"Nous les médecins, il faut qu'on arrête ce corporatisme" : les quatre vérités de Michel Cymes
Egora.fr : Vous avez longtemps refusé d'écrire vos mémoires. Qu'est-ce qui vous a poussé à franchir le pas ? Dr Michel Cymes : Il y a deux choses qui m'ont poussé à écrire. La première, c'est que comme beaucoup de gens, j'ai fait un peu d'introspection pendant ces périodes de confinement et je me suis dit que finalement, j'avais traversé des choses dans ma vie qui pouvaient aider les autres. C'était le principal moteur. Et la deuxième, c’est que j'ai arrêté de consulter il y a un an : il y a plein de choses que je raconte dans ce livre que je ne voulais pas raconter tant que j'avais des patients face à moi. Notamment le cancer. C'est difficile à mon avis quand on est médecin de raconter qu'on a eu un cancer, puis d'annoncer un cancer au patient, qui va vous regarder un peu différemment. Donc j'ai attendu d'arrêter de consulter. Vous racontez des épisodes très intimes de votre vie : votre cancer, que vous n'aviez pas même révélé à vos enfants à l'époque, l'agression sexuelle d'un prof, et même votre dépucelage. Y a-t-il des secrets que vous avez finalement décidé de garder ? Il y a forcément des choses que je n'ai pas racontées. Le but de ce livre était de raconter des choses qui pouvaient aider les gens. Il y a aussi des anecdotes. Mais il y a des événements de ma vie qui n'ont aucun intérêt. Quand je parle du prof de maths, c'est pour dire aux gens d'être vigilant. Quand je parle du cancer, c'est pour favoriser le dépistage. Devenir médecin n'était pas une vocation pour vous. Vous dites que rien dans votre enfance ou votre histoire familiale ne vous prédisposait à devenir médecin. Pourquoi avoir choisi cette carrière? Je ne veux pas mentir en disant que j'ai eu la vocation, que depuis ma plus tendre enfance, je voulais sauver des vies. Je ne veux pas raconter cette légende. Au départ, je voulais être véto. On m'a déconseillé de le faire et puis je me suis dit que véto à Paris, ça ne devait pas être le plus passionnant. J'adorais le corps humain, les sciences naturelles… ça me passionnait. Et puis inconsciemment, je pense aussi que je voulais faire un métier prestigieux pour mes parents qui n'avaient pas eu la chance de faire des études : mes parents seront fiers de moi si je deviens chirurgien… Dans votre récit de la période de l'internat et au fil des pages de votre livre, on comprend votre attachement à l'esprit carabin. Il est aujourd'hui controversé, ce dont témoigne l'effacement de certaines fresques des salles de garde. Quel regard portez-vous sur cette évolution? Je trouve que c'est dramatique. Mais c'est une évolution de la société : l'humour est de plus en plus rare, on fait de plus en plus attention à ce qu'on dit, il ne faut pas faire un pas de côté. Cet humour carabin, ces fresques, ce sont aussi des traditions qui disparaissent. Quand j'étais patron de la salle de garde à Chartes, il y avait des vannes très sexistes. C'était sexiste mais bienveillant. On n'a jamais fait de mal à qui que ce soit, on n'a jamais manqué de respect à une femme. Mais le corps n'était pas tabou chez nous. Est-ce qu'on pourrait refaire des trucs comme ça sans que ce soit dénoncé immédiatement sur les réseaux sociaux ? Maintenant je fais gaffe avec l'humour. Les vannes sous la ceinture que je faisais avant dans le Magazine de la santé et qui ont fait en partie le succès de l'émission car ça donnait une image décontractée de la santé, je les referai encore aujourd'hui… mais j'en prendrais plein la tête sur les réseaux. C'est très inquiétant qu'on ne puisse plus se marrer, même dans les salles de garde. Vous vous questionnez à un moment dans l'ouvrage : "Aurais-je pu mener la vie d'apparence plus routinière d'un médecin de famille? Paradoxalement, oui", répondez-vous, tout en déplorant que les jeunes confrères préfèrent s'installer en ville. Que pensez-vous de toutes ces propositions de loi restreignant la liberté d'installation et de la 4e année d'internat