Dénutrition et cancer
Avec le soutien institutionnel du Syndicat Français de la Nutrition Spécialisée et des Entreprises de la Nutrition Clinique
La dénutrition est un état pathologique qui se manifeste d’abord par une perte de poids, suivie de complications graves, telles que la fonte musculaire.
Elle entraîne notamment une réduction des défenses immunitaires, une augmentation du risque d’infection ainsi qu’une diminution de la force musculaire et de la mobilité. De plus, cette condition affecte la qualité et l’espérance de vie. Les populations âgées et les patients atteints de cancer sont particulièrement vulnérables à la dénutrition, ce qui entraîne de nombreuses répercussions sur leur santé.
Définition et diagnostic de la dénutrition
La HAS définit la dénutrition[1] comme l’état d’un organisme en déséquilibre nutritionnel, caractérisé par un bilan énergétique et/ou protéique négatif. Le diagnostic de dénutrition nécessite la présence d’au moins un critère phénotypique et un critère étiologique.
Chez l’adulte entre 18 et 70 ans*, les critères phénotypiques sont les suivants :
- perte de poids ≥ 5 % en un mois ou ≥ 10 % en six mois ou ≥ 10 % par rapport au poids habituel avant le début de la maladie ;
- IMC < 18,5 kg/m2 ;
- réduction quantifiée de la masse et/ou de la fonction musculaires.
Les critères étiologiques sont les suivants :
- réduction de la prise alimentaire ≥ 50 % pendant plus d’une semaine ou toute réduction des apports pendant plus de deux semaines (par rapport à la consommation alimentaire habituelle quantifiée, ou aux besoins protéino-énergétiques estimés) ;
- absorption réduite (malabsorption/maldigestion) ;
- situation d’agression (hypercatabolisme protéique avec ou sans syndrome inflammatoire) : pathologie aiguë, pathologie chronique évolutive ou pathologie maligne évolutive.
- * Des recommandations de la HAS existent également pour les enfants et les personnes de 70 ans et plus.
Prévalence de la dénutrition chez les patients atteints de cancer
La dénutrition peut toucher jusqu’à 75 % des patients atteints de cancer[2], avec une prévalence très variable. Cette variabilité est influencée par des facteurs liés au cancer (type, stade et traitement) ainsi que par des critères démographiques (âge) et sociaux (patients vivant en communauté ou hospitalisés)[3].
Il a été constaté que 51 % des patients présentaient déjà des carences nutritionnelles lors de leur première visite en oncologie médicale[4].
* Des recommandations de la HAS existent également pour les enfants et les personnes de 70 ans et plus.
Causes de la dénutrition
Les patients atteints d’un cancer souffrent souvent de dénutrition, causée par la tumeur et/ou par les traitements. La perte d’appétit est la principale cause d’amaigrissement et peut être liée aux douleurs, aux effets indésirables des traitements tels que les troubles du goût et/ou de l’odorat, les difficultés à déglutir ou à mastiquer ainsi que les troubles digestifs tels que les nausées, les vomissements, la constipation et la diarrhée. De plus, l’anxiété liée au diagnostic ou encore l’isolement social peuvent aggraver ce phénomène.
Conséquences de la dénutrition
La dénutrition peut entraîner une sarcopénie, caractérisée par une perte musculaire, souvent associée à une diminution de la masse graisseuse, ainsi qu’à un ensemble complexe de troubles tels que l’inflammation, la douleur, la faiblesse généralisée, l’anorexie et la dépression[5].
La dénutrition est associée à une augmentation de la morbidité, de la mortalité et à une diminution de la qualité de vie chez les patients atteints de cancer. Elle peut également affecter la réponse aux traitements et prolonger le temps de récupération après une chirurgie[6].
Dépistage de la dénutrition
Le dépistage de la dénutrition doit être systématique chez les patients atteints de cancer, dès le début de leur prise en charge, indépendamment de leur IMC et de leurs antécédents en termes de poids. Il est nécessaire de refaire des dépistages réguliers pour surveiller l’état nutritionnel.
L’évaluation de la dénutrition consiste à[7]-[8] :
- contrôler systématiquement les ingesta du patient. La réduction des ingesta est un facteur majeur de dénutrition chez un patient atteint de cancer. L’évaluation peut se faire à l’aide d’une échelle analogique, et idéalement par le biais d’une consultation diététique ;
- calculer l’IMC. On considère qu’il y a dénutrition si l’IMC est inférieur à 18,5 kg/m2 chez l’adulte de moins de 70 ans et inférieur à 21 kg/m2 chez les plus de 70 ans. L’IMC ne doit pas être utilisé seul, par manque de sensibilité et de spécificité ;
- peser le patient à chaque visite et tracer dans le dossier l’évolution de son poids.
Des outils peuvent être utilisés tels que le Patient-Generated Subjective Global Assessment (PG-SGA)[9]. C’est un questionnaire d’auto-évaluation qui comporte des questions liées à la nutrition et qui aborde également le niveau d’activité physique et le niveau fonctionnel.
