"Le médecin n'est pas le bras armé de l'Etat" : la mise au point du président de l'Ordre
Egora.fr : Le Président de la République a déclaré qu’il avait "très envie d'emmerder" les non vaccinés. Quelle est votre réaction en tant que médecin vis-à-vis de cette "stratégie" vaccinale assumée ?
Dr Patrick Bouet : Dans la position qui est la mienne, je ne peux pas me permettre de porter un jugement déconnecté de la réalité. Je pense aujourd’hui que ce n’est pas par les paroles choc que l’on va pouvoir convaincre les personnes réfractaires à la vaccination, mais en allant à leur contact et en essayant de les convaincre quasiment individuellement.
Ce qui nous gêne aussi, c’est que l’on globalise cette population de non vaccinés, que l'on réagit comme s’il s’agissait de 6 millions de personnes qui pensent toute la même chose. Or, nous voyons bien dans notre quotidien de médecins qu’il y a une multiplicité de profils. Ce sont très souvent des personnes en difficulté, marginalisées, précaires, isolées, voire en situation irrégulière. Plutôt que de prononcer des phrases choc, il faut que la campagne vaccinale se donne les moyens de toucher l’ensemble des populations avec une argumentation positive. Car nous savons bien que l’argumentation répressive n’aidera pas à mobiliser une partie des non vaccinés…
Ces propos mettent-ils en difficulté les médecins vis-à-vis de ces patients ?
En tout cas, ces propos ne simplifient pas notre tâche ! C’est un dialogue individuel qui s’engage autour de la vaccination, une discussion avec chaque patient. Nous aimerions nous concentrer sur des arguments médicaux et scientifiques plutôt que de désamorcer des polémiques.
Ces dernières semaines, la présence d’une majorité de patients non vaccinés dans les services de réanimation a fait l’objet de débats, suscitant des propositions controversées. Certaines voix suggèrent de faire supporter le coût des soins à ces patients, ou encore de poursuivre pénalement les personnes non vaccinées qui auraient transmis le Covid à quelqu’un d’autre. Le Pr Grimaldi quant à lui a tenté de confronter les non vaccinés à leur choix en leur suggérant de renoncer à la réanimation au travers des directives anticipées. Quelle est votre position ?
Ma position est celle de l’Ordre des médecins, une position éthique et déontologique. Elle est de dire que notre responsabilité, à nous médecins, est de...
convaincre et de prendre en charge les patients -la déontologie le dit clairement- quels que soient leur opinion, leur religion, leur genre, leur conception de la vie, leur origine ethnique. Il n’est pas éthique et déontologique pour nous de différencier l’accès et le droit aux soins d’une population par rapport à une autre.
Si le Gouvernement a décidé de ne pas rendre la vaccination obligatoire, c’est qu’il a accepté qu’une partie de la population ne serait pas vaccinée. Sans ça, il l’aurait rendue obligatoire et en aurait fait un délit pénal : le fait de ne pas être vacciné aurait eu des conséquences. Il ne faudrait pas transformer ce choix politique en débat éthique. Quand un patient est malade, ou blessé, ou torturé, on se doit de le soigner. Mes confrères israeliens ne se posent pas la question de soigner un patient palestinien terroriste… Ethiquement, le médecin doit apporter des soins, et le politique doit donner aux médecins la capacité de le faire. Il a des responsabilités qu’il doit assumer. Cette situation est la conséquence de choix politiques, pas de choix médicaux.
