Aide à mourir : Agnès Buzyn redoute les dérives d'une trop grande ouverture de la loi

20/03/2023 Par Louise Claereboudt
Ethique
Dans un entretien accordé au Monde, l’ancienne ministre de la Santé se dit favorable à une évolution de la loi Claeys-Leonetti, "mais uniquement pour certaines maladies neurodégénératives incurables".

  Faut-il autoriser l’aide active à mourir en France ? Alors que la convention citoyenne s’y est montrée favorable à 75% fin février, l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn a exprimé sa position dans un entretien au Monde. L’hématologue de profession a fait part d’"une certaine prudence" en raison de son "expérience de soignante". "Face à des maladies cancéreuses, je me suis aperçue en vingt ans d’exercice que plus les patients se rapprochent de la mort, moins ils demandent à mourir et plus ils demandent qu’on trouve un traitement qui peut les soulager et prolonger leur vie", a-t-elle expliqué. Convaincue que "cette question de la liberté du moment de la mort se pose essentiellement quand on n’est pas face à la mort", la désormais conseillère-maître à la Cour des comptes a jugé que le débat sur l’aide active à mourir était "d’abord un débat entre personnes bien portantes". Appelant, au passage, à ne pas "tomber dans des polémiques inutiles et dangereuses". Jugeant la loi Claeys-Leonetti "insuffisamment mise en œuvre", "faute de soignants", l’ex-locataire de l’avenue de Ségur a appelé "en priorité" à former les professionnels de santé "au soulagement de la douleur" et "élargir l’enseignement des soins palliatifs". Elle avance la possibilité de former des IPA à ces soins palliatifs, "afin qu’ils puissent agir sans qu’un médecin soit forcément présent". Agnès Buzyn a toutefois affirmé que "dans la majorité des centres de cancérologie, il est exceptionnel que l’on laisse des malades souffrir", la sédation étant activée précocement. Mais la loi Claeys-Leonetti ne répond pas à certaines situations, a soulevé l’ancienne ministre. Elle juge ainsi nécessaire de "combler ce vide" par une évolution de la loi, mais de façon strictement encadrée. "Uniquement pour certaines maladies neurodégénératives incurables, de type maladie de Charcot, qui entraînent une dégradation clinique dans un délai beaucoup plus long que lors de certaines maladies cancéreuses. Il y a une ouverture à avoir pour que ceux qui souffrent de ces maladies puissent ne pas être condamnés à être progressivement totalement handicapés, enfermés dans leur corps."

Une évolution plus large de la loi serait "extrêmement" compliquée, selon elle. "La liberté envers et contre tout comporte le risque de faire peser sur des personnes vulnérables le poids de l’aide active à mourir", a-t-elle avancé, ciblant entre autres les personnes âgées ou en situation de handicap "qui pourraient avoir le désir de soulager leurs proches en demandant à mettre fin à leurs jours". "Comment un comité de médecins peut-il faire la part entre le choix individuel, le désir réel de la personne de mourir et le souci de ne pas être un poids ? C’est cela qui me terrifie", a-t-elle confié. "A chaque fois qu’on ouvre une porte et qu’on offre une nouvelle liberté, il y a toujours des effets collatéraux", a-t-elle prévenu, appelant à encadrer les éventuelles futures ouvertures.   "On ne devrait pas faire peser sur les soignants le choix ultime" Aux réticences exprimées par certains médecins vis-à-vis d’une aide active à mourir, Agnès Buzyn a estimé qu’"on ne devrait pas faire peser sur les soignants le choix ultime". Selon elle, ils seraient plus enclins "à accepter une aide active au suicide. C’est moins pénible pour un médecin que de devoir déclencher lui-même la perfusion létale." Alors que les médecins se sentent déjà méprisés par l’Etat et submergés, Agnès Buzyn a admis que la période était "délicate". "Si on ajoute une mission de ce type aux médecins alors qu’ils ont déjà l’impression, faute de moyens et de temps, de ne plus pouvoir soigner et accompagner leurs patients comme avant, le message est angoissant." [avec Le Monde]

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