La fusion du Travail et de la Santé au sein d'un super-ministère inquiète les médecins

12/01/2024 Par Louise Claereboudt
Politique de santé
Les acteurs du monde de la santé ont exprimé des réserves à la suite de la nomination de Catherine Vautrin à la tête d'un giga-ministère incluant le Travail, la Santé et les Solidarités. Beaucoup craignent que la santé passe au second plan.

L'annonce de sa nomination a été une surprise pour tous. Alors que les noms de Frédéric Valletoux ou encore d'Arnaud Robinet circulaient, c'est finalement Catherine Vautrin, actuelle présidente de la communauté urbaine du Grand Reims, qui a été nommée à la tête d'un super-ministère incluant le Travail, la Santé et les Solidarités, au sein du Gouvernement de Gabriel Attal. Elle succède à Agnès Firmin Le Bodo, qui assurait l'intérim depuis la démission d'Aurélien Rousseau, le 20 décembre dernier. Personnalité politique issue de la droite, Catherine Vautrin est ainsi la 7e ministre chargée de la Santé depuis le premier mandat d'Emmanuel Macron. Alors que l'annonce de la composition du Gouvernement se faisait attendre, les acteurs de la santé, qui ont exprimé des inquiétudes face à la valse des ministres de la Santé, n'ont pas tardé à réagir à sa nomination. Du côté des syndicats de médecins libéraux, la CSMF a salué la nomination de Catherine Vautrin, se réjouissant que "la Santé remonte dans l’ordre protocolaire du Gouvernement", au sein d'un ministère plus large. "La CSMF y voit le signe que la Santé, deuxième source de préoccupations des Français, pourrait enfin bénéficier des moyens nécessaires à tous les Français et à leurs médecins", écrit la Confédération dans un communiqué. Les Libéraux de santé, qui regroupent 10 syndicats représentatifs des professions de santé libérales, ont abondé en ce sens : "L’arrivée de Catherine Vautrin à la tête d’un grand ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités, et son rang élevé dans l’ordre protocolaire du nouveau Gouvernement sont une chance, car l’ensemble de ces trois grands secteurs sont liés." Côté hôpital, la Fédération hospitalière de France "souhaite voir dans la constitution d’un grand ministère réunissant les enjeux du Travail, de la Santé, de l’Autonomie et, sans doute, de la Fonction publique, le signe qu’ils feront l’objet d’un portage politique renforcé et tout à fait prioritaire", écrit-elle dans un communiqué. "Un grand ministère social sera un atout pour les politiques de santé et de prévention, j’en suis certain", a souligné Aurélien Rousseau sur X (anciennement Twitter), ce vendredi matin, adressant ses "félicitations républicaines" à Catherine Vautrin.

  "Second plan" Pour d'autres, en revanche, le portefeuille très large confié à Catherine Vautrin risque de faire passer la santé "au second plan", pour reprendre les mots du Dr Patrick Gasser, et ce alors que les enjeux sont immenses (crise des urgences, déserts médicaux…). "Je ne crois pas que ce soit l'image de l'audace et de la transformation", a commenté le président d'Avenir Spé auprès de l'AFP. "Est-ce que cette nomination est le signe que la santé est un sujet très important méritant un grand ministère, ou bien est-ce le signe qu'elle ne mérite pas un ministère à part entière ?", s'interroge aussi la Dre Agnès Gianotti, présidente de MG France. Un ministère délégué, chargé spécifiquement des questions de santé, devrait toutefois être créé et confié à Agnès Pannier-Runacher, qui était chargée de la Transition écologique dans le Gouvernement d'Elisabeth Borne. Ce qui ne semble pas rassurer le Dr Jérôme Marty, président de l'UFML-S. "Le signal qui vient de nous être lancé, c'est un peu plus d'économies dans la santé puisque madame Catherine Vautrin autant qu'Agnès Pannier-Runacher se sont plus occupées au cours de leur parcours politique du fait industriel ou économique que du fait sanitaire", a déclaré le généraliste toulousain dans une vidéo postée sur X, estimant que "la santé joue un peu en division 2 maintenant". "Le vrai ministre de la Santé apparaît être Bruno Le Maire", a-t-il ajouté.

Sur les réseaux sociaux, des médecins, dont le Dr Michaël Rochoy, ont en outre regretté la disparition de la Prévention dans l'intitulé du ministère. D'autres s'alarment des positions conservatrices sur certaines questions de société de Catherine Vautrin - elle s'était notamment opposée au Mariage pour tous en 2013, avant d'exprimer des regrets.

  "Cri d'alerte" des jeunes L'inquiétude est aussi palpable du côté des jeunes médecins généralistes. "L’intégration du pilotage du système de santé au sein d’un ministère aussi large ne doit pas faire oublier les spécificités de celui-ci", écrit le Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (Reagjir) dans un communiqué. Dans un texte commun, la Fage, représentant les étudiants en maïeutique, pharmacie, kinésithérapie, orthophonie, podologie, sciences infirmières, biologie médicale et ergothérapie ont également exprimé leur incompréhension concernant cette "fusion" des ministères. "Les domaines de la santé et du travail nécessitent une autonomie franche et des approches spécialisées pour assurer leur efficacité".

"Les étudiants et étudiantes en santé lancent un cri d'alerte face à des réformes universitaires abandonnées, des stages maltraitants et des conditions d'étude inacceptables. Ces combats ne doivent pas être relégués au dernier rang des priorités", poursuivent ces jeunes, pour qui "cette décision gouvernementale est déconnectée de la réalité quotidienne des étudiants en santé". Plus tard ce vendredi, l'Association nationale des étudiants en médecine de France s'est exprimée à son tour sur cette nomination et cette fusion, ne cachant pas ses craintes. "La santé doit rester une préoccupation centrale et non subordonnée au sein de ce nouveau ministère", appelle-t-elle. Alors que les enjeux entourant les études médicales seront encore en 2024 importants - première édition des Ecos, derniers arbitrages concernant la 4e année de médecine générale, lutte contre la précarité, etc., l'Anemf se montre toutefois ouverte à échanger avec la nouvelle ministre et sa déléguée "pour promouvoir les intérêts des étudiants en médecine".   Défis Les défis qui attendent Catherine Vautrin et Agnès Pannier-Runacher sont immenses (projet de loi fin de vie, lutte contre les déserts médicaux, crise de l'hôpital, réforme de l'AME...), à l'instar des attentes. La FHF insiste d'ailleurs "sur l’ampleur des défis qui attendent le secteur de la santé, et en particulier le service public, pilier indispensable pour l’accès aux soins de la population". Action Praticiens Hôpital et ses composantes ont demandé à "être rapidement rassurés sur l’engagement de sa ministre de tutelle pour la restauration d’un système de santé qui tient sur ses deux jambes". "Il est primordial de redonner confiance aux professionnels de santé qui doivent déjà relever de nombreux défis au quotidien", a de son côté écrit l'Ordre des kinésithérapeutes dans un communiqué, rappelant le "rôle majeur" que jouent les 105 000 kinés de France. "Alors que la santé est un sujet majeur de préoccupation pour les Français, et que de plus en plus de patients en affection longue durée sont sans médecin traitant, il est indispensable que notre système de santé évolue vers une coopération plus importante entre les professionnels de santé, avec une montée en compétences des infirmiers, a déclaré le président de l'Ordre infirmier, Patrick Chamboredon. Pour cela, il est nécessaire de poursuivre les travaux sur le décret infirmier pour que l’exercice de la profession infirmière soit adapté à la réalité du quotidien. Nul doute que nous pourrons compter sur l’expérience, la détermination et le pragmatisme de Catherine Vautrin pour réformer notre système de santé au service des Français et particulièrement des plus fragiles d’entre eux." Les messages sont lancés.   [avec AFP]  

7 débatteurs en ligne7 en ligne
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Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 11 mois
Quitte à faire des économies, il eut mieux valu mettre santé & écologie dans le même ministère que écologie dans Bercy. Cela prouve une chose: L'écologie qui est le plus gros morceau de ce qu'on
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Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 11 mois
Cela m'indiffère, à vrai dire. Il y a deux types de ministres: - les ministres "ventilateurs" - brassage actif de l'air - les ministres "moulin à vent" - ils se laissent pousser par l'air du tem
Photo de profil de Olivier Perrin
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Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 11 mois
« Il faut se réarmer, se lever tôt, se coucher tard, se relever les manches, travailler plus, continuer à travailler à la retraite, et lécher les pieds du bon roi Macron » : c’est bien connu
 
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