1264€ pour de l'hydroxychloroquine : l'enquête d'un généraliste sur le "système" de facturation de l'IHU du Pr Raoult
Tout a commencé avec ce témoignage, reçu sur Twitter en décembre 2020, par le généraliste Christian Lehmann, qui tient "son journal d'épidémie" dans Libération. "Bonjour Docteur, je me permets de vous contacter car j'ai contracté la Covid-19 au mois de mars, j'ai été me faire tester à l'IHU de Marseille. J'avais accepté de prendre du Plaquénil pendant dix jours. J'y croyais à l'époque. J'ai été malade pendant quinze jours, grosse fatigue, maux tête mais pas de forme grave. Je viens de recevoir la facture de mes trois consultations à l'IHU, environ une heure maximum à chaque fois pour voir un médecin, faire un test PCR, un ECG : 1264 euros x 3 au global, 252,8 euros pour moi [reste à charge pour chaque passage, NDLR]. Je trouve ça surréaliste", nous lit le médecin. Quelques temps plus tard, Christian Lehmann entend parler par un confrère d'un cas similaire. Il contacte le patient en question, tout aussi éberlué par la facture salée qui a suivi sa prise en charge à l'IHU, en octobre. "Si on m'avait prévenu du tarif, je n'y serais même pas allé, parce qu'au final je n'ai pas pris l'hydroxychloroquine vu que j'étais asymptomatique. Je n'ai pas de mutuelle. Vu les examens, je n'imaginais pas que ça allait coûter une journée d'hospitalisation", témoigne ce deuxième patient. "A ce moment-là, raconte à Egora le Dr Lehmann, non seulement je me rends compte qu'il y a plusieurs personnes concernées, mais qu'en plus ça continue, puisque le premier passage date de mars et le deuxième d'octobre." Le médecin rapporte avoir été en contact avec une troisième patiente concernée, mais qui n'a pas souhaité témoigner par "peur pour sa carrière" car "elle travaille dans le milieu médical".
Après avoir consulté les factures et constaté la véracité des faits, le généraliste-écrivain décide de se lancer dans une enquête, épaulé par les journalistes de Libération et par un informaticien médical qui va l'aider à faire parler les chiffres du moteur de recherche public Scansante.fr : si le nombre d'hospitalisations en très courts séjours (0 à 1 nuit) a logiquement augmenté partout en France entre 2019 et 2020 du fait de l'épidémie de Covid, en étant multiplié par 14 en Ile-de-France et 9.8 dans le Grand Est par exemple, la région Paca détonne. Le nombre de très courts séjours y a été multiplié par 491 en un an, passant de 47 en 2019 à 23 095 en 2020. Pourtant, la durée moyenne de séjour des patients en court séjour pour infection respiratoire est vraiment courte, puisque seuls 2% ont passé une nuit à l'hôpital. Les 98% restants sont donc des séjours en hospitalisation de jour (HDJ), conclut Christian Lehmann. A 1264 euros, donc. Dans un mail daté du 21 février 2021 que le généraliste a pu consulter, la Fédération hospitalière de France – Paca relève d'ailleurs que la région comptabilise "56% des séjours Covid sans nuitée en France", "ce qui n'est pas sans lien avec le suivi en HDJ mis en place par l'IHU, en particulier au printemps dernier, auprès d'une importante cohorte". Si ces facturations de prises en charge Covid en HDJ plutôt qu'en consultations externes ont pu représenter une manne financière...
estimée par Libération à 25 millions d'euros pour l'AP-HM, elles visaient avant tout à offrir un cadre légal à la prescription d'hydroxychloroquine, souligne Christian Lehmann. Le décret du 23 mars 2020 avait en effet réservé sa prescription aux patients hospitalisés. Un lien que Dominique Martin, alors directeur de l'ASNM (il est aujourd'hui médecin-conseil national à la Cnam) a lui aussi établi, dans un courrier adressé au président de l'Ordre des médecins et au directeur de la Cnam, dont Libération a obtenu copie : "Conformément au décret du 23 mars 2020 modifié, applicable lors de la réalisation de ces études, et qui réservait l'utilisation de l'hydroxychloroquine à l'hôpital, le Pr Raoult nous dit avoir hospitalisé certains patients en hôpital de jour, ce qui interroge sur les coûts d'hospitalisation non justifiées associés aux prescriptions." Ainsi que sur le bas taux de mortalité mis en avant par l'IHU, ironise Christian Lehman, qui relève que cela revient à comparer les patients hospitalisés en réanimation à Paris avec des "gens certes fébriles et fatigués qui attendent dans les couloirs de l'IHU".
Pour "bétonner tout ça", le généraliste "commence à faire ce qu'on appelle le contradictoire" et contacte l'IHU, l'AP-HM, l'ARS et la Cnam. Il entre alors dans "un jeu de bonneteau" où chaque interlocuteur se renvoie la balle, quand ils ne bottent pas tout simplement en touche. "L'ARS m'a dit qu'ils n'avaient pas les chiffres, alors que moi, je suis juste un généraliste à 25 euros et je les ai les chiffres…", lâche-t-il. L'ARS reconnaît néanmoins une "progression importante" des HDJ à l'AP-HM, à laquelle le service des maladies infectieuses a "largement contribué". De son côté, la Cnam répond qu'à la suite du courrier du directeur de l'ANSM en mai 2020 "il avait été estimé qu'il n'y avait pas lieu à action". Et Christian Lehmann de s'interroger sur ce que le "Dominique Martin 2021" devenu médecin-conseil de la Cnam répondrait aujourd'hui au "Dominique Martin 2020" qui a lancé l'alerte…Et l'AP-HM alors? Libération et Egora auront droit à la même réponse policée. "Les patients se présentant à l’IHU pour un test PCR s’avérant positif ont été rappelés afin d’être pris en charge par le pôle maladie infectieuse de l’AP-HM, situé au sein de l’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) Méditerranée Infection. Cette prise en charge complexe, attentive et adaptée à ces patients a requis des consultations externes, mais également des hospitalisations de jour lors desquelles les patients ont pu recevoir un traitement, effectuer plusieurs examens (scanner, bilan sanguin, prélèvement naso-pharyngé, ECG), et bénéficier d'une surveillance particulière dans des conditions d'isolement adaptées à une maladie infectieuse contagieuse", indique le service communication en réponse à notre sollicitation. Des HDJ ont donc été facturées...
dans le respect des "critères de facturation établis par les textes officiels". Sur les 1264 euros facturés, 252.8 euros restent effectivement à la charge des patients sans mutuelle ni CMU. "Pour les personnes disposant d’une mutuelle, le reste à charge est à 0€", souligne-t-on. "Les demandes de remise gracieuse sont actuellement étudiées avec précision, de manière attentive et bienveillante et pourront aboutir à l’exonération du reste à charge ou au maintien de la facturation selon les situations", promet l'AP-HM. Essuyant désormais les attaques, voire les "menaces", des "trolls raoultiens" sur Twitter, le Dr Lehmann espère que son enquête fourbira les armes de l'Ordre des médecins, qui a entamé une procédure contre le Pr Raoult, voire qu'elle conduira à l'ouverture d'une enquête parlementaire sur ce "système". "En dehors du problème moral et financier que ça pose, on est en train de montrer que des gens qui nous disent depuis des mois avoir mené des études observationnelles, pas interventionnelles sont tellement intervenus qu'ils ont modifié la tarification, passant les choses en HDJ, pour pouvoir prescrire le produit." [avec Liberation.fr]
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