en médecine générale à réaliser en priorité dans les déserts médicaux? Il est sûr qu'il faut que ça bouge, on ne peut pas rester comme ça. La coercition, ça ne fonctionne pas, on le sait. En même temps, les mesures d'incitation financière n'ont pas marché non plus. On ne peut pas obliger un jeune qui a fait ses études et qui a toujours vécu à Paris à aller s'installer sur le plateau du Larzac. Je trouve que cette 4e année proposée aux futurs généralistes, ce n'est pas complètement idiot, si c'est sur la base du volontariat, car ça permet d'aider un peu les déserts médicaux. L'avenir passe aussi par la téléconsultation, notamment les télécabines, et les transferts de compétences. Il n'y a pas de déserts infirmiers ! Il faut regarder la vérité en face : c'est nous, les médecins, qui sommes en grande partie responsables du fait qu'il n'y ait pas assez de spécialistes dans différentes spécialités parce qu'on a fait du corporatisme et que les syndicats ont tout fait pour éviter qu'il y ait trop de concurrence… Combien de temps a-t-il fallu pour qu'on autorise les pharmaciens à vacciner? Pour qu'on autorise des professions autour de la santé visuelle à faire des bilans ? Il n'est pas normal aujourd'hui qu'un médecin du travail n'ait pas le droit de faire une ordonnance. Il faut qu'on se réveille, il faut dépoussiérer notre médecine ! Il faut accepter de déléguer des tâches aux infirmiers et infirmières, sous l'autorité du médecin. Les IDE sont capables de réaliser de nombreux gestes, pour lesquels il ne faut pas 12 années d'études. Il faut qu'on arrête un peu ce corporatisme… A vos débuts dans les médias, vous avez été attaqué devant l'Ordre des médecins par des journalistes en santé qui vous accusaient de vous faire de la publicité en tant que médecin et de ne pas avoir de carte de presse. L'affaire en est restée là. Mais vous également essuyé les critiques de certains de vos confrères… Comment vivez-vous ces attaques ? Des attaques de confrères, il n'y en a pas eu tant que ça. Il y a eu des attaques de ce que j'appelle des ayatollahs de la santé publique, qui sont à la fois jaloux et très malhonnêtes. Moi ce qu'on me dit depuis que je suis dans les médias, c'est que j'ai rendu la médecine plus sympathique. Alors je veux bien qu'on m'attaque parce que j'ai fait une campagne de pub pour le dépistage du cancer de la prostate avec des copains qui avaient le pantalon sur les genoux en me disant que ça ne correspond pas aux recommandations… mais je crois qu'il faut se détendre un peu le périnée et accepter qu'on puisse faire un peu d'humour ! Si cette campagne...
a permis aux hommes de s'intéresser à leur prostate, tant mieux. Franchement, ces ayatollahs de la santé publique, je n'en ai rien absolument à foutre. Je crois que j'ai une bonne image auprès du corps médical, que les médecins comprennent que je suis l'un des leurs, que je ne suis pas un défroqué, que ma façon de parler de la médecine peut les aider. Et je crois que le fait que je sois en vitrine et que je gueule très fort -et ça s'entend- contre ceux qui racontent n'importe quoi, comme ça a été le cas pendant le Covid, est en faveur d'une bonne médecine. Je fais beaucoup pour défendre ceux qui disent la vérité scientifique et pas les charlots. Vous revenez d'ailleurs sur le fait que l'on vous a reproché, à tort, d'avoir qualifié le Covid de "grippette" au début de l'épidémie. Une campagne qui trouve sa source dans un accrochage avec Nadine Morano. Comment avez-vous vécu cette tempête qui s'est déchaînée contre vous, le fait qu'une partie de l'opinion se soit retournée contre vous à cause de ça? Aujourd'hui, j'ai compris que les haters ne représentaient qu'eux-mêmes et que l'importance que l'on donne aux réseaux sociaux est complètement irrationnelle. Même s'il y a 1000, 10000 ou 100000 personnes qui font du bashing anti-Cymes, il y a 66 millions de personnes qui n'en ont rien à foutre. Des enquêtes ont montré que les gens ne savaient même pas de quoi on parlait. Ces réseaux sont un vrai cancer pour la société, notamment à cause de l'anonymat. Mais surtout, ils ne représentent rien. Ce sont les médias qui disent "Cymes s'est fait tuer". Non : il s'est fait tuer par quelques abrutis et c'est tout. En tout cas, ça m'a appris à laisser les politiques entre eux car ils ne reculent devant rien et on n'a pas la même façon de voir la vie. J'ai dit que quand on était responsable politique, il ne fallait pas dire n'importe quoi et je me suis pris des messages de la part de dirigeants politiques que j'avais taclés… Il vaut mieux s'abstenir. En revanche, je pense que le Conseil national de l'Ordre des médecins devrait faire sa révolution. Vous leur reprochez leur inaction dans le livre… Moi aujourd'hui je perds un temps fou car il y a deux tarés qui m'ont attaqué devant l'Ordre pour avoir défendu la vaccination. Il faut aller en commission de conciliation, prendre un avocat… ça prend des mois et des mois, ça coûte de l'argent. Le premier m'a attaqué parce qu'à une époque il a eu un problème avec un vaccin antigrippe et pense maintenant que tous les vaccins sont pourris ; l'affaire a été réglée. Le deuxième, c'est parce que j'ai dit un jour que les gens qui ne se vaccinent pas, il fallait qu'ils sachent que s'ils étaient porteurs du virus, dans la journée ils pouvaient être responsables de la mort de quelqu'un. Je me bats pour que la plainte soit considérée comme irrecevable. A côté de ça, en temps de crise, il est inconcevable que l'académie de médecine réagisse en 48 heures pour contrer les propos complètement dingues de gens qui pensent avoir découvert je ne sais quel traitement, contre toute vérité scientifique, et que l'Ordre mettre un an ou deux avant de les convoquer ! Le conseil de l'Ordre doit faire sa révolution. Il faut que les statuts bougent pour que, quand un médecin dans les médias dit n'importe quoi et viole le code de déontologie en faisant la promotion d'un traitement non éprouvé scientifiquement – le Pr Raoult n'est pas le seul, plein de médecins se sont révélés complètement lunaires durant le Covid – on n'ait pas besoin d'attendre qu'un médecin porte plainte ou que le conseil de l'Ordre se saisisse, que ça passe par le départemental, le régional, le national… Il n'est pas possible d'attendre des mois pour que le mec soit convoqué ! Il faut organiser une veille médiatique au sein du conseil de l'Ordre. Il y a la liberté d'expression mais à partir du moment où un médecin viole le code de déontologie en faisant la promotion d'un traitement qui n'a pas fait ses preuves et dont tout le monde dit que ça ne marche pas, on ne peut pas le laisser parler. Il faut lui donner un avertissement. Vous dites à plusieurs reprises souffrir d'un syndrome de l'imposteur. D'où vient-il? Il vient apparemment de ce mélange TDAH – HP*. J'ai appris que c'était quelque chose de très fréquent chez les gens qui sont un peu particuliers, comme moi. Ça fait partie du tableau. Le syndrome de l'imposteur, ça vous colle à la peau toute votre vie. Je l'ai encore. C'est un problème de confiance en soi. Si vous deviez choisir le meilleur souvenir de votre carrière… C'est à la fois médical et personnel. J'ai sauvé ma belle-mère qui avait fait une fausse-route et qui était en train de mourir, en lui faisant la manœuvre d'Heimlich. Et là je me suis dit : "j'ai bien fait d'être médecin!" Il y aussi le jour où on m'a annoncé que je passais en 2e année de médecine. Ça n'a pas été simple. Vous avez été repêché car le quota d'étrangers avait été dépassé… Oui, je ne savais pas qu'il y avait des quotas. Mais quand vous avez raté votre bac, que vous avez galéré toute votre vie, quand vous trouvez malgré tout une force incroyable pour faire la première année, que vous travaillez comme un dingue et que vous êtes reçu du premier coup… la vie change. Dans ma carrière médiatique, je me souviens du coup de fil de Jean-Marie Cavada qui m'annonce, alors qu'il lance la Cinquième : "J'aimerais que vous soyez le médecin de la chaîne". Ça a fait démarrer beaucoup