D’autres outils existent tels que le Nutritional Risk Screening (NRS-2002)[10]-[11], le Mini Nutritional Assessment (MNA)[12] ou l’outil PARAD[13].
Prise en charge nutritionnelle
En général, un apport énergétique de 25-30 kcal/kg/j et un apport en protéines de 1 à 1,5 g/kg/j sont recommandés[14]. La prise en charge nutritionnelle de tout patient dénutridoit être individualisée en fonction du type de cancer, du stade de la maladie, des traitements en cours (chimiothérapie, radiothérapie, chirurgie), de l’état métabolique du patient et de son degré de sévérité de dénutrition le cas échéant.
Il est essentiel d’intervenir précocement pour prévenir ou corriger la dénutrition, en privilégiant quand cela est possible la prise en charge orale, incluant des conseils diététiques (enrichissement de l’alimentation) et/ou des compléments nutritionnels oraux (CNO)**. Les CNO sont privilégiés chez le patient à risque de dénutrition et chez les patients modérément dénutris[15]. Grâce à leur goût, leur forme et leurs textures diverses, ils permettent de proposer une offre variée et adaptée aux patients. Si la prise en charge orale échoue, un soutien nutritionnel par voie entérale est recommandé. Pour les patients sévèrement dénutris, une nutrition artificielle, surtout entérale, est prioritaire. La nutrition parentérale est réservée aux cas où la nutrition entérale bien conduite échoue ou est impossible. La nutrition par voie veineuse centrale est privilégiée pour les besoins énergétiques élevés ou les traitements de longue durée (supérieurs à 10 jours), avec des pratiques strictes d’asepsie.
Une étude prospective a révélé que les patients hospitalisés ayant bénéficié d’un soutien nutritionnel personnalisé ont présenté une réduction significative de la mortalité à court terme ainsi qu’une amélioration de leur état fonctionnel et de leur qualité de vie, comparés à ceux ayant reçu la nourriture standard de l’hôpital[16].
** Les compléments nutritionnels oraux (CNO) sont classés comme des Denrées Alimentaires Destinées à des Fins Médicales Spéciales (DADFMS) et doivent être utilisés sous contrôle médical. Ils sont le plus souvent remboursés par l’Assurance Maladie.
Soutien nutritionnel et traitements oncologiques
La dénutrition chez les patients atteints de cancer affecte négativement l’efficacité des traitements en réduisant la tolérance aux thérapies, ce qui peut entraîner des effets secondaires plus graves, une interruption de traitement et compromettre les résultats cliniques. Une évaluation nutritionnelle fréquente et une intervention précoce sont donc cruciales pour améliorer la réponse aux traitements, minimiser les complications et optimiser la qualité de vie des patients[17].
Dénutrition et soins palliatifs
De nombreux patients en soins palliatifs, notamment ceux atteints d’un cancer avancé, rencontrent des difficultés nutritionnelles à mesure que la maladie progresse. Ces problèmes affectent non seulement leur bien-être physique et psychologique mais ils entraînent également des répercussions sur les personnes qui s’occupent d’eux. Il est essentiel que les décisions concernant la prise en charge soient toujours centrées sur le patient. Les interventions nutritionnelles peuvent aller de la modification des aliments (texture, consistance…) et de l’utilisation de compléments nutritionnels à des méthodes plus intensives comme la nutrition entérale ou parentérale, qui peuvent soulever des considérations éthiques et légales[18].
Éducation thérapeutique du patient
L’autonomisation des patients[19] est essentielle dans la gestion de la dénutrition. Il est important de les sensibiliser aux impacts du cancer sur leur état nutritionnel, de les accompagner dans le suivi de paramètres clés tels que le poids et l’apport alimentaire, et de les inciter à contacter leur médecin traitant, médecin nutritionniste, diététiciens, etc. dès l’apparition des premiers signes de dénutrition. Le conseil diététique vise non seulement à optimiser l’apport alimentaire mais aussi à informer les patients sur les régimes les plus efficaces en accord avec leurs besoins. En impliquant activement les patients dans leur gestion nutritionnelle, on améliore leur compréhension de leur état de santé, leur capacité à faire des choix appropriés et leur qualité de vie.
Rôle des aidants
Les aidants jouent un rôle crucial dans la gestion quotidienne des patients atteints de cancer, en particulier en ce qui concerne la surveillance du risque de dénutrition. Ils doivent être sensibilisés à l’importance de surveiller régulièrement le poids, l’appétit et les habitudes alimentaires du patient tout en restant attentifs aux signes de perte musculaire ou de fatigue accrue. Ils peuvent aussi signaler rapidement tout changement au médecin référent ou aux équipes spécialisées en nutrition. Le rôle des aidants dans l’observance des recommandations diététiques et dans la prise en charge précoce des signes de dénutrition est primordial. Il est donc indispensable de les informer et de les former, pour accompagner leur proche malade[20].
