Le chlordécone, ce neurotoxique et reprotoxique qui a empoisonné les Antilles

27/09/2018 Par Catherine le Borgne
Santé publique

Le pesticide perturbateur endocrinien reconnu comme neurotoxique, reprotoxique et cancérogène probable, abandonné en 1993, était massivement utilisé pour lutter contre le charançon du bananier. Il a pollué les sols de Guadeloupe et de Martinique pour des centaines d'années. Les Antilles sont "championnes du monde" des cancers de la prostate, dont le taux est deux fois plus élevé qu'en métropole.

Un pesticide perturbateur endocrinien, neurotoxique reconnu, est au coeur de la visite du président de la République en Martinique, ce jeudi. Pendant des années, le chlordécone n'a soulevé aucune question. Utilisé massivement dans les bananeraies entre 1972 et 1993, le produit était la solution la plus simple et la plus efficace pour lutter contre le charançon du bananier, un petit insecte ravageur.  Vingt-cinq ans plus tard, changement d'époque et de mentalité: "parler de la santé, c'est aussi parler des drames du passé et de nos responsabilités collectives, et sur le chlordécone, je serai clair pour dire que nous continuerons le travail avec lucidité et détermination car on ne peut accepter les situations dans lesquelles nous sommes", avait lancé Emmanuel Macron au mois de juin.  Il faut dire que la situation en Martinique et en Guadeloupe est au minimum préoccupante, au pire catastrophique. Interdit dès 1977, aux Etats-Unis, il a fallu attendre 1990 en France pour voir ce pesticide interdit. Et même 1993 dans les Antilles, pour qu'il soit abandonné alors qu'il avait été autorisé par deux dérogations signées par les ministres de l'Agriculture de l'époque.  Le chlordécone est pourtant un perturbateur endocrinien reconnu comme neurotoxique, reprotoxique (pouvant altérer la fertilité), et classé cancérogène possible dès 1979 par l'Organisation mondiale de la santé.  Conséquence de cette utilisation intensive pendant près de trente ans: le pesticide est toujours présent dans les sols. Et il n'est pas près de disparaître puisqu'il pourrait être encore là dans 600 ans. En remontant dans la plante, la molécule contamine particulièrement les légumes-racines, comme les patates douces, les carottes ou les ignames. Le chlordécone peut aussi aller dans les eaux de captage et les eaux marines, et contaminer les produits de la pêche. Des zones d'interdictions de pêches ont même dû être créées. Bien que le produit ne soit plus utilisé, la population antillaise est donc particulièrement exposée, surtout quand elle s'alimente par les circuits informels (autoproduction, bord de route), qui peuvent présenter des produits en provenance de zones contaminées. Selon les résultats d'une étude de l'agence Santé publique France rendus publics en janvier, "plus de 90% de la population adulte" en Guadeloupe et Martinique, soit "la quasi totalité", est ainsi contaminée par le chlordécone.  Le produit est soupçonné d'être responsable notamment d'une explosion des cancers de la prostate aux Antilles, comme l'a révélé une étude de l'Inserm en 2010. Et selon André Cicoletta, toxicologue et président du Réseau Environnement Santé, "les Antilles sont champions du monde des cancers de la prostate", avec 227 cas pour 100 000 en Martinique et 184 en Guadeloupe. Des taux deux fois plus élevés qu'en métropole... Le chlordécone aurait également un impact sur la grossesse et le développement des enfants. En 2012, l'étude "Timoun" a mis en évidence des troubles de comportement des enfants, des pertes de motricité et "des pertes de QI de 10 à 20 points", tandis que le risque de prématurité est, lui, augmenté, selon des résultats de l'Inserm publiés en 2014. Enfin, les chercheurs ont découvert chez les souris que l'exposition à cet insecticide nuit à la production de spermatozoïdes de plusieurs générations de mâles, même s'ils n'ont pas été exposés eux-mêmes. Toutefois, ces conclusions ne peuvent pas automatiquement s'appliquer à l'homme. Pour lutter contre la contamination au chlordécone, les gouvernements successifs ont déjà mis sur pied trois plans de prévention. Le dernier prévoit 30 millions d'euros d'investissements entre 2014 et 2020, afin de financer des études pour mesurer l'impact sur la santé et l'environnement mais aussi dresser une carte plus précise des lieux contaminés.  Et fin juillet, le ministère de l'Agriculture a décidé de revoir les limites autorisées pour la présence dans les aliments de chlordécone et a demandé à l'Agence nationale de sécurité de l'alimentation et de l'environnement (Anses) de réévaluer les valeurs toxicologiques de référence, à la suite d'un recours déposée par une association guadeloupéenne devant le tribunal administratif de Paris. [Avec l'AFP]  

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