Iris Maréchal et Chloé Geoffrey (crédit : Theremia)

Iris Maréchal et Chloé Geoffrey (crédit : Theremia)

Cette start-up aide les médecins à trouver le meilleur médicament pour chaque patient : "Le sexe, l'âge et l'ethnie sont essentielles"

Le mois dernier, Theremia récoltait trois millions d’euros à la suite d’une levée de fonds. La start-up développe une nouvelle technologie qui utilise l’intelligence artificielle pour déterminer la bonne dose de médicament pour le bon patient, en étudiant les différences populationnelles. Explications.

25/12/2024 Par Mathilde Gendron
Médicaments
Iris Maréchal et Chloé Geoffrey (crédit : Theremia)

Iris Maréchal et Chloé Geoffrey (crédit : Theremia)

Il y a un peu moins d’un an naissait Theremia, grâce à une rencontre entre Chloé Geoffroy et Iris Maréchal. La première a un parcours de pharmacienne et d’ingénieure chimiste. Elle a réalisé une thèse mélangeant à la fois les neurosciences, l’intelligence artificielle et la pharmacologie. La seconde a, quant à elle, fait des études de mathématiques et de santé publique. "Mon premier job c’était de travailler aux Etats-Unis sur la crise des opioïdes, pour essayer de comprendre les différences de populations dans l’addiction", explique Iris Maréchal. Là-bas, elle s’aperçoit qu’il existe notamment une différence entre les personnes noires et blanches. "Les populations noires vont métaboliser plus vite la codéine en morphine, ce qui fait que pour elles, l’addiction est directement plus forte quand elles en prennent."

Lorsqu’elle raconte son travail à Chloé, cette dernière lui confie qu’il existe également des différences par rapport au sexe. Elle lui explique : "Aujourd’hui, les médicaments sont développés avec une stratégie standardisée c’est-à-dire : un médicament = une dose = une fréquence pour tous les patients, peu importe les différences interindividuelles, et c’est problématique notamment en neurologie." À partir de ce constat, les deux femmes décident de lancer Theremia, dont l’acronyme signifie : "amélioration et renforcement de médicaments existants grâce à l’IA*".

"Theremia c’est une entreprise qui utilise l’intelligence artificielle pour mieux comprendre les différences [entre les] populations dans les traitements médicaux, et permettre notamment à l’industrie pharmaceutique, mais aussi aux praticiens de soigner avec cette approche-là", résume Iris Maréchal. Pour commencer, les deux fondatrices se sont limitées aux pathologies liées au système nerveux central, notamment Parkinson et Alzheimer. "On est en train de lancer les maladies psychiatriques, la migraine, l’oncologie gériatrique, qui est un nouveau sujet dont on a besoin pour comprendre les différences dans l’évolution des maladies quand on devient plus âgé, et la sclérose en plaques", détaille-t-elle.

Dans ces pathologies neurologiques, il existe justement des différences entre les populations "par exemple via le sexe, l’âge, l’ethnie, le stade de la pathologie… Elles sont essentielles [à repérer] pour comprendre quel est le bon traitement pour la bonne population", poursuit-elle. L’environnement est aussi un facteur important : . "Si on prend des triplés tous atteints de la maladie de Parkinson, et qu’on en met un en Chine, un aux Etats-Unis et un en France, ils ne vont pas développer le même type de Parkinson parce qu’ils n’ont pas le même mode de vie, la même alimentation, le même milieu…"
 

 

60% des patients n’ont pas la bonne dose de médicament

Si leur travail est si essentiel, c’est parce que selon elles, toutes les populations ne sont pas intégrées dans le cadre d’essais cliniques, comme "les femmes en âge de procréer, les personnes trop âgées…, parce que c’est trop risqué". Sauf que ces personnes peuvent elles aussi tomber malades et se retrouver à prendre un traitement. "Mais, elles n’auront jamais été testées dans le cadre d’essais cliniques." "Ça entraîne des effets secondaires, voire un manque d’efficacité pour la plupart des patients. On compte 40% des patients qui ont le médicament à la bonne dose, mais pour les 60%** restants, ils ont soit des effets secondaires soit un manque d’efficacité", constate Iris Maréchal.

Face à ce pourcentage si élevé, les deux fondatrices ont voulu comprendre "les différences [d’effets du médicament entre les personnes, NDLR] pour arriver à donner le bon médicament à la bonne personne". Pour ça, elles se sont d’abord concentrées sur les différences populationnelles. Avec leur plateforme, elles réceptionnent les données anonymisées des patients pour les "clusteriser", c’est-à-dire les classer par catégories, à l’aide d’un algorithme. "Par exemple pour Alzheimer, on va voir qu’avec un type de médicament particulier, le sexe et le stade de la maladie sont des sujets importants", indique Iris Maréchal.

Les données sont toutes anonymisées et proviennent des instituts de recherche ou médicaux. La cofondatrice précise avoir signé un partenariat de trois ans avec l’Institut du cerveau, pour étudier Parkinson. D’autres partenariats seront bientôt officialisés, confie-t-elle. "On est en train de créer la plus grosse base de données sur le système nerveux central qui puisse exister. Sur chaque pathologie, on récupère les données cliniques en moyenne de 100 000 patients suivis pendant cinq ans."

Dans un second temps, les fondatrices aidées de leur équipe d’une dizaine de membres, vont essayer, grâce à un autre algorithme, de comprendre comment scientifiquement ces différences peuvent avoir une influence. "Si on prend le cas des somnifères, comme le zolpidem, on s’aperçoit qu’il a une structure chimique qui est lipophile. Il se trouve qu’en moyenne les femmes ont plus de tissus gras que les hommes. Donc le médicament va rester plus longtemps dans le corps des femmes que dans celui des hommes", poursuit la cofondatrice. La Food and Drug Administration a d’ailleurs tiré la conclusion : si on donne la même dose de somnifère à un homme et à une femme, les deux personnes ne verront pas les mêmes effets. Pour la femme, la durée d’action sera plus longue.

 

Optimiser les médicaments

Ces deux étapes ne sont, pour l’heure, pas encore entièrement réalisées. Mais lorsque ce sera le cas, le dernier algorithme de Theremia permettra de proposer des ajustements dans les doses des médicaments, pour ainsi faire de "l’optimisation de médicaments". "On travaille avec l’Inria*** à Paris et avec pas mal d’instituts de recherche en statistiques et en mathématiques pour compléter nos algorithmes", explique Iris Maréchal.

Ainsi, avec la dose de médicament parfaitement adapté au patient, Theremia espère voit baisser le nombre d’effets secondaires et d’inefficacité. "Si on arrive à trouver la bonne heure de prise et le bon type de médicament, les patients vont évidemment moins abandonner leur traitement", ajoute la cofondatrice. Ce travail n’est pas bénéfique uniquement pour les patients, il est également utile pour les groupes pharmaceutiques. "Le gros enjeu pour eux c’est de comprendre quelle est la meilleure indication, la meilleure population… à partir d’une molécule donnée, poursuit-elle. Il y a aussi ceux qui veulent modifier une molécule avant de la mettre sur le marché."

Côté praticiens, il est également indispensable d’avoir le bon traitement à la bonne dose pour voir des effets chez son patient. "Ils vont chercher à voir s’il n’y aurait pas des données qui prouvent que, par exemple, pour ce patient qui ne répond pas à cet antidépresseur spécifique il y a une alternative, comme un autre antidépresseur qui fonctionnerait mieux selon son phénotype de population", indique Iris Maréchal. Leur objectif est donc d’obtenir "les tendances de populations sur lesquelles le médicament a l’air de mieux fonctionner. C’est une information qu’on a la capacité de donner". Les médecins sont par ailleurs une grande aide chez Theremia, car ce sont eux qui vont valider ou non les algorithmes. "On travaille main dans la main avec eux", assure-t-elle.

 

Un impact écologique

Theremia a également un impact écologique, car la start-up peut réduire l’errance thérapeutique. "Au lieu de tester différents médicaments, ce qui coûte en termes de production de boîtes et de médicaments… on montre qu’en donnant dès le début le bon traitement à la bonne personne, on réduit directement les conséquences écologiques", explique Iris Maréchal.

Si aujourd’hui la start-up se concentre sur les pathologies du SNC, peut-on imaginer une généralisation à tous les médicaments ? À cette question, Iris Maréchal est plutôt optimiste. "À terme, on peut étendre ce modèle sur plein de médicaments. Cependant, pour nous, il y a un enjeu en termes de gravité pour le patient et peu de personnes travaillent sur les maladies neurologiques."


*De l’anglais : Therapeutic enhancement and reinforcement of existing medications with AI.
**Marion Nordt. "Améliorer l’observance thérapeutique chez le patient chronique : une utopie ?". Sciences pharmaceutiques. 2019. ffdumas-02147810f
***L’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique.

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Médecins (CNOM)
il y a 9 heures
Très belle initiative, bravo ! Je leur souhaite beaucoup de succès.
 
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