"C'est un échec complet pour la science" : le rédacteur en chef du Lancet s'explique sur l'étude hydroxychloroquine

16/06/2020 Par Sandy Bonin

Dans un entretien accordé à Libération, Richard Horton, rédacteur en chef du Lancet depuis 1995, revient sur le retrait de l’étude sur l’hydroxychloroquine et analyse les erreurs commises. Il pointe du doigt les auteurs de l'étude et dresse un bilan très sévère de la crise mondiale engendrée par la Covid-19, mais salue le travail des scientifiques chinois.     Publiée le 22 mai, l'étude du Lancet concluait que l'hydroxychloroquine n'était pas bénéfique aux malades du Covid-19 hospitalisés, et pouvait même être néfaste. Sa parution avait eu un retentissement mondial, poussant notamment l'OMS à suspendre ses essais cliniques sur l'hydroxychloroquine. Quelques jours plus tard, le 4 juin, au terme d'un feuilleton quasi quotidien, la revue britannique annonçait le retrait de l'article. "L’évaluation par les pairs est un très mauvais détecteur de fraudes. Elle ne teste pas la véracité d’une étude. Le seul moyen de tester la véracité de ce qui est écrit dans un article serait de recommencer toutes les expériences. L’évaluation par les pairs consiste à tester l’acceptabilité d’un papier. Cet article apparaissait plausible. Les pairs auraient dû vérifier s’il y avait des données fiables, mais avant eux, les auteurs aussi auraient dû étudier les données ! Trois d’entre eux ne l’ont manifestement pas fait", analyse Richard Horton dans les colonnes de Libération, avant de poursuivre : "Trois des quatre auteurs n’avaient aucune idée de ce sur quoi ils apposaient leur nom et c’est, en soi, extraordinaire".

Pour le rédacteur en chef de la prestigieuse revue scientifique, "l’histoire ne s’arrête pas là, il faut une enquête complète sur comment l’étude a été conduite". "Cet épisode représente un échec complet pour la science", juge-t-il. Richard Horton considère néanmoins que le retrait de l'article est "une bonne chose". Le rédacteur en chef du Lancet, qui publie ce mois-ci un livre intitulé The Covid-19 Catastrophe*, salue toutefois le travail des scientifiques pendant cette crise mondiale, et notamment celui des Chinois. "La communauté scientifique chinoise s’est mobilisée très rapidement. Dès la fin du mois de janvier, nous avions une description complète de la maladie, nous connaissions son séquençage génétique et nous savions qu’elle se transmettait de personne à personne. Nous savions aussi que nous étions sous la menace d’une pandémie globale. Et tout cela en un mois !" commente-t-il avant d'attaquer Donald Trump. "Le dénigrement de la Chine par le président Trump et d’autres doit être examiné avec attention. Parce que du point de vue de la science et de la réponse de santé publique, les critiques vis-à-vis de la Chine et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sont totalement injustes. Elles sont liées uniquement au fait que les gouvernements occidentaux, et particulièrement les Etats-Unis, essaient désespérément de détourner l’attention de leurs propres erreurs catastrophiques." "Nous avons assisté à une énorme manifestation de sinophobie, de racisme contre la Chine, de la part de nos gouvernements, mais aussi de nos scientifiques. Ils n’ont pas cru que ce qui se passait était aussi grave que ce que les rapports suggéraient. Je pense qu’il y avait une vue que la science et la médecine chinoises n’étaient pas au même haut niveau qu’en Occident, et que cela expliquait ce qui se passait à Wuhan. (…) Cette arrogance est responsable de dizaines de milliers de morts. Les décès ont été provoqués par un virus, mais ils ont aussi été causés par un orgueil d’exceptionnalisme occidental", tacle Richard Horton. Selon le rédacteur en chef du Lancet, la crise mondiale du Covid-19 n'a fait qu'amplifier "les divisions et inégalités dans notre société. Ce que ce virus a fait, c’est brandir un miroir à la face de notre société qui a révélé les disparités, les inégalités, les injustices. Nous savions tous qu’elles existaient, mais nous leur avions tourné le dos. Nous devons utiliser la mémoire de cette pandémie comme un aiguillon pour la recherche de la vérité. Cette vérité est que la plupart des dizaines de milliers de morts auraient pu être évitées. C’est une blessure abominable pour notre société que nous ne devons pas ignorer."  

 
Retour sur l'affaire Wakefield
Au cours de son entretien, le rédacteur en chef est également revenu sur l’étude d’Andrew Wakefield qui établissait un lien, prouvé faux depuis, entre le vaccin contre la rougeole et l’autisme. L'article n'a été retiré que 12 ans après. "Dans le cas Wakefield, les auteurs ne voulaient pas retirer leur article. Le problème est alors que vous devez disposer de très bonnes preuves de fabrication ou falsification et à ce moment-là, nous ne les avions pas. En soi, l’article décrivait simplement un groupe d’enfants atteints de ce qui semblait être une nouvelle pathologie", se souvient Richard Horton avant d'aller plus loin. "Ce qu’on a appris après, c’est qu’il était partie prenante dans un projet de mise au point d’un vaccin rival, donc il avait un conflit d’intérêts financiers dans cette histoire. Ensuite, nous avons fait partie du processus officiel qui a apporté toutes les preuves sur la fraude [Wakefield a finalement été rayé de l’ordre des médecins, ndlr]. Ça a pris beaucoup de temps. Mais bien sûr que j’aurais aimé retirer l’article plus tôt".

  * The Covid-19 Catastrophe. What’s Gone Wrong and How to Stop It Happening Again, par Richard Horton, 120 pp., éditions Polity Press   [Avec liberation.fr]

 
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