"Maintenant, je suis au prix des coiffeurs pour femmes" : généraliste, je me suis déconventionnée et "c'est le bonheur"
“Depuis le 1er octobre 2023, je suis heureuse, j’ai la chanson “libérée, délivrée, déconventionnée” de la Reine des neiges tous les jours en tête. Je m’étais arrêtée six mois parce que j’étais en burn out. J’ai repris mes consultations le 16 octobre et c'est le bonheur. J’ai le sentiment d'être libre et d’être valorisée à ma juste valeur. Je prends du temps, les patients sont contents. Ils étaient prévenus de mon déconventionnement depuis le mois de décembre 2022 par des messages et par l’envoi systématique d’une lettre annonçant mes nouveaux tarifs à chaque fois qu’ils prenaient rendez-vous. Je leur dis que ma consultation de médecine générale de 20 minutes est maintenant, à 65 euros. La plupart trouvent cela tout à fait logique de payer correctement un médecin. Certains me disent “moi ce que je veux c'est un médecin de qualité, qui a envie de faire de la médecine de qualité”. Depuis mon déconventionnement, j’ai le sentiment d’être sortie d’une secte dans laquelle j’étais maltraitée et qui m’a endoctrinée pendant trente ans. On m’a fait croire que mon acte, mes compétences, mon expertise valait 25 euros. Aujourd’hui, je me demande comment j’ai pu y croire pendant vingt ans. Comment les Français peuvent encore croire qu’un médecin vaut 25 euros ?
Tout le monde souffre de cette situation. Les soins sont de plus en plus difficiles pour les patients parce que beaucoup n’ont pas accès aux médecins. Et quand ils l’ont, le médecin est épuisé, sous pression, car il doit voir tellement de patients pour pouvoir faire vivre son cabinet que ses consultations sont bâclées. Les gens râlent parce que le médecin n’est pas à l’écoute, mais il n'en a pas les capacités. Donc ils se tournent vers des professionnels de médecines alternatives dans lesquelles ils se sentent écoutés, parce que, eux, ont le temps de prendre en considération les Français dans leur globalité. La médecine conventionnelle est dénigrée par les patients voire remise en question. La parole du médecin n’est plus celle qu’on doit écouter. “J’ai le sentiment de faire de la vraie médecine” J’ai des nouveaux patients qui me disent : “Mon médecin qui est parti à la retraite, il ne m’écoutait plus, on ne m’a jamais expliqué cela…”. C’est le manque de temps et d’écoute qui revient le plus souvent. Aujourd’hui, j’ai moins de patients mais je leur réserve plus de temps. Avant, ma consultation était en moyenne de 15 minutes. Maintenant, elle est de 20 minutes voire plus. Pour la première consultation avec les nouveaux patients, je suis facilement à 30 minutes, parce que j’explique pourquoi je me suis déconventionnée. Mais, je suis plus calme, plus apaisée. J’ai le plaisir de laisser les patients parler, de faire le point sur ce qu’on n’a pas le temps de faire en temps normal, comme parler de mammographie, de frottis, de prévention, de vaccin.... J’ai le sentiment de faire de la vraie médecine, sans la pression d’avoir une salle d’attente pleine. J’accueille à nouveau mes patients avec le sourire. J’ai du plaisir, ce que je n’avais plus. Des fois les cinq minutes de consultations supplémentaires ça fait toute la différence. Je me souviens qu’un jour, une patiente que je connais depuis longtemps, qui avait vu mon remplaçant pendant mon arrêt, vient me voir parce qu’elle continue à avoir mal au pied. Elle avait fait des radios, il n’y avait rien de particulier. Je lui dis qu’il va falloir faire une IRM. Elle me répond que ce n’est pas possible. En discutant, elle m’explique qu’elle a été bloquée dans un ascenseur à 25 ans et que depuis elle ne supporte plus d’être enfermée. Je suis formée à l’hypnose, à l'intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires (EMDR). Je lui explique qu’il existe des techniques qui traitent facilement les psychotraumas. Je lui parle de l’EMDR et lui propose de l'adresser à des psychologues avec qui je travaille. En fait, c’est en parlant d’un problème de pied au départ qu'elle m’évoque son traumatisme dans l’enfance. Là j’ai l’impression d'avoir vraiment fait de la médecine générale, j’ai pris la patiente dans son ensemble. Peut-être qu’elle n’essaiera pas l’EMDR, mais au moins j’ai l’impression d’avoir vraiment traité le problème. Parce que le problème, ce n’est pas juste de ne pas pouvoir faire une IRM, c’est aussi l’empêcher plus tard de bien se soigner. “J’ai le temps de manger le midi” Dans la pratique, mes horaires n’ont pas changé. J’ai toujours du retard à la fois le matin et le soir, mais beaucoup moins qu’avant et surtout ce n’est plus grave. Je commence à l’heure, j’ai le temps de manger le midi, de faire une pause. Je fais un peu de méditation pendant la pause-déjeuner, au moins deux fois par semaine. Le soir je rentre chez moi entre 19h30 et 20 heures alors qu’avant c’était plutôt entre 21 heures et 22 heures. J’arrive à manger avec mes enfants. Le lundi matin je commence à 9 heures et les autres jours à 8h40. A partir de la semaine prochaine, je vais commencer à 8h20 pour ajouter des créneaux de médecine d'urgence. Je garde toujours 30 minutes tranquille pour préparer le cabinet pour lire les examens complémentaires que je n’ai pas eu le temps de lire avant… Au total, je suis à 1 590 patients médecin traitant, avec 98 sorties et 13 entrées, sachant que j’ai fait des déclarations papiers qui ne sont pas encore enregistrées au niveau de la Sécurité sociale. Avec ce système, le patient et moi devons apposer nos signatures. Donc, s’il envoie sa déclaration c’est qu’il m’a vraiment choisie comme médecin traitant. Cette démarche est très importante pour moi. J’ai choisi le patient et le patient m’a réellement choisie. Si certains ont décidé de me quitter, ce n’est pas forcément pour une raison financière. C’est surtout pour des raisons de non-remboursement, parce qu’on a été endoctrinés à “un médecin ça doit être remboursé”. Ce ne sont pas forcément les plus nécessiteux qui décident de ne plus me voir. Pour les patients dont je sais qu’ils rencontrent des difficultés financières (ceux qui bénéficient de la Couverture maladie universelle, certains retraités…), je leur explique d’abord pourquoi je me suis déconventionnée et ensuite je leur fais une consultation à trente euros. Je fais au cas par cas. Depuis le 16 octobre, j’ai déjà effectué trois consultations gratuites. La semaine dernière, j’ai vu une famille avec une maman et deux enfants, j’ai fait une consultation de trente euros pour les trois...
“Peut-être que je vaux moins qu’un ostéopathe ?” Lors de la loi Marisol Touraine [aussi appelée loi Santé promulguée en janvier 2016, ndlr], j’ai pris conscience que je n’étais quasiment rien et que j’étais au prix d’un coiffeur pour homme. Maintenant, je suis au moins au prix des coiffeurs pour femmes. Parce qu’il y a quinze jours, par curiosité, j’ai regardé le prix du forfait shampoing, coupe et coiffage chez Jacques Dessange. Le prix est de 74 euros, moi, ma consultation est à 65 euros. J’estime que le risque qu’une coiffure soit ratée n’est quand même pas le même que celui d’une consultation ratée. L’acquisition des compétences d’un coiffeur n’est pas non plus la même que l'acquisition des compétences d’un généraliste. Donc, à titre de comparaison avec un artisan, parce que je suis artisan de la médecine, j’estime que mon acte n’est pas trop cher. Je peux entendre que les gens n’aient pas les moyens de venir me voir mais ce n’est souvent pas une histoire de moyens, c’est plus une histoire de remboursement. J’ai plusieurs patients qui m’ont dit “Docteure mon ostéopathe est mieux remboursé que vous”. D’accord, et bien peut-être que je vaux moins qu’un ostéopathe ? Je ne suis plus en colère tout le temps, par contre, je le suis toujours quand je parle du système de santé. Quand je vois mes collègues maltraités et dans un tel niveau de souffrance, là je suis en colère. Je ne comprends pas comment une société peut détruire ceux qui vont prendre soin d’elle. Pendant mes six mois de burn out, j’étais détruite. Pourtant je ne