Guy Patin, le mal-aimé défenseur de la purge et la saignée

30/05/2013

Guy Patin fut une importante personnalité médicale du XVIIe s., dont certains historiens, peu soucieux du contexte scientifique de l’époque, ont quelque peu malmené la mémoire : "Homme austère, d’humeur janséniste, toujours vêtu de noir, Patin déteste les mondanités et les célébrités. […] Sa suffisance et sa dureté le rendent féroce avec ses adversaires. […] Adversaire des innovations et champion de la saignée [… il] compte évidemment parmi les détracteurs de la théorie circulatoire […] a des connaissances purement livresques […] n’approche guère les malades".1 Né le 31 août 1601 près de Beauvais, Guy Patin était le fils de maître François Patin, avocat au service du seigneur de Hodenc. Après avoir commencé ses études à Beauvais, il vint les terminer à Paris. Reçu bachelier ès arts, le seigneur de Hodenc lui proposa un bénéfice ecclésiastique qu’il refusa catégoriquement, préférant gagner lui-même sa vie en travaillant comme correcteur d’imprimerie. Il y fit la connaissance du célèbre anatomiste Jean Riolan (1577-1657) qui l’encouragea vraisemblablement dans sa vocation médicale. La châtelaine de Hodenc, Jacqueline Do, en fit autant; aussi le brillant étudiant lui dédia-t-il un recueil de 53 cantiques de sa composition,2 preuve de la pluralité de ses dons.   "Peut-on trouver dans l’urine une certitude de grossesse ?" Le jeune homme franchit alors allègrement tous ses grades médicaux ; 3 soit 2 thèses quodlibétaires (du latin quod libet, "ce qu’il plaît", c’est-à-dire dont le sujet était laissé au choix du candidat) : l’une pour devenir bachelier en médecine, Estne feminæ in virum mutatio adunatos ? ("La transformation de la femme en homme est-elle impossible?") – conclusion, oui! L’autre pour devenir licencié, An pregnanti periculose laborante abortu? ("Faut-il faire avorter une femme enceinte dont la vie est en danger ?") – conclusion, non, sauf en cas de foetus "corrompu". Puis Patin soutint sa thèse "cardinale" (du cardinal d’Estouteville qui pratiqua une importante réforme universitaire en 1452) et obtint le grade de docteur en médecine le 7 octobre 1627. Le sujet en était donné par le président de thèse qui pratiquement rédigeait le travail: daturne certum gravitatis judiciam ex urina ? ("Peut-on trouver dans l’urine une certitude de grossesse ?") – conclusion, non. Tout cela a fait ricaner les beaux esprits. Peu importe : le jeune docteur Patin aspira ensuite à la promotion de docteur régent et, pour l’obtenir, dut présider à son tour une thèse quodlibétaire, celle de Georges Jaudouin: utrum metromania balneum ("Le bain convient-il à la métromanie?") – la métromanie (nymphomanie) intéressait beaucoup Patin, car il avait été le sujet des assiduités d’une jeune patiente, dont il qualifia le tempérament fougueux furor uterinus ; conclusion oui, les bains, le régime, la saignée, la diète et les hypnotiques (opium et sirop d’acode) permettent de calmer la fureur utérine. Patin affirmait déjà là ses conceptions sur l’importance de la diététique et de l’hygiène en médecine. En 1628, le docteur régent épousa Jeanne de Jeansson, fille d’un gros négociant en vin de Paris. Il n’appliqua guère à la lettre ses recommandations pour la balnéation, car il fit à son épouse 10 enfants (dont plusieurs moururent en bas âge). Il se fit aussi le champion de la cause de la Faculté de Paris – conduite louable, certes, mais aussi liée à la tradition hippocratique et galénique, le faisant passer à côté d’illustres progrès de son époque et lui collant une étiquette de passéiste dont sa mémoire a pâti. [...]   