"L'hôpital se décharge totalement sur les libéraux" : en Mayenne, la fermeture nocturne des urgences malmène les généralistes
"Avant de vous rendre aux urgences, faites le 15." En Mayenne comme dans d'autres territoires, la crise des urgences n'a d'autres solutions que la régulation. Mais si les 305 000 habitants du département sont désormais habitués aux fermetures temporaires, qui ont ponctué ces deux dernières années, ils s'apprêtent à traverser un été particulièrement éprouvant : depuis lundi 3 juillet et durant toute la période estivale, les trois services d'accueil des urgences (SAU) de Laval, Mayenne et Château-Gontier-sur-Mayenne fermeront leurs portes de 18h30 à 8 heures du matin, toutes les nuits, sans exception. Le Smur sera parfois lui aussi à l'arrêt.
Une décision prise par le GHT* et l'ARS, "compte tenu des difficultés en termes de ressources médicales", explique à Egora Valérie Jouet, directrice territoriale de l'ARS en Mayenne. "Mais les urgences ne sont pas fermées, il s'agit d'une régulation nocturne", précise-t-elle d'emblée. "Il faut prioriser les situations qui nécessitent l'accès au plateau technique d'un SAU." Un médecin sera bien présent toutes les nuits dans chacun des trois services pour assurer la prise en charge des cas graves, insiste Valérie Jouet… "Au moins en juillet. Pour août, je ne peux pas m'avancer, le planning n'est pas encore fait", reconnaît-elle. Alors qu'en 2021 et 2022, les SAU du département avaient fermé à des dates précises, connues à l'avance, l'ARS et le GHT ont jugé qu'une "fermeture" nocturne systématique serait "plus lisible" en termes de communication vis-à-vis de la population. Le message est clair : "A compter de 18h30, il faut appeler le 15". 36 heures de travail d'affilée Mais du côté des médecins libéraux régulateurs et effecteurs de la PDSA, joignables au 116-117, la décision, jugée "non concertée", ne passe pas. "C'est plus que cavalier, c'est violent", lâche le Dr Fabien Cesaro, médecin généraliste installé à Meslay-du-Maine, qui a appris la nouvelle "de façon officielle trois jours avant". Membre de l'Association départementale pour l'organisation de la permanence des soins en Mayenne (Adops 53), le médecin régule depuis 2 ans et demi, environ 18h par semaine, n'hésitant pas à sacrifier une nuit de sommeil pour le bien de la population. "Je le fais de façon volontaire, ça s'appelle soutenir le système… mais je ne veux pas travailler à la place des autres", lance-t-il. Car la fermeture des urgences a de lourdes conséquences sur les régulateurs libéraux, joignables de 20h à 8h en semaine et les week-ends, qui, du jour au lendemain, se retrouvent à faire face à un flux d'appels plus important. Et plus graves. "L'autre nuit, j'avais une mère dont le fils avait le bras cassé en deux… C'est bien évidemment du ressort de l'hôpital." Lui qui arrivait à grapiller jusqu'à 2 heures de sommeil par nuit de régulation "en fractionné" craint de ne plus pouvoir fermer l'œil du tout. Rude pour les régulateurs qui, comme Fabien Cesaro, ne rognent pas sur leurs journées de consultations quand ils sont de garde et enchaînent donc 36 heures de travail… A 48 ans, le généraliste se dit prêt à encaisser une nuit blanche si nécessaire, mais à condition de l'avoir anticipée sur le plan personnel et professionnel.
Pourtant, insiste Fabien Cesaro, "depuis le début de ma carrière je réclame la régulation de l'entrée aux urgences, je suis 100% pour". "On ne peut pas continuer à agrandir les SAU, ils ne sont pas là pour soigner la mamie qui s'est fait opérer de la hanche", estime-t-il. Mais "la grande colère que j'ai, ce qui me dégoûte même, c'est qu'on n'a pas préparé ça, on transpose la régulation sur les libéraux", dénonce-t-il. "Je suis désabusé, j'ai une régulation demain, c'est la première fois que je n'ai pas envie de la faire", confie-t-il. Réunis en conseil d'administration exceptionnel mardi 4 juillet, les membres de l'Adops 53 ont fait le constat d'une situation intenable. "On ne peut plus continuer à prendre en charge 70 appels entre 20 et 22 heures", relève le Dr Luc Duquesnel, directeur médical de l'association et président des Généralistes-CSMF. "Ce ne sont pas aux médecins libéraux de dire aux gens 'allez aux urgences ou n'y allez pas'." Pourtant, les généralistes libéraux du département ont jusqu'ici largement assumé leur part, ne ménageant pas leurs efforts pour assurer la permanence des soins sur les 8 territoires, 7 jours sur 7, faisant de la Mayenne (3e désert médical français) un modèle en la matière : 93% se sont portés volontaires pour l'effection et/ou la régulation** de la PDSA, et pas une garde n'est restée vacante dans le tableau. Depuis 18 mois et la "crise estivale des urgences dont on s'est rendu compte qu'elle n'était pas estivale", ils ont mis les bouchées double, faisant preuve...
