Les pénuries de médicaments sont devenues ces dernières années un sujet d'inquiétude majeur. Surtout lorsqu'elles touchent des produits aussi essentiels que les vaccins, les antibiotiques et, depuis avril, les corticoïdes. Comment expliquer ces tensions d'approvisionnement, que certains qualifient de "scandale sanitaire" ? Le prix des médicaments français est-il en cause ? Les réponses du Dr Thomas Borel, directeur scientifique du Leem (Les Entreprises du médicament). Egora.fr : Avant de rentrer dans le vif du sujet, pouvez-vous nous dire qui fabrique et commercialise les corticoïdes pour le marché français ? Dr Thomas Borel : Pour les corticoïdes oraux, la prednisone et prednisolone, il y a dix laboratoires exploitants. Ils sont tous, sauf un, producteurs du médicament sous sa forme générique. Les corticoïdes injectables sont produits par différents laboratoires de spécialités, puisque ces médicaments ne sont pas nécessairement génériqués. L'ANSM a vaguement évoqué le 14 mai un "retard de fabrication". Qu'en est-il exactement ? Pour la prednisone et la prednisolone, il y a un problème de fabrication non pas du principe actif, mais du produit fini. La production principale vient d'une entreprise française. Une partie de la production vient aussi d'une entreprise grecque. Il y a deux situations différentes : d'une part, un problème de capacité de production de l'entreprise française, et un problème de qualité de l'entreprise grecque.
Ce qui s'est passé, et ce que l'on constate d'ailleurs très souvent dans les cas de pénurie, c'est qu'il y a eu des phénomènes de report : une tension sur un des produits a conduit les pharmaciens et les prescripteurs à se reporter sur une autre forme, avec parfois de la surcommande de certains grossistes et pharmaciens. Par effet domino, on se retrouve avec des produits en tension sur toute la chaine. Pour rentrer dans les détails, il y a eu un problème sur la production de prednisolone effervescent et un report sur la forme orodispersible, ce qui a généré une tension en chaine. Le volume des corticoïdes est très important : c'est à peu près 20 millions de boites par an, toutes formes confondues, dont 11 millions sur la prednisolone orodispersible. L'agence sanitaire a demandé aux industriels d'importer des spécialités équivalentes et a écarté, fin mai, tout risque de pénurie. Mais dans les faits, les pharmaciens et médecins sont toujours en difficulté. Le problème est-il vraiment réglé ? L'ANSM fait un gros travail sur ce genre de situation, qui est quand même très compliquée puisqu'elle touche à la fois beaucoup de patients et beaucoup de laboratoires. Il y a une réunion il y a quelques semaines [le 9 mai, NDLR] pour organiser la réponse et faire un état précis de la production et des stocks ; le Leem et le Gemme [syndicat des génériqueurs, NDLR] étaient présents en tant que syndicats. Les données remontées par les industriels étaient plutôt rassurantes quant au volume disponible, si on se réfère à ce qui a été consommé l'année précédente. D'où le message rassurant de l'agence sur la prednisone et la prednisolone. Les problèmes devraient se résoudre assez vite. Même si ça prend du temps de réapprovisionner les pharmacies les unes après les autres. D'autant que les laboratoires n'étaient plus en capacité de constituer des stocks de secours, compte tenu de la vulnérabilité de la chaine de production. Dans une tribune publiée dans Le Monde le 28 mai, des rhumatologues et associations de patients pointent "le prix extrêmement bas de ces médicaments anciens", qui "retentit de manière très négative sur leur rentabilité, poussant les industriels à les retirer du marché indépendamment de leur intérêt thérapeutique". Le prix des corticoïdes en France a-t-il concouru à cette pénurie ? Est-ce qu'il y a un sujet différentiel de prix ? La réponse est oui.* Est-ce que ça a joué dans la pénurie de prednisone et de prednisolone ? La réponse est non. On est sur une chaine de production nationale. On n'est pas du tout dans une logique d'arrêt de commercialisation pour cause de prix trop bas du produit. Les grossistes-répartiteurs, du moins je l'espère, ne font pas beaucoup d'exportations parallèles sur ces produits. Qu'en est-il de l'arrêt de commercialisation au 31 juillet du corticoïde injectable Kenacort Retard (triamcinolone, Bristol-Myers Squibb), évoqué dans cette même tribune ? C'est un problème d’arret de ligne de production car la forme pharmaceutique est obsolète. En ce qui concerne le Diprostène (bétaméthasone, MSD France), autre corticoïde injectable, la production a dû être temporairement arrêtée pour des questions de qualité sur la chaine de fabrication.. Le problème étant en partie réglé, il devrait être à nouveau disponible au moins de juillet.
Les corticoïdes injectables disponibles se font rares, disent-ils… Ce qui est important, c'est de regarder les alternatives thérapeutiques. Pour le Kenacort, l'arrêt de commercialisation a été envisagé avec l'ANSM, comme il se doit – on n'est pas sur une rupture brutale. L'agence a estimé qu'une alternative thérapeutique existait. La ministre de la Santé a promis un plan d'actions face aux pénuries d'ici la fin du mois. Quelles sont les mesures que vous attendez ? J'ose espérer que la ministre prendra en compte les propositions pragmatiques que nous avons mis sur la table en février, notamment la constitution de stock de sécurité pour certains médicaments d'intérêt sanitaire et stratégique (Miss). Comme les corticoïdes ? Oui, car on en a besoin pour un certain nombre d'indications. La question est de savoir ce qu'il faudrait retenir comme produits d'intérêt sanitaire et stratégique. Certains sont utilisés en cancérologie ou pour des pathologies pour lesquelles il y a peu d'alternatives, comme les pathologies rhumatismales. Mais on ne peut pas faire des stocks de sécurité sur tous les produits, surtout quand ils ont quatre formes comme la prednisone et la prednisolone. La question est de savoir si on doit en privilégier un. Quelles sont les autres dispositions à prendre d'après vous ? Si on évoque le sujet de la production industrielle en Europe, on est plus dans le moyen terme. En termes de réponses opérationnelles, il faut qualifier un certain nombre de médicaments et s'assurer des capacités de stockage suffisantes. Ce que révèle aussi la pénurie de corticoïdes, c'est un problème d'information des patients et prescripteurs sur la situation en temps réel. La coordination de la chaine, et l'information en bout de ligne, n'est pas optimale.
Des voix, comme celle du sénateur Jean-Pierre Decool, s'élèvent pour créer un pôle – européen ou national – de production de médicaments stratégiques, à l'image des Etats-Unis. Est-ce faisable et souhaitable ? Le modèle économique de l'industrie du médicament étant très mondialisé, pour avoir des prix peu élevés, il faut avoir des volumes suffisants et donc être sûr de couvrir une population assez importante. Les coûts de fabrication sont quand même loin d'être négligeables. L'Armée pourrait en témoigner, même si le sujet de la rentabilité économique ne se pose pas s'agissant de la défense nationale. D'autre part, il serait loin d'être simple de coordonner les différents états sur les produits à privilégier. Quand vous voyez ce qui se passe aujourd'hui en cas de rupture… les états ne sont pas si coopérants que ça et essaient plutôt de récupérer les produits chez le voisin. Ce serait donc loin d'être si évident à faire. * Le Leem estime que les prix des médicaments en France sont dans 50 % des cas inférieurs au plus bas prix européen. Par exemple, une ampoule d'Augmentin 1G/200MG injectable est vendue 4,34 euros en France, contre 7,67 euros en Allemagne.
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