dr Dauberton". Ses remplaçants ont juste dégoté un contrat un peu plus long qu'à l'accoutumée.
Celui qui se définit "avant tout" comme médecin imagine-t-il un retour en cabinet après cet épisode ministériel ? "J'ai l'impression que ça fait tellement longtemps que je n'au pas vu un patient que je serais tout intimidé. J'ai l'impression qu'il faudrait que je fasse un stage pour réapprendre", glisse-t-il avec humilité. Mais le conseiller ministériel préfère ne pas faire "de plans sur la comète". D'autant qu'à Saint-Rémy, des médecins pourraient bien s'installer et occuper la place. Le généraliste garantit qu'il pense avant tout au présent, et à la mission qui l'occupe. "C'est une expérience qu'on ne fait qu'une fois dans sa vie, souligne-t-il. J'ai saisi l'occasion de faire des choses. La priorité c'est la question de l'accès aux soins. Si on ne répond pas à la demande qui nous est faite, on va devoir prendre des positions assez dures, qui ne serviront à rien… Là, on a une fenêtre de tir pour faire avancer les choses. On vit un moment particulier."
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