"d'une grosse capacité d'adaptation et d'une grande agilité", souligne Luc Duquesnel. Les fronts de garde en régulation ont été doublés entre 20h et 22h, ainsi qu'entre 8h et 20h le week-end durant la période hivernale. "On met un point d'honneur à remplir le tableau de garde, alors que c'est de plus en plus difficile ; on a eu du mal au second semestre 2022, relève Luc Duquesnel. Ça montre la grande solidarité des MG du territoire." "On s'est tiré une balle dans le pied" Résultats : sur l'ensemble de l'année 2022, les 28 régulateurs ont assuré 6932 heures de régulation, dont 424 en renfort, réceptionnant près de 57 000 appels : c'est 30% de plus qu'en 2021 (+26% pour les actes d'effecteur) et 95% de plus qu'en 2027. Entre minuit et 8 heures, près de 10300 appels ont été pris en charge l'an dernier, contre 8000 en 2021. "En Mayenne, il n'y a pas de problèmes d'accès aux soins après 20h", lance Luc Duquesnel. Mais en répondant toujours présents, les libéraux se sont tiré "une balle dans le pied", se rend compte le syndicaliste. "Si on avait laissé des trous dans le tableau, l'ARS et le GHT se seraient peut-être dit qu'on ne pouvait pas faire plus." Et de déplorer : "On est en train de détruire une organisation de PDSA qui fonctionne bien depuis 17 ans. Il faut que chacun fasse son boulot, on ne peut pas avoir un hôpital qui se décharge totalement sur la médecine libérale." Alors que la ville est confrontée aux mêmes difficultés que l'hôpital, et que les libéraux ont également besoin de congés cet été, faire porter cette charge supplémentaire sur les médecins régulateurs fait en effet peser "le risque de les épuiser et de les voir renoncer", alerte l'Adops 53 dans un communiqué. D'autant que les régulateurs, dont la moitié a plus de 65 ans, ne sont désormais plus que 25 : deux d'entre eux ont pris leur retraite et le troisième a dû arrêter pour raisons de santé. "On est le 3e désert médical français, on a des territoires de CPTS à 34 MG pour 100 000 habitants, souligne Luc Duquesnel. Le quotidien aux heures d'ouverture des cabinets est déjà très dur, on ne peut pas en plus nous dire : 'vous allez plus travailler la nuit'. Si tout devient dur, il n'y a pas de raison de rester généraliste en Mayenne." En conseil d'administration, les membres de l'Adops ont donc décidé qu'ils arrêteraient les frais si l'augmentation des appels, cet été, devait détériorer l'exercice de la régulation médicale. "A la moindre hausse, on arrête la régulation entre minuit et 8 heures", prévient le directeur médical de l'association.
"Que font les tutelles pour éviter le pire? Rien" De leur côté, les assistants de régulation médicale (ARM) du 15 mayennais feront grève samedi 8 juillet, dans le cadre d'un mouvement de protestation national initié lundi 3 juillet, en réaction à la multiplication des fermetures de SAU prévues cet été. En Mayenne, les ARM ne sont que deux pour répondre au flot d'appels qui se déversent sur eux, avec un seul médecin hospitalier pour réguler l'accès aux urgences, sans renforts. En 2022, 30 000 appels ont sonné dans le vide, ont-ils calculé. Des syndicats de soignants et des associations citoyennes appellent à manifester ce samedi, devant l'hôpital de Laval. "En Mayenne, ne soyez ni malades, ni blessés ou soyez très chanceux", résument-ils dans un communiqué. "Que font les tutelles pour éviter le pire? Rien. Au lieu de trouver des solutions pour éviter la fermeture des urgences, l'ARS l'organise", chargent-ils.
"Des étudiants ARM sont en cours de formation", tente de rassurer la directrice territoriale de l'ARS Mayenne, Valérie Jouet, bien consciente que le "système est en tensions de part et d'autre". "Nous sommes attentifs à maintenir les équilibres", déclare-t-elle, précisant que l'Adops a été informée de la fermeture estivale dès le 20 juin. Mis au pied du mur, les libéraux appellent à trouver "des solutions conjointes". Pour Luc Duquesnel, elles passent nécessