L’axe intestin-cerveau, en voie de défrichement

26/11/2019 Par Brigitte Blond
Neurologie Recherche
La communication entre intestin et cerveau est à l’évidence bilatérale, l’intestin, à travers son microbiote étant lui aussi capable d’envoyer des messages au cerveau via le système nerveux autonome (SNA).

  Le développement et la plasticité du cerveau sont éminemment dépendants de stimuli extrinsèques et intrinsèques, ces derniers étant véhiculés notamment par les millions de neurones (autant que dans le cerveau !) abrités dans l’intestin. Par ailleurs, le système immunitaire, modulé par ce microbiote intestinal, influence lui aussi les évènements cérébraux, battant en brèche l’idée ancienne que le cerveau protégé par la barrière hémato-encéphalique est totalement étanche. Voyage en terra plus si incognita avec le Pr Chantal Henry*, qui est psychiatre au Centre Hospitalier Sainte Anne (Paris), directrice scientifique de la Fondation Pierre Deniker.00   Egora Panorama du Médecin : Concernant les relations entre intestin et cerveau, quelles sont les certitudes aujourd’hui ? Pr Henry : C’est sur le terrain du stress et de la dépression que l’hypothèse de liens entre l’intestin et le cerveau a été pour la première fois évoquée, puis confortée… Et tout naturellement, c’est sur la souris que la preuve de concept a été faite : en transférant le microbiote de souris “stressées“ à des souris saines, on induit chez elles un phénotype dépressif et des modifications cérébrales qui correspondent à des modèles classiques de souris dépressives, avec une diminution de la neurogénèse dans l’hippocampe. On sait par ailleurs que les modèles animaux de dépression provoquée par le stress ou des drogues présentent une dysbiose. Chez l’Homme, où les études sont encore peu nombreuses, on constate une dysbiose chez les patients déprimés ; et chez les personnes qui souffrent de troubles intestinaux, davantage de dépression associée. Reste à déterminer qui de la dysbiose ou de la dépression est cause ou conséquence !
L’étude du microbiote a par ailleurs stimulé le champ de l’immunopsychiatrie : un syndrome inflammatoire est souvent accompagné de symptômes de dépression et à l’inverse, une inflammation de bas grade avec un profil spécifique, CRP élevée et modifications des cytokines, est fréquemment retrouvée chez les patients dépressifs. Chez la souris, des travaux récents ont montré que des modifications du microbiote pouvaient être un facteur de résistance aux antidépresseurs en réduisant notamment la concentration de tryptophane (précurseur indispensable à la synthèse de sérotonine), à l’origine d’une moindre efficacité des ISRS (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine).   Quelles nouvelles pistes de recherche ?   Si des liens entre microbiote et dépression ont été mis en évidence, il reste toutefois à comprendre comment une dysbiose intestinale peut modifier l’activité neurale et être un facteur de vulnérabilité pour des maladies mentales. Au-delà de la dépression en effet, des interactions intestin/cerveau semblent exister dans d’autres pathologies comme...

la schizophrénie, les troubles autistiques ou des pathologies “purement“ neurologiques telles qu’une épilepsie ou un Parkinson. En ce qui concerne l’autisme, pour lequel la composante génétique est forte, la part du microbiote dans sa genèse ou son évolution doit être étayée. Cette pathologie apparaît tôt, est caractérisée par des anomalies fonctionnelles et structurales du système nerveux central (SNC), stables, à la différence de la dépression, évolutive. On ne peut donc pas tabler ici sur des modifications majeures en modifiant le microbiote. Ce dont on est sûr, en revanche, est que, dans la genèse de nombreuses maladies psychiatriques, une inflammation de bas grade est présente, que l’on mesure par des marqueurs périphériques… Mais que se passe-t-il dans le SNC ? Des altérations immuno-inflammatoires produites par la microglie dans certaines zones cérébrales altèreraient le bon fonctionnement neuronal et sa plasticité. Donner des anti-inflammatoires à action périphérique n’est pas forcément pertinent puisque cette inflammation est localisée au niveau du SNC. Ce que l’on explore à l’heure actuelle, est le potentiel anti-inflammatoire cérébral de certaines molécules à action psychotrope comme le lithium, ou la kétamine, un ancien anesthésique, efficace (rapidement, mais fugacement) sur les dépressions résistantes, via des voies immuno-inflammatoires, ce qui a été démontré chez l’animal. Le lien ? Le microbiote, qui participerait à la régulation du système immuno-inflammatoire. Autre voie innovante, celle de la stimulation du nerf vague, liaison directe entre l’intestin et le SNC, efficace dans certaines formes de dépressions résistantes. Des études chez la souris montre qu’une section du nerf vague modifie des marqueurs cérébraux de l’inflammation.   Quelles applications en pratique ?   Alors qu’on était jusqu’ici dans le tout monoaminergique pour traiter la dépression, avec des médicaments qui ciblent exclusivement la sérotonine, la dopamine ou la noradrénaline, ces travaux ouvrent de nouvelles perspectives en visant le système immuno-inflammatoire du SNC par la stimulation du nerf vague ou de nouvelles molécules.    *Le Pr Henry déclare n’avoir aucun lien d’intérêts concernant les données présentées dans cet article

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