Dans une tribune publiée par la Croix vous écrivez que "l’objectif de la gestion de cette crise sanitaire n’est pas de sauver l’hôpital mais de sauver des vies". Or les déprogrammations qu’elle implique entrainent des retards de prise en charge et de diagnostic, des pertes de chances et, in fine, des décès. Faut-il continuer à accorder une priorité absolue aux patients Covid ? La Belgique a décidé de mettre un terme à cette politique en cas de saturation des réanimations*…
Vous ne m’entendrez jamais dire "priorité aux patients Covid". C’est une priorité à la vie : quand la vie d’une personne est en danger, la médecine se doit de lui répondre si elle est en capacité de le faire. Malheureusement, depuis des décennies, les acteurs politiques ont amené à la situation catastrophique dans laquelle se trouve aujourd’hui la santé française. Il y a quelques années j’avais publié un livre "Santé : explosion programmée"… nous sommes dedans. Parce des choix n’ont pas été faits au cours de la dernière décennie, aujourd’hui il faut arbitrer non pas sur des vies mais sur des secteurs d’activité… Pour nous, c’est une situation gravissime. On sait que si l’on reporte des interventions, que l’on diffère des prises en charge et des diagnostics, forcément on créé de la pathologie pour les mois ou années à venir. Il faut que tout soit fait pour que dans la situation actuelle, l’hôpital, avec le secteur ambulatoire, puisse continuer à sauver des vies, que nous puissions tous continuer à remplir notre rôle.
Les médecins doivent-ils reprendre la main dans cette gestion de crise ?
Les médecins depuis quasiment deux ans ne cessent d’alerter le pouvoir politique : “attention, ne nous éloignons pas de notre première responsabilité, qui est de sauver des vies”, la deuxième étant de faire en sorte que cette épidémie puisse disparaître grâce à des mesures de prévention, notamment la vaccination, et des mesures thérapeutiques (nous espérons beaucoup des traitements innovants qui...
pourront arriver dans les prochaines semaines). Il faut cesser de croire qu’il y a un bras de fer entre politique et sanitaire. Le rôle du politique est aussi de sauver des vies.
Vous écrivez que le “médecin est le dernier défenseur de la vie humaine qui donne à chaque individu le droit fondamental d'être pris en charge avec tous les moyens de la médecine". Vous implorez : "qu'on ne nous demande pas de faire le tri entre vaccinés et non vaccinés"… Mais cette saturation des capacités réanimatoires n’impose-t-elle pas déjà un tri entre patients ?
Nous l’avons déjà dit il y an, un an et demi, lorsque la question s’est posée : lorsqu’un patient est pris en charge, il y a toujours une décision médicale pour déterminer si les moyens mis en œuvre sont justifiés par rapport à la situation pathologique. Ça n’a rien à voir avec le fait de dire que les non vaccinés n’auront pas accès aux mêmes soins.
Le Président de la République a assuré il y a encore quelques jours dans son interview au Parisien : ”Aujourd’hui, il n’a pas de tri”...
Le Président de la République n’est pas médecin. Moi je suis médecin, et je vous dis ce que les médecins vivent aujourd’hui sur le terrain. C’est le terme de “tri” qui n’est pas acceptable. Quand il y a un tremblement de terre et que les médecins regardent les victimes sorties des décombres, ils prennent des décisions médicales : c’est ce que nous voulons faire comprendre à la population.
Nous ne voulons pas être des acteurs du tri, qui serait la conséquence d’un choix politique. Ça n’est pas notre mission. La seule question, médicale, que l’on se pose est : est-ce que les moyens que l’on met en oeuvre pour cette personne sont compatibles avec sa situation pathologique ? Ça, c’est une décision médicale, le tri serait un choix politique qui consisterait à nous imposer des conditions non médicales pour décider de l’accès aux soins des personnes. Ça, c’est très clairement non.
Pour alléger le fardeau éthique et moral des soignants, faut-il remettre l’obligation vaccinale sur la table?
Si l’Etat veut toucher cette population qui n’a pas répondu, pour des raisons diverses, à l’incitation vaccinale, il a des armes complémentaires. L’obligation vaccinale en est une. En tout cas, plus il y aura de...
Français vaccinés, plus nous éloignerons le spectre de la mort et des séquelles lourdes de la réanimation. Il faut tout faire pour que l’immense majorité de la population soit vaccinée : là, c’est un choix politique.
Vous soutiendriez l’obligation vaccinale?
Si l’Etat demain décidait de rendre la vaccination obligatoire, le monde médical accomplirait sa mission.
