Hydroxychloroquine contre le Covid-19: l’étude qui devait clore le débat
Les preuves scientifiques s’accumulent actuellement contre l’utilisation de l’hydroxychloroquine (HCQ) dans la prise en charge de l’infection à Sars-CoV-2. Ainsi, après deux études, française et chinoise, parues le 14 mai dans The British Medical Journal, c’est maintenant au tour du Lancet de publier la plus vaste étude sur le sujet. Elle arrive dans un contexte où persiste un vif débat sur le sujet, entre les scientifiques qui attendent des résultats d’essais randomisés élaborés avec un protocole rigoureux tel que celui de l’étude européenne Discovery – mais dont les résultats se font attendre – et les partisans de l’utilisation de l’antipaludéen ou de son dérivé. Leur chef de fil, le Pr Didier Raoult, de l’Institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses de Marseille, a convaincu de nombreuses personnalités placées au plus haut niveau des états du monde entier, aux premiers rangs desquels le président américain Donald Trump, qui a affirmé prendre de l’hydroxychloroquine en préventif, ou encore Jair Bolsonaro, président du Brésil, dont le gouvernement a recommandé l’HCQ aux patients même atteints de forme légère de la maladie, alors que l’épidémie flambe actuellement dans son pays. Alors, cette nouvelle étude est-elle de nature à clore le débat ? Une chose est sure, il s’agit de la plus vaste étude menée sur le sujet. Cette étude observationnelle, internationale, a porté en effet sur plus de 96 000 patients (âge moyen 53,8 ans, 46,3% de femmes) hospitalisés pour Covid-19 entre le 20 décembre 2019 et le 14 avril 2020, dans 671 établissements du monde entier (six continents). Parmi les patients inclus, près de 15 000 (14 888) ont été répartis dans quatre groupes de traitements : chloroquine (1 868), chloroquine associée à un macrolide (3 783), hydroxychloroquine (3 016) et hydroxychloroquine + macrolide (6 221). Et 81 144 autres patients ont formé le groupe témoin. Les traitements ont débuté dans les 48 heures suivant le diagnostic.
Au cours de la période d’analyse, 10 698 (11,1%) patients sont décédés à l'hôpital. Après ajustement pour les différents facteurs confondants (âge, sexe, race ou origine ethnique, indice de masse corporelle, maladie cardiovasculaire sous-jacente, facteurs de risque CV, diabète, maladie pulmonaire sous-jacente, tabagisme, immunodépression et gravité de la maladie de base), les auteurs ont montré...
que chacun de ces quatre types de traitements étaient associés à une augmentation de la mortalité par rapport au groupe témoin. Ainsi, les taux de mortalité étaient de 18% pour l’HCQ (HR 1,335), 23,8% pour HCQ+macrolide (1,447), 16,4% pour la chloroquine (1,365), et 22,2% pour l’association chloroquine et macrolide (1,368). Dans le groupe témoin, la mortalité était de 9,3%. En outre, l’étude a mis en évidence l’existence d’effets cardiaques. Ainsi, les patients des groupes traités présentaient un risque plus élevé d'arythmie ventriculaire de novo pendant l'hospitalisation : respectivement de 6.1, 8.1, 4.3, et 6.5%, contre 0,3% dans le groupe témoin. Les auteurs concluent que ces données ne permettent pas de « confirmer un bénéfice de l'hydroxychloroquine ou de la chloroquine, utilisés seuls ou avec un macrolide, sur les patients hospitalisés pour Covid-19 ». Non seulement, ils ne seraient d’aucun bénéfice aux malades, mais en outre, selon ces résultats, ils seraient nocifs ; même si le lien de cause à effet ne peut pas être établi dans cette étude observationnelle. Dans un commentaire de cette étude, paru dans le même journal, les Prs Christian Funck-Brentano et Joe-Elie Salem, de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Sorbonne Université, Paris) soulignent l’intérêt de cette étude « bien conçue » « malgré les limites inhérentes à la nature observationnelle ». Ils précisent que le risque accru de décès observé avec les traitements ne peut être attribué uniquement à leurs effets secondaires cardiaques. « Une autre hypothèse pour expliquer le risque accru de décès avec les 4-aminoquinoléines est que leurs propriétés antivirales et immunomodulatrices pourraient majorer la gravité du Covid-19 chez certains patients », avancent-ils. Selon eux, les lésions myocardiques et de l'hypoxie présentes dans Covid-19 pourraient être aussi impliquées. En tout état de cause, de nouvelles recherches sont nécessaires.
