C’est la crainte d’un “point de rupture irréversible” qui a poussé 70 directeurs des départements médico-universitaires à prendre la plume et publier une tribune, pour le moins alarmante, dans les colonnes du journal Le Monde.
Soulignant l’excellence de leur réputation, durement acquise au fil des années, les praticiens affirment toutefois qu’ils ne sont plus “en mesure d’assurer [leurs] missions dans de bonnes conditions de qualité et de sécurité de soins”.
Au coeur de leurs inquiétudes : la démotivation des équipes. “Les délais de programmation des interventions s’allongent, les soins urgents ne sont plus réalisés dans les délais raisonnables. Les usagers sont de plus en plus obligés de se tourner vers les établissements privés. Trop peu de recrutements de soignants sont en vue pour espérer un retour à la normale du ‘système sanitaire’”, écrivent-ils.
Conséquence : tout comme les patients, la “fuite” des soignants vers l’hôpital privé, entraînant l’usure encore plus importante des soignants qui “restent”. “Pour maintenir les lits ouverts et poursuivre l'accueil des patients, il est nécessaire de faire appel aux soignants restants en leur demandant de réaliser des heures de travail supplémentaires ou à des personnels soignants extérieurs appelés au fil de l’eau pour combler les manques, mais sans expertise dans les spécificités des différents services.”
Les praticiens dénoncent également l’absence d’attractivité de l’hôpital public, en grande partie liée à l’attractivité salariale. “La fuite des médecins des hôpitaux universitaires met en péril la formation de toute la profession et, au-delà, le niveau de la santé en France”, s’inquiètent-ils.
Profitant de la tribune, ils s’expriment ainsi sur plusieurs revendications. D’abord, réviser à la hausse l’Objectif national des dépenses d’assurance-maladie (Ondam), mais aussi “revaloriser le salaire des personnels paramédicaux, infirmiers en premier lieu et des médecins en plus de reconnaître et de valoriser les responsabilités exercées par ces professionnels”. Ils revendiquent également une “refonte complète du mode de financement et de la place de l’hôpital public” dans le système de santé et d’augmenter les effectifs.
“Le garrot qui l’étrangle doit être desserré”
Dans une autre tribune, le Pr Bernard Granger, PU-PH à l'hôpital Cochin (AP-HP) et président du Conseil national professionnel de psychiatrie, fait le même constat d’un système de santé “menacé”. “Tous les ingrédients sont réunis pour que des mesures aux apparences généreuses présentées comme des ‘annonces fortes’ en faveur de l’hôpital public laissent néanmoins inchangées les orientations qui minent nos établissements”, analyse-t-il, citant pêle-mêle la “défiance à l’égard des professionnels”, l’instauration d’une “gouvernance bonapartiste” ou encore “l’absence d’articulation avec la médecine de ville” et la “mauvaise anticipation de la pénurie médicale”.
“Le pouvoir central provoque des déficits dont sont ensuite accusés les acteurs de terrain”, regrette le Pr Granger. Soulignant une “évolution dangereuse”, il évoque également un “niveau critique” de restrictions imposées à l’hôpital. “Le garrot qui l’étrangle doit être desserré. Le gouvernement s’y oppose. Ce refus justifie le mouvement social en cours à l’hôpital public, en particulier la grève du codage qui symbolise le rejet de l’hôpital-entreprise.”
Lui aussi propose des pistes pour “changer d’orientation” : rémunérer, par exemple, les personnels hospitaliers à la hauteur du service rendu, des particularités régionales, de leurs compétences et de leur dévouement ; mais aussi de ré-instaurer un lien de confiance entre les pouvoirs publics et les professionnels de santé en leur déléguant plus de responsabilité ou encore faire des “efforts d’investissements”.
[Avec Le Monde]
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