[1] Haute Autorité de santé. Diagnostic de la dénutrition de l’enfant et de l’adulte. Consulté le 7 octobre 2024. https://www.has-sante.fr/jcms/p_3118872/fr/diagnostic-de-la-denutrition-de-l-enfant-et-de-l-adulte
[2] Bossi P, et al. Malnutrition management in oncology: An expert view on controversial issues and future perspectives ». Frontiers in Oncology 2022;12:910770. https://doi.org/10.3389/fonc.2022.910770
[3] Bossi P, et al. The Spectrum of Malnutrition/Cachexia/Sarcopenia in Oncology According to Different Cancer Types and Settings : A Narrative Review. Nutrients 2021;13(6):1980. https://doi.org/10.3390/nu13061980
[4] Muscaritoli M, et al. Prevalence of Malnutrition in Patients at First Medical Oncology Visit: The PreMiO Study. Oncotarget 2017;8(45):79884‑96. https://doi.org/10.18632/oncotarget.20168
[5] Bastin J. La cachexie associée au cancer - Une maladie non résolue. Médecine/sciences 2024;40(4):361‑8. https://doi.org/10.1051/medsci/2024039
[6] Muscaritoli M, et al. The Impact of NUTRItional Status at First Medical Oncology Visit on Clinical Outcomes: The NUTRIONCO Study. Cancers 2023;15(12):3206. https://doi.org/10.3390/cancers15123206
[7] Dénutrition pendant et après cancer - Facteurs de risque et de protection. Consulté le 13 septembre 2024. https://www.e-cancer.fr/Professionnels-de-sante/Facteurs-de-risque-et-de-protection/Denutrition
[8] Haute Autorité de santé. Diagnostic de la dénutrition de l’enfant et de l’adulte. Consulté le 7 octobre 2024. https://www.has-sante.fr/jcms/p_3118872/fr/diagnostic-de-la-denutrition-de-l-enfant-et-de-l-adulte
[9] Jager-Wittenaar H, D. Ottery F. Assessing Nutritional Status in Cancer: Role of the Patient-Generated Subjective Global Assessment. Current Opinion in Clinical Nutrition and Metabolic Care 2017;20(5):322‑9. https://doi.org/10.1097/MCO.0000000000000389
[10] Kondrup J, et al. ESPEN Guidelines for Nutrition Screening 2002. Clinical Nutrition (Edinburgh, Scotland) 2003;22(4):415‑21. https://doi.org/10.1016/s0261-5614(03)00098-0
[11] Kondrup J, et al. Nutritional Risk Screening (NRS 2002): A New Method Based on an Analysis of Controlled Clinical Trials. Clinical Nutrition (Edinburgh, Scotland) 2003;22(3):321‑36. https://doi.org/10.1016/s0261-5614(02)00214-5
[12] Vellas B, et al. The Mini Nutritional Assessment (MNA) and Its Use in Grading the Nutritional State of Elderly Patients. Nutrition (Burbank, Los Angeles County, Calif.) 1999:15(2):116‑22. https://doi.org/10.1016/s0899-9007(98)00171-3
[13] PARAD | Un outil simple, précoce et universel, pour prévenir le risque de dénutrition. Consulté le 7 octobre 2024. https://www.parad-denutrition.com/
[14] Muscaritoli M, et al. ESPEN Practical Guideline: Clinical Nutrition in Cancer. Clinical Nutrition (Edinburgh, Scotland) 2021;40(5): 2898‑913. https://doi.org/10.1016/j.clnu.2021.02.005
[15] Arbre décisionnel du soin nutritionnel. Elsevier Masson, EM-Consulte. Consulté le 12 septembre 2024. https://www.em-consulte.com/article/870194/arbre-decisionnel-du-soin-nutritionnel.
[16] Bargetzi L, et al. Nutritional Support during the Hospital Stay Reduces Mortality in Patients with Different Types of Cancers: Secondary Analysis of a Prospective Randomized Trial. Annals of Oncology : Official Journal of the European Society for Medical Oncology 2021;32(8). https://doi.org/10.1016/j.annonc.2021.05.793
[17] Aprile G, et al. The Clinical Value of Nutritional Care before and during Active Cancer Treatment. Nutrients 2021;13(4):1196. https://doi.org/10.3390/nu13041196
[18] Shaw C, Eldridge L. Nutritional Considerations for the Palliative Care Patient. International Journal of Palliative Nursing 2015;21(1): 7‑8, 10, 12‑15. https://doi.org/10.12968/ijpn.2015.21.1.7
[19] Casirati A, et al. The Key Role of Patient Empowerment in the Future Management of Cancer-Related Malnutrition. Nutrients 2023;15(1):235. https://doi.org/10.3390/nu15010235
[20] « La Compagnie des Aidants : Information, Formation et Échange pour Aidants », La Compagnie des Aidants, consulté le 17 septembre 2024, https://lacompagniedesaidants.org/.
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