de choses. Et le pire souvenir? Le Covid n'a pas été une bonne période sur le plan médiatique. Et côté médical, mon pire souvenir c'est une intervention avec le Smur. On était allés chercher un monsieur d'une soixantaine d'années pour une suspicion d'intoxication au monoxyde de carbone. On était dans le camion. J'avais un peu "techniqué" mais il était conscient, on discutait, on déconnait... Et il a fait son arrêt cardiaque devant moi, je n'ai jamais pu le récupérer. Il avait une très grosse intoxication au CO. Mauvais souvenir. Quels sont vos projets aujourd'hui? Vous êtes désormais ambassadeur santé pour les Jeux olympiques de Paris… Les deux projets qui me tiennent le plus à cœur, c'est développer encore plus Dr Good, l'environnement digital autour du magazine, qui marche super bien, pour faire progresser la santé positive – je suis très fier de ce succès – et la deuxième chose, effectivement, c'est mon rôle d'ambassadeur santé à Paris 2024. Quelle mission on me donne de faire bouger les Français et les faire sortir de la sédentarité ! Avoir la confiance de Tony Estanguet… C'est pour moi une mission incroyable et une chance extraordinaire de mettre en pratique tout ce que je dis depuis des années.
Michel Cymes ; "Rien n'est impossible" Editions Stock *TDAH : Trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité. HPI : Haut potentiel intellectuel.
"Quand on me réclame une blague, ce n'est pas parce qu'on s'attend à ce que je raconte une histoire de Toto. Et le malheur, c'est que oui, j'ai toujours une petite blague à raconter… Mais pas forcément en présence d'un Président ! D'autant plus que mes blagues relèvent systématiquement de l'humour carabin. Néanmoins, ce qui, à jeun, me terroriserait m'apparaît presque concevable après quelques verres ; je vais donc accéder à la demande insistante de Baraton et raconter en présence de François Hollande l'inénarrable blague de l'amour tempête que la décence m'interdit de détailler ici.
Et là comment dire… Peut-être avez-vous déjà ressenti cette sensation étrange qui s'empare de l'entièreté de votre être quand, mue par quelque audace venue d'on ne sait où, une partie de vous fait avec conviction et entrain quelque chose que l'autre partie de vous vous recommande chaudement de ne pas faire? Chaudement, c'est le terme : ma température corporelle monte en flèche, je suis en nage, une dizaine de paires d'yeux me fixent, dont l'une présidentielle, dont une autre où il me semble distinguer un mélange d'affolement et de confiance ; c'est ma femme et son regard revolver.
La blague est longue, d'une salacité graduelle et croissante, plus adaptée à l'ambiance d'une salle de garde qu'au prestigieux décorum versaillais… Plus j'avance dans le récit, plus je me dis que je suis fou. C'est un peu comme sauter d'un avion en se demandant si par hasard, on n’aurait pas oublié le parachute. A chaque étape de l'histoire -qui m'oblige à me lever parce qu'il faut mimer d'improbables cènes-, bien que grisé par la situation, resurgit ce zeste de conscience qui me rappelle que François Hollande est là et, si complice et bienveillant qu'il puisse être, pourrait ne pas apprécier.
Fin de la blague. Je suis debout. J'ai le souvenir d'avoir déclenché des rires qui n'étaient pas que de politesse et d'en avoir été suffisamment rassuré pour en raconter une seconde dont la chute est tout aussi gratinée.
Quelques semaines après ce moment surréaliste, je recroise François Hollande, me confonds en excuses, lui dis toute ma gêne et lui fais cette confidence :
- Monsieur le Président, quand je dis à mes amis que je vous ai raconté la blague de l'amour tempête, ce n'est pas la blague qui les fait rire mais le fait que j'ai osé la raconter devant le Président de la République.
Dans sa grande mansuétude, regard malicieux et sourire en coin, il me répond :
- Et vous leur avez dit que je ne l'avais pas comprise?
Merci Monsieur le Président ! Même si je n'en crois pas un mot…"
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