"On enverra les gens aux urgences" : en guerre tarifaire avec l'Assurance maladie, les médecins des stations de ski risquent de ne pas travailler les week-ends
A partir du 22 décembre, selon la nouvelle convention médicale, les médecins de montagne ne pourront plus appliquer les cotations habituelles de majoration pendant les soirs, dimanches et jours fériés. Un changement qui va impacter fortement la plupart des cabinets ouverts sept jours sur sept. En l'absence de majoration, les praticiens assureront la permanence des soins en "mode dégradé" avec un seul médecin de garde en poste. La plupart des patients seront donc orientés vers les urgences. Une situation qui promet d'être "explosive".
"La sécurité des usagers en station de sports d’hiver est en danger pour la saison 2024-2025", avertissent les médecins de montagne. Les 8 millions d'usagers qui profitent des pistes chaque hiver savent qu'ils peuvent compter sur les cabinets de montagne en cas de pépin. "Entre 120 000 et 140 000 accidents de ski sont pris en charge chaque année par nos cabinets de montagne", calcule le Dr Romain Legris, vice-président de l'association des Médecins de montagne, installé à Ancelle dans les Hautes-Alpes. Un chiffre qui pourrait drastiquement baisser à compter du 22 décembre.
A partir de cette date, les praticiens ne pourront plus appliquer les cotations habituelles de majoration pendant les soirs, dimanches et jours fériés. Une application de la nouvelle convention médicale qui inquiète fortement les médecins de montagne et "met en péril le fonctionnement de leur structure", pointe un communiqué.
"Nous n'irons pas travailler pour gagner moins que d'habitude"
"En tant que président de l'association Médecins de montagne, je n'ai pas appelé à une grève. Chacun fera en son âme et conscience. Mais mes collègues n'iront pas travailler pour gagner moins que d'habitude", prévient le Dr Jean-Baptiste Delay, installé à Flaine-Les Carroz, en Haute-Savoie. "Nous les week-ends on préfère aller skier avec nos enfants. Mais on ne le fait jamais. Pour nous, les samedis et dimanches sont des jours de travail normaux. Pourtant ces jours-là, on paye plus cher nos assistants, infirmières, manipulateurs radio… ", justifie-t-il. Si rien ne bouge, avec l'application de la convention, seul le médecin de garde pourra coter les majorations en recevant les patients uniquement sur régulation du centre 15. Les autres devront coter au même prix que la semaine.
Pendant la saison hivernale, les soins non programmés représentent en moyenne 70% de l'activité des médecins de montagne (100% dans certains cabinets), avec une part de traumatologie pouvant dépasser les 50%. Un seul médecin de garde n'est donc pas suffisant pour assurer les week-ends, relèvent les médecins de montagne. Ils sont le plus souvent entre deux et cinq, selon la taille des stations.
"En pleine saison il est illusoire de penser que ces jours fériés et dimanches puissent fonctionner uniquement sur les médecins de garde de secteur. Il est illogique et déraisonnable dans de nombreux secteurs de PDSA [permanence des soins ambulatoire] qu’un seul médecin puisse répondre aux demandes de SNP [soins non programmés] et d’urgences. [...] Il est donc injuste qu’un seul médecin puisse coter une majoration [F, CRS ou CRD…] quand d’autres médecins concourent de manière justifiée au même moment à des soins effectués en PDSA", écrivent les médecins de l'association à la directrice déléguée de l'Assurance maladie, Marguerite Cazeneuve, dans une lettre restée sans réponse.
"Cette situation va être explosive"
"Cette convention est totalement inadaptée à nos besoins. Nous ne pourrons pas travailler décemment les soirs et les week-ends. Nous tournerons donc en système dégradé avec le seul médecin de garde en poste qui ne pourra être appelé que sur régulation. Les week-ends, les cabinets seront fermés. Dans ces conditions, plus de 80% des patients iront aux urgences", explique le Dr Legris. "Cela va être ingérable pour les médecins régulateurs, il va falloir tripler les effectifs. Et je ne parle même pas de la problématique du transport sanitaire. En montagne, chaque transport est difficile à obtenir. Cette situation va être explosive et ne sera pas tenable", anticipe-t-il.
Car aujourd'hui, "95% des blessés pris en charge en cabinets retournent à domicile. Nous n'adressons que 5% des patients à l'hôpital", souligne le Dr Romain Legris. Les cabinets de médecins montagne fonctionnent, en effet, comme des "mini cliniques". Nous sommes de "véritables petites structures d'urgences, éloignées des hôpitaux. Nous défendons un modèle conventionné en secteur 1", retrace le praticien. "Maintenir nos cabinets ouverts les week-ends répond donc à un souci de santé publique propre à notre géographie de montagne", insiste-t-il.
"Nos actes techniques qui n'ont pas bougé depuis 20 ans"
Depuis plus d'un an et demi, les praticiens de l'association tentent de rentrer en contact avec l'Assurance maladie, mais sans succès. "Nous voulons discuter de la nouvelle convention médicale et des cotations, notamment de nos actes techniques qui n'ont pas bougé depuis 20 ans. On aimerait que la Cnam s'intéresse à notre problématique qui dort dans le placard depuis des années. Et le constat est que la nouvelle convention va à contre sens", soupire Romain Legris. "Les cotations de traumatologie des médecins de montagne ont été créées en 1999 et n'ont jamais évolué alors que nos charges, les salaires que nous payons, notre matériel… Tout a augmenté", abonde le Dr Delay.
Des actes courants en médecine de montagne vont également être rendus impossible avec la nouvelle convention. "Il ne sera plus possible d’utiliser le YYYY010 sans régulation préalable au centre 15 pour tout usage d’antalgiques par voie veineuse [par exemple la morphine], pourtant cela reste très utile pour soigner nos patients traumatisés sévères", comme pour les fractures de jambes, écrivent les médecins à l'Assurance maladie.
"Nous avons besoin qu’un dialogue se mette en place au plus tôt et que des arbitrages soient fixés rapidement afin que l’ensemble des acteurs de la santé, mais aussi les services des pistes et les mairies de station - que nous avons alertées également - puissent s’organiser en fonction des orientations que vous prendrez pour assurer la sécurité des concitoyens", demandent les médecins de montagne.
Ces derniers semblent avoir enfin été entendus par la Cnam. Sollicitée par Egora, l'Assurance maladie assure en effet que des "discussions par territoire avec toutes les parties prenantes [médecins, élus, patients, ARS…] seront engagées à compter du début de l'année prochaine". Ce dialogue permettra "de prendre en compte les spécificités de chacun", rassure la Caisse. "La situation des médecins de montagne est bien connue, le sujet est sur la table", complète la Cnam, qui compte travailler "dans une logique d'accompagnement, de pédagogie et non de sanction pour ces acteurs historiques de la PDSA".
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