Les procédures disciplinaires ont-elles été engagées à l’encontre des médecins qui ne se sont pas vaccinés et ont été suspendus d'exercice par les ARS?
Oui des procédures ont été mises en œuvre par les chambres disciplinaires de première instance, mais je n’ai pas encore de chiffres précis à ce stade. Je l’ai dit et je le répète : les médecins non vaccinés devront rendre des comptes à la juridiction disciplinaire.
Un débat a émergé autour du statut de “repenti” des patients détenteurs d’un faux pass sanitaire**. Comment les médecins doivent-ils réagir en cas de suspicion de faux pass?
C’est une vraie question, que nous sommes en train d’aborder avec les autorités. Aujourd’hui, le médecin ne peut pas savoir si le pass sanitaire d’un patient est vrai ou faux. La seule façon de le vérifier, c’est d’aller...
dans la base Sidep. Pour l’instant, le débat sur le “repenti” se poursuit sur le plan politique, entre le Gouvernement et l’Assemblée nationale qui y sont favorables et le Sénat qui s’y oppose. Tout ce que nous avons à dire de façon très claire et sans ambiguïté, c’est que le médecin n’est pas le bras armé de l’Etat pour vérifier si oui ou non un patient est bien dans une situation régulière de vaccination. Les autorités qui centralisent ces données sont les seules qui peuvent les confronter. Nous ne sommes pas les auxiliaires de la politique gouvernementale, nous sommes des acteurs du soin.
Les médecins qui auraient des doutes sur un pass et se demanderaient quoi faire sont incités à contacter l’Ordre car nous sommes les plus à même de décider de ce qui peut être fait sur le plan déontologique.
Ces dernières semaines, des réquisitions de PDSa ont été ordonnées localement pour pallier la saturation des urgences. Quel est votre point de vue ? Sachant que certaines voix (le président de la FHF, Frédéric Valletoux, ou le candidat Eric Zemmour) appellent au rétablissement de l’obligation de garde…
A l’Etat qui parle de réquisitions, nous disons : faisons d’abord en sorte qu’il y ait le moins possible de territoires sans médecin. Ces réquisitions sont les conséquences d’une injonction de la hiérarchie plutôt que le fruit d’une discussion avec les acteurs locaux. Et malheureusement comme toujours, ces réquisitions ont été aveugles et désordonnées, touchant indifféremment des médecins qui avaient pris leur “distance” avec le système de la PDSa et d’autres qui en sont déjà largement partie prenante ou investis dans des actions de continuité des soins dans le cadre du Covid. Si pour renforcer un domaine de prise en charge du Covid, il dégarnit le front général de lutte contre l’épidémie, l’Etat prend une responsabilité politique. Ce que nous disons, c’est que ce n’est pas dans l’urgence que nous allons régler le problème de la permanence des soins… ou là encore, légiférez et décidez de la rendre obligatoire pour tous les médecins ! Le problème n’est pas lié au manque de volontaires, mais à la déstructuration du système de santé depuis une dizaine d’années… Si on réagit dans l’urgence, les décisions prises seront vécues négativement. Fort heureusement, certains ont compris que ce n’était pas comme ça que l’on pouvait résoudre la situation. Nous aurons l’occasion de revenir sur le sujet dans les semaines qui viennent.
En tout cas, ce n’est pas en clivant les professionnels avec des expressions abruptes mais en reconnaissant tous les acteurs, que ce soit à l’hôpital ou en ville, que nous nous en sortirons. Ce sont eux qui prennent en charge la population, loin de l’agitation du monde politique qui les entourent.
*"Le principe de réservation de lits Covid est abandonné […], la disponibilité de tous les soins critiques doit être assurée. En pratique, les priorités (qu’il y ait ou non une pathologie COVID) seront fixées sur la base du triage médical", édicte un courrier du Comité Hospital & Transport Surge Capacity envoyé en début de semaine aux hôpitaux belges.
**Ils échapperaient à l'amende s'ils se vaccinent dans les 30 jours.
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