comprends pas, je n'ai rien fait de mal. J’ai l’impression qu’on m’a mis vingt ans de bagne et que j’allais encore payer pendant vingt ans, alors que je suis là juste pour soigner les gens. Je fais beaucoup d’information aux patients, je les pousse à réagir, parce que pendant les dix ans où je me battais pour défendre le système de santé. En fait, je me battais toute seule, aucun Français n’était derrière nous. On est pointés du doigt comme responsables de la “merde” dans laquelle on se trouve. Les gens ne pourront pas se soigner, mais pas parce que les médecins coûtent trop chers, parce qu’il n’y aura plus de médecin. On les aura poussés à faire autre chose, ou on les aura tués, ou ils seront partis à la retraite. Donc qu'est-ce qu’on veut ? Est-ce qu’on veut vraiment soigner les gens ? Ou alors on estime qu’une infirmière en pratique avancée ou un pharmacien a les mêmes compétences qu'un médecin. Pourquoi avoir fait dix ans d’étude ? Et pourquoi les internes ont une 10e année d’étude supplémentaire alors qu’en faisant infirmière ou pharmacien, on peut faire pareil ? Qu’est-ce que la France a envie d’avoir comme type de soin ?
“18 centimes par jour pour être en bonne santé” Ce n’est pas parce que je suis sortie du système que je ne suis pas du côté des patients. La plupart du temps, lorsqu’ils mangent équilibré, qu’il n’y a pas de problème de tension, de diabète, que je n’ai pas besoin de les revoir de façon particulière, je fais des ordonnances de six mois, en leur disant que bien sûr si ça ne va pas, il faut revenir me voir. Une ordonnance de six mois à 65 euros, ça revient à 18 centimes par jour. Voilà l’investissement que je demande aux patients : 18 centimes par jour pour être en bonne santé. Je me bats toujours avec les patients pour ce dont ils ont droit. Ils payent plein pot les 65 euros de ma consultation, mais moi je ne suis remboursée que de 61 centimes. Je comprends que cela puisse mettre le patient en difficulté mais je ne peux pas être bénévole. J’ai une entreprise à gérer. C’est triste de voir que la Sécurité sociale prend ainsi les patients en otage pour contraindre les médecins à rester dans ce système au détriment de la santé des soignants. Est-ce que ça veut aussi dire que je ne vaux plus que 61 centimes ? Ce n’est pas un peu humiliant ? Je dis à mes patients d’écrire à la Sécurité sociale pour réclamer ce qui leur est dû, à savoir une médecine de qualité et qu’au moins leur santé vaille le prix d’une consultation de 26,50 euros et pas de 61 centimes. “Je n’ai pas perdu mes compétences, ni mes diplômes” Les mutuelles remboursent certes les médecins conventionnés, mais elles remboursent aussi la plupart des ostéopathes, des naturopathes, des diététiciens, des non-médecins et du non-conventionné dans un forfait. En revanche, elles ne remboursent pas pour la plupart, les médecins conventionnels non conventionnés. Donc je demande aux patients d’écrire également à leur mutuelle pour qu’ils soient au moins remboursés à hauteur d’une consultation chez un psychologue ou un ostéopathe… Sinon ça voudrait dire que les mutuelles poussent les patients à être soignés par ces professionnels plutôt que par un médecin conventionnel non conventionné. C’est scandaleux ! Moi j’ai juste divorcé de la Sécurité sociale, mais je n’ai pas perdu mes compétences, ni mes diplômes, ni mon enregistrement auprès du Conseil de l’Ordre. Depuis mon déconventionnement, je ne suis aussi plus maître de stage. Donc ça me fait à peu près deux tiers d’examens complémentaires en moins à classer. Mais ça me manque, alors que je suis sûre de pouvoir apporter un enseignement de qualité aux internes comme j’ai un peu plus de temps. Je suis également très sensibilisée au manque de formation des internes sur la partie communication thérapeutique si essentielle à notre métier. J’ai un réel besoin de transmettre cette partie si singulière en médecine générale. Peut-être qu’un jour, je pourrais le faire sous une autre forme, j’y réfléchis.”
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