"Il faudra se battre pour défendre la place de la médecine générale"

01/05/2018 Par Corinne Tutin
Santé publique
Dépistage, pertinence des soins, infirmières de pratique avancée… Le Pr Pierre-Louis Druais, qui préside le Collège de la médecine générale (CMG), dresse le bilan du Congrès de la médecine générale France qui s'est déroulé à Paris du 5 au 7 avril dernier, et commente certaines propositions phares du Collège de médecine générale (CMG).

  Egora-Le Panorama du médecin : Quel bilan tirez-vous de ce 12e Congrès du CMG ? Pr Pierre-Louis Druais : Ce congrès a été très riche en informations et a réuni davantage de participants qu’en 2017, environ 4 000. Il n’a d’ailleurs pas rassemblé que des médecins français mais des praticiens francophones, et nous réfléchissons à axer davantage le congrès 2019 vers nos collègues africains. En dix ans, la filière médecine générale s’est beaucoup développée ; la recherche est bien plus active en matière de soins primaires. Nous avons donc pu avoir des présentations et discussions étoffées, lors des sessions plénières de ce congrès.

  De nombreuses sessions de ce congrès étaient consacrées à la prévention. Quelles sont les actions prioritaires à mener sur ce thème pour le CMG ? Nous avons consacré une session à la vaccination. Comme nous l’avons rappelé le 3 novembre 2017 dans un communiqué, nous soutenons le programme de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, d’obligation vaccinale pour onze valences, car c’est le seul moyen d’atteindre les objectifs de santé publique de couverture vaccinale au sein de la population. Il est important de lutter contre l’hésitation vaccinale et de véhiculer l’idée d’un bénéfice collectif et de fonction citoyenne par la promotion de la vaccination. Nous avons aussi abordé le thème du risque cardiovasculaire. Depuis deux ans, le Collège s’intéresse plus particulièrement, en effet, à la thématique émergente des pathologies coronariennes aiguës chez les femmes de 45-50 ans. On sait que le mode de vie, le stress au travail, l’appartenance à un milieu social défavorisé, l’existence d’un gradient Nord/Sud influencent le risque. Une réflexion, que nous avonsmenée conjointement avec la Direction générale de l’offre de soins [Dgos], est de développer une échelle de calcul, eRCV, de risque cardiovasculaire, plus adaptée aux caractéristiques épidémiologiques de la population française que le score de Framingham [voir p. 17]. Après une phase d’évaluation et de faisabilité couronnée de succès en 2017, cet outil est en passe d’être diffusé plus largement. Nous mettons en place, dans le cadre d’un protocole de recherche, une étude randomisée sur 30 médecins, utilisant pour moitié eRCV et pour l’autre non, afin de déterminer comment cet outil facilite le repérage des patientes à risque cardiovasculaire. La moitié de ces praticiens travaillant avec une infirmière de l’association Asalée [Action de santé libérale en équipe], nous regarderons aussi comment l’outil eRCV peut aider ces professionnels de prévention à développer l’éducation thérapeutique avec les patients, par exemple en matière de nutrition. eRCV sera intégré à Peps, un outil d’aide en ligne à l’éducation.   Plusieurs sessions du congrès ont traité du dépistage des cancers. L’INCa préconise la mise en place de consultations dédiées aux âges de 25 et 50 ans pour le faciliter. Que pensez-vous de cette proposition? Il est important que les médecins généralistes participent aux actions de dépistage des cancers les plus pertinentes. Ce d’autant plus qu’on observe un paradoxe que nous avons abordé lors du congrès. Même si les chiffres sont en diminution, beaucoup de patients sont encore dépistés par dosage du PSA pour le cancer de la prostate, souvent sans même être prévenus, dans un bilan systématique, et ce même après 75 ans ; ceci est délétère Dans le même temps, plus de 60 % de la population n’a pas de dépistage du cancer colorectal malgré ses bénéfices démontrés. Organiser des consultations dédiées par tranche d’âge pourrait permettre d’éduquer les patients sur l’intérêt des dépistages les plus pertinents. Par exemple, il faut aussi s’intéresser au mélanome, pour lequel il est facile d’expliquer la notion de capital solaire, de surveiller les nævi. Plus généralement, il faudrait avoir une approche de prévention globalisée pour les différents risques, et pas seulement le cancer, en définissant avec les patients un plan de santé, reprenant sans stigmatiser les points qui vont plutôt bien et ceux qui pourraient être améliorés. Si on voulait optimiser les choses, il faudrait que ces consultations de prévention fassent l’objet d’une valorisation et d’une motivation, y compris financière pour les médecins, et pourquoi pas fiscale, pour les patients qui feraient le choix de cette démarche, elle aussi citoyenne.   La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, s’est déplacée sur le congrès le 7 avril et a annoncé la mise en place de plusieurs mesures qui pourraient modifier l’exercice de la médecine générale : lancement des premiers masters d’infirmiers de pratique avancée dès septembre 2018, promotion de la recherche en médecine générale, développement des stages pour les internes en médecine générale dans les zones sous-denses… Qu’en pensez-vous ? La déclaration de la ministre sur les maîtres de stage est importante, car les internes en médecine générale doivent être formés en contexte de soins dans des lieux d’exercice. Le CMG se félicite aussi de son souhait de promouvoir la recherche en soins primaires. Rien n’est gagné toutefois, car le financement global risquant de ne pas augmenter, il faudra se battre pour défendre la place de la médecine générale. Beaucoup de travaux de recherche ont été présentés durant ce congrès. Actuellement, le CMG mène une étude, Forceps*, soutenue par l’INCa, pour évaluer si une formation des médecins généralistes à l’approche centrée des patients améliore, comme nous l’espérons, leur participation au dépistage du cancer colorectal. L’idée de créer des infirmiers de pratique avancée est bonne, et nous sommes favorables à ce qu’on redonne ses lettres de noblesse au métier d’infirmier avec un droit à la prescription. Le Collège souhaiterait cependant que les soins pris en charge par ces professionnels soient protocolisés avec le médecin traitant. Surtout, il faudrait, comme nous le demandons, former des infirmiers de pratique avancée, spécialisés en soins primaires, travaillant en coopération avec les médecins généralistes. Ce pour éviter que ces nouveaux infirmiers de pratique avancée ne travaillent qu’au sein des hôpitaux et que la création de cette profession ne contribue encore davantage à l’hospitalocentrisme ambiant. Il faudrait, de plus, que les médecins généralistes enseignants soient impliqués, comme cela s’est fait pour les sages-femmes, dans la formation de ces infirmiers de pratique avancée en soins primaires dans les universités.

  Agnès Buzyn a aussi indiqué que la feuille de route sur la mission sur la pertinence des soins serait rendue fin mai et a félicité le CMG pour son travail concernant le développement de la base EBM France. Où en êtes-vous sur ce dernier point ? Nous avons avancé sur le développement de la base de guides EBM France colligeant les recommandations tilisables en soins primaires [voir p. 17]. Plus de 200 médecins généralistes ont testé ces guides, issus de la base de données Duodecim, et ont validé leur utilité. Nous y avons ajouté depuis des recommandations de la Haute Autorité de santé, pertinentes pour la pratique en médecine générale. Aujourd’hui, EBM France passe en grandeur nature. Nous travaillons, en effet, avec les effecteurs pour l’intégrer aux logiciels médicaux.   * Forceps : FORmation des médecins généralistes à l’approche Centrée Patient dans le dépistage du cancer colorectal.

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