Ils avaient fermé leur cabinet entre Noël et jour de l'an pour faire résonner leur voix ; un mois plus tard, la mobilisation des médecins libéraux corses se poursuit. L’objectif est inchangé - obtenir la reconnaissance des difficultés spécifiques qui percutent leur exercice - mais l’oreille des autorités semble plus attentive. Ainsi leurs représentants ont participé au focus "Territoires" de la Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam), mercredi 31 janvier, dans le cadre des négociations conventionnelles. "On a pu exprimer notre différence, c’est historique. Sans le collectif, ça ne se serait jamais produit", reconnaît le porte-parole de ML Corsica, le Dr Cyrille Brunel. Formé en juin dernier, il rassemble aujourd’hui "plus de 300 médecins libéraux" sur les 550 de l’île. Autant dire qu'au sortir de la discussion, la satisfaction résonnait dans la voix de Francescu Suzzarini, autre administrateur de ML Corsica et représentant local de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) lors de la réunion. "On a pu être écoutés. Pour nous, l’objectif était de permettre l’inscription de la Corse dans un nouveau type de zone : elle serait appelée ‘île montagne’, comme le définit la loi de 2016." Ledit texte prévoit entre autres des indices kilométriques spécifiques pour les médecins libéraux exerçant en montagne. Deux autres zones sont actuellement reconnues dans la convention médicale : les départements et régions d’Outre-mer (Drom) et les territoires "sous-denses" en médecins, dits ZIP et ZAC. "Aujourd’hui la Corse est considérée comme le reste de la France métropolitaine, poursuit le médecin généraliste aussi élu à l'Union régionale des professionnels de santé (URPS) Corse. Sauf que la situation n’est plus tenable. On ne peut plus soigner notre population." Ces derniers mois, les médecins mobilisés ont amassé de la documentation et enchaîné les réunions de travail. D’abord pour cerner les raisons de leur mal-être, puis agir. En a découlé un document de plus de 70 pages, transmis aux autorités début novembre et consulté par Egora. Il décrit un manque chronique de médecins, en particulier de spécialistes, l’absence de CHU et donc un plateau technique restreint. Il rappelle les 18 000 déplacements annuels vers le continent pour raison médicale, dénombrés par l’Assurance maladie ; souligne que le vieillissement de la population corse induit autant des patients plus fragiles que des médecins eux-mêmes proches de la retraite. S’y ajoute un coût de la vie plus élevé, sur un territoire montagneux parfois difficile d’accès et relié par des routes peu adaptées - il n'y a pas d'autoroute. Pour y faire face, le collectif soutient six propositions : entre autres, le cumul à taux plein de deux actes techniques ou cliniques, la téléconsultation par téléphone pour les patients peu à l'aise avec les visios, la revalorisation de la majoration des déplacements, des consultations complexes et visites longues à domicile. Aussi, cette réunion avec la Cnam représente une étape importante dans leur mouvement. Et une nouvelle occasion pour faire valoir auprès des autorités nationales les spécificités de leur île. Laquelle ne peut, selon eux, être comparée au reste du territoire métropolitain – ils jugent plutôt leur situation comparable à celle des Drom. "Certains indicateurs sont faussés, pointe Francescu Suzzarini. Quand on regarde la densité médicale, la Corse apparaît comme légèrement sous-dense. Sauf que ça ne prend pas en compte l’afflux touristique ! Sur un an, l’île reçoit dix fois sa population." La Corse est aussi "la région avec le plus de médecins retraités en activité, insiste-t-il. Dans les indicateurs, ils sont comptés comme une unité entière alors qu’ils travaillent souvent à temps partiel." "Il faut du concret" Les blouses blanches insulaires ne savent pas encore sur quoi ces discussions déboucheront. La Cnam fera part de ses propositions le 8 février, conformément au calendrier des négociations conventionnelles. Contactée par Egora, elle rappelle succinctement qu'elle est "soucieuse de la prise en compte de toutes les dimensions territoriales, en particulier la Corse et son caractère ‘d’île montagne’" – position identique à celle formulée au début du mois. "Je pense qu’il y a une volonté d’écouter nos problématiques. On est sur la bonne voie", estime Francescu Suzzarini. Son confrère Cyrille Brunel se montre plus méfiant : "On a été entendus, avec bienveillance, mais il faut du concret." Une reconnaissance d’un "statut de montagne" et "une petite revalorisation des indemnités kilométriques" ne suffira pas, martèle-t-il. Pas question pour lui de lâcher trop de lest dans le bras de fer.
Ce même rapport de force avait déjà poussé le collectif à manifester à la veille des négociations. Ils étaient plusieurs dizaines à Ajaccio, selon France Bleu, pancartes à la main au pied de leur agence régionale de santé. Une délégation a été reçue par la directrice de l’ARS. L’institution rappelle auprès d’Egora "qu’intervenir dans les négociations conventionnelles" ne relève pas de sa compétence, mais juge "constructive" cette rencontre du 30 janvier. Elle "a permis de dégager un constat commun", assure l’agence, qui "a fondé les orientations du volet corse de la stratégie nationale de santé". "Depuis les débuts du mouvement, le niveau de dialogue a évolué, raconte Francescu Suzzarini. Le premier qu’on a eu avec les institutions, cet été, a été très froid et brutal parce qu’on n’en pouvait plus d’être ignorés. Ensuite, il y a eu un temps de travail. Maintenant on est dans des échanges plus sereins et politiques. Il reste un combat, encore difficile, à mener au niveau national." De son côté, Cyrille Brunel affiche plus de rigidité : "On a fait ce qu’on pouvait pour trouver des solutions au cœur du système, on a la conscience tranquille. Si la convention ne nous permet pas d’exercer correctement et soigner nos patients comme sur le continent, quel est l’intérêt de rester dans ce cadre ?" Les regards sont désormais rivés sur le calendrier, et les prochaines propositions de la Cnam.
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