L’étude du Lancet pourrait avoir des conséquences sur l’utilisation de l’hydroxychloroquine en France. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, a en effet écrit dans un tweet : « Suite à la publication dans The Lancet d'une étude alertant sur l'inefficacité et les risques de certains traitements du Covid-19 dont l'hydroxychloroquine, j'ai saisi le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) pour qu'il l'analyse et me propose sous 48h une révision des règles dérogatoires de prescription. »
Suite à la publication dans @TheLancet d'une étude alertant sur l'inefficacité et les risques de certains traitements du #COVIDー19 dont l'hydroxychloroquine, j'ai saisi le @HCSP_fr pour qu'il l'analyse et me propose sous 48h une révision des règles dérogatoires de prescription.
— Olivier Véran (@olivierveran) May 23, 2020
En dehors des essais cliniques, l'hydroxychloroquine (HCQ) est réservée à l’hôpital, seulement pour les cas graves, et sur décision collégiale. « À part dans des essais cliniques, ce n'est pas raisonnable de donner de l'hydroxychloroquine aujourd'hui », a confirmé le 25 mai sur Franceinfo le Pr Philippe Juvin, chef des urgences de l’Hôpital européen Georges-Pompidou (Paris). « Il appartient d'aller au bout, a ajouté le Dr Thomas Mesnier, médecin urgentiste, député La République en marche de Charente. Mais, il est temps d'arrêter d'en prescrire aussi bien que d'en parler les différents médias. J'espère que les irresponsables politiques qui ont parlé de la prescription d'hydroxychloroquine avant les études viendront dire qu'ils se sont complètement trompés. » L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a, en outre, indiqué lundi 25 mai avoir suspendu « temporairement » les essais cliniques avec l'hydroxychloroquine qu'elle mène avec ses partenaires dans plusieurs pays, par mesure de précaution. Question de délai de mise en place du traitement? Mais cette étude n’est pas forcément de nature à remettre en cause les convictions du Pr Raoult et de ses partisans. Dans une vidéo publiée le 25 mai sur son site, l’infectiologue marseillais a jugé l’étude du Lancet « foireuse » car réalisée « par des gens qui n'ont pas vu de patients ». « Ici (à l'IHU), il nous est passé 4.000 personnes dans les mains, vous ne croyez pas que je vais changer parce qu'il y a des gens qui font du « big data », qui est une espèce de fantaisie complètement délirante qui prend des
données dont on ne connaît pas la qualité, qui mélangent tout, qui mélangent des traitements dont on ne connaît pas la dose qui est donnée », a lancé Didier Raoult. Il a aussi balayé l'hypothèse de sérieuses arythmies cardiaques provoquées par ce traitement, assurant qu'à Marseille aucun phénomène de ce genre n'avait été observé malgré « 10 000 électro-cardiogrammes » pratiqués. Le principal argument des défenseurs de ce traitement repose sur la mise en place d’un traitement par HCQ qui, selon eux, devrait être instauré dès les premiers signes de la maladie et non à un stade avancé au moment de l’hospitalisation. Ainsi, l'ancien ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy a affirmé sur BFM TV que l'étude du Lancet ne remettait pas en cause l’intérêt de l’hydroxychloroquine. « Si vous donnez de l'hydroxychloroquine à des gens qui vont mourir, c'est sûr qu'ils vont mourir », a-t-il déclaré. Le professeur émérite Philippe Poindron est sur la même ligne : « Il est clair que sur la fin de la phase virale (disons une dizaine de jours après la contamination), il est possible et même certain que le virus ait atteint le tissu cardiaque, ce qui le sensibilise aux effets de l'hydroxychloroquine, d'où les effets cardiaques que Raoult n'a jamais observés, lui, en raison de la précocité du traitement. » Cependant, dans cette étude du Lancet, même si les patients étaient hospitalisés, le traitement était mis en route dans les 48 heures suivant le diagnostic. Le Pr Poindron souligne aussi des insuffisances : « Nous ne savons rien de la quantification de la charge virale à l'entrée et à la sortie (guérison ou peu avant la mort), rien de l'électrocardiogramme des sujets lors de l'enrôlement, rien de la radio pulmonaire. Il y a près de 27% d'obèses dans la cohorte étudiée par ces auteurs et qui ont reçu le traitement, or jamais la question de la pharmacocinétique de l'hydroxychloroquine chez les obèses n'est évoquée. » La conclusion du Pr Poindron est sans appel : « Pour moi, c'est un article de commande, longuement médité, pour saborder un traitement peu coûteux. Au lieu d'argumenter sur le fond, à partir des données du Pr Raoult, les auteurs utilisent les "travaux" des autres (qui n'en sont pas), faute d'avoir eux-mêmes étudié concrètement la question. Il eût été honnête de se demander pourquoi le Pr Raoult ne voit pas ces effets. Ce point méritait au moins une discussion ! ». Bref, il en faudra plus que cette étude du Lancet pour clore le débat !
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