La saignée et la purge Patin n’a pas publié d’oeuvre princeps. Fidèle à la tradition hippocratique, il a surtout traité du régime, une de ses idées fortes (Conservation de la santé par un bon régime), et traduit différents auteurs, participé à la réédition des oeuvres de plusieurs autres (dont celles de Gaspard Hoffmann ou de Jean Riolan), présidé (donc rédigé) de nombreuses thèses cardinales, dont certaines eurent un certain retentissement dans l’Europe médicale. Il y condamna notamment les excès thérapeutiques des apothicaires, ce qui lui valut leur rancoeur. Bien sûr on ne peut manquer de citer la thèse qu’il présida en 1670, peu avant sa mort, où il critiqua les théories circulationnistes de William Harvey, qu’il qualifia de "brodeur à coup sûr ingénieux" et à qui il fit le reproche non point d’avoir échafaudé sa théorie, mais de ne pas avoir observé lui-même le phénomène. Avant d’accabler Patin de sarcasmes faciles, les rieurs contemporains, au lieu de se prendre pour Harvey, devraient d’abord s’enquérir de la façon dont on concevait la médecine au XVIIe s. On a beaucoup critiqué Patin à propos de ses 2 thérapeutiques préférées: la saignée et la purge.6 Sans doute usa-t-il surabondamment de la saignée, du vieillard au nourrisson, mais toutes les "inflammations" au XVIIe s. étaient justiciables de la saignée. Patin recommandait de n’y jamais dépasser une dose équivalente à 300 millilitres. Surtout, il en écrivit ces quelques lignes d’une poignante et noble lucidité : "Pour la fréquente saignée qui se fait ici, [on] n’a que faire de s’en prendre à nous. Nous ne sommes pas la cause des maux qui se font dans le monde. Nous ne saurions faire autrement. C’est la débauche qui est universelle, et la trop bonne chère qu’on fait qui nous y oblige. Nous ne saignons point par coutume, mais par nécessité, par règles et par indications. Les prétendus réformateurs et législateurs se plaignent toujours et n’avancent rien pour cela. Ce n’est pas grandchose de dire à un homme qu’il n’est pas dans le bon chemin. Il faut lui montrer quel chemin il doit tenir. Quelques étrangers blâment nos fréquentes saignées, qui n’en savent ni la cause ni le fruit, non pas même la nécessité. Si nous saignons trop, qu’ils nous donnent le moyen de nous abstenir, et nous disent quel autre remède peut être mis en usage au lieu de la saignée" (à Falconet 28 octobre 1659).5 Pour la purgation6 il employait essentiellement le séné, plus efficace selon lui que "toute la chimie ensemble et tous les fourneaux des paracelsistes", ainsi que "la casse, le sirop de roses pâles ou de fleurs de pêche". Quant à son hostilité pour l’antimoine, il estimait surtout qu’un tel médicament ne devait être prescrit que par des médecins: "Ce n’est pas une drogue propre à des coureurs. On ne parle ici que de morts, pour en avoir pris de quelque barbier ignorant, ou de quelque charlatan suivant la cour. Nous ne la voulons point autoriser parce que l’abus en est trop grand, même entre les mains de plusieurs médecins, à qui elles démangent d’en donner" (à Spon, 2 juin 1645).5   Les apothicaires, ces "cuisiniers arabesques" Patin s’opposa aussi, pour les mêmes raisons, à l’usage du quinquina et du laudanum. Il n’était d’ailleurs pas plus favorable aux thérapeutiques traditionnelles quand elles lui semblaient hasardeuses. Patin eut aussi la dent dure à l’égard des chirurgiens, adoptant ici l’attitude corporatiste médicale typique de l’époque: "Tout ce que nous demandons, n’est qu’un règlement de police pour contenir ces glorieux officiers de la médecine, et qu’ils se souviennent qu’ils sont ministri artis [serviteurs de l’art], obligés à reconnaître une supériorité de la part de notre Faculté, qui les a élevés, enseignés et conservés; mais la fréquente saignée et la dive syphilis de Fracastor les ont rendus glorieux, insolents et insupportables " (à Falconet, 9 janvier 1659) 5 – ce qui ne l’empêcha pas de se montrer partisan de leurs innovations techniques. "La taille haute & droite, la démarche assurée, la constitution robuste, la voix forte, l’air hardi, le visage médiocrement plein, les yeux vifs, le nez grand & aquilin, & les cheveux courts & frisés" 5, Patin fut un homme intelligent, cultivé, à l’esprit prompt aux réparties, mais aussi un homme probe.7 Personnalité bouillante, vindicative, corporatiste, il fut un adversaire farouche des chimistes, des antimoniaux, des polypharmaques et des apothicaires – "cuisiniers arabesques", ou encore Animal benè faciens partes, et lucrans mirabiliter (Animal faisant bien les parties [mélanges], et s’enrichissant prodigieusement) [ibid.]. Il est surprenant qu’on puisse tant médire de Patin médecin quand on le juge sur ses admirables lettres5 qui le révèlent non pas doctus cum libro [savant avec un livre], mais fort prolixe en relations directes de consultations auprès de malades comme en rapports d’autopsie. Aux médecins du XXIe s., un exemple en dit ici plus qu’un long discours: "Pour M. du Buisson, il est mort bien vite, aussi n’y a-t-il rien qui aille si vite que la [syncope cardiaque, en quel symptôme le coeur est tout à coup suffoqué en raison d’une abondance excessive du sang, à la manière du cerveau dans l’apoplexie vraie et proprement dite]. Il y en a un chapitre dans les Institutions de Médecine de Gaspard Hoffmann, page 414. Galien a fort bien connu ce mal, mais en ce M. du Buisson il y avait deux autres choses, savoir ulcère et érosion de la tunique de l’artère, qui sont deux symptômes incurables" (à Falconet, 31 janvier 1659).5   "La postérité se passera aisément de mes écrits" Apprécieront sans doute ceux qui adulent les inventeurs officiels et britanniques de l’ischémie myocardique, William Heberden, Edward Jenner et Caleb Parry, un siècle plus tard. Outre qu’elles reflètent abondamment son activité de praticien sagace et dévoué, les lettres de Patin sont truffées de commentaires – le tout émaillé de citations latines – sur les personnages en place, qui représentent une source précieuse de renseignements sur le Grand Siècle. En particulier, leur auteur n’aimait guère Mazarin et la cour. Adressées à des médecins – principalement André Falconet et Charles Spon, de Lyon – les lettres parlent beaucoup de maladies et de malades, mais aussi de tous les menus faits qui font la vie quotidienne des petits et des grands. Publiées après la mort de Patin, ses lettres n’avaient pas été écrites, tout comme celles de Mme de Sévigné, pour être lues en public et encore moins éditées: "La postérité se passera aisément de mes écrits, aussi n’ai-je pas beaucoup d’envie d’en laisser. Il n’y a que deux sortes de gens qui écrivent, les sages et les fous, et je me connais pour n’être ni l’un ni l’autre. […] L’exercice de notre profession nous ôte cette tranquillité, qu’il faut avoir quand on veut écrire pour l’éternité" (à Spon, 8 novembre 1658).5 LIre l'intégralité et la suite de l'article sur le site de la Revue du Praticien.   1. Dupont M. Dictionnaire historique des médecins. Paris : Larousse, 1999. 2. Vuilhorgue L. Biographie Beauvaisine : Guy Patin. Bois-Colombes, 1898: 127 pp. 3. Richard G. Guy Patin, les raisons actuelles d’une réhabilitation. Thèse de médecine, Toulouse, 1970, 176 pp. 4. Furetière A. Dictionnaire universel (1689). Paris : Dictionnaires Le Robert, 1978 : 3 vol. 5. Patin G. Lettres choisies de feu Mr Guy Patin, Docteur en Médecine de la Faculté de Paris, & Professeur au Collège Royal. La Haye, Henry Van Bulderen, 1715: 3 vol. Cette édition, qui compte 447 lettres, est semblable à celle parue en 1692, chez Jean Petit, à Paris (2 vol.). Nombre d’autres ont suivi. La dernière, par J.-H. Reveillé-Parise (1846, J.-B. Baillière, Paris), réunit 836 lettres (3 vol.). 6. Larrieu F. Guy Patin, sa vie, son oeuvre, sa thérapeutique. Paris, 1889. 7. Pic P. Guy Patin. Paris : Steinhel, 1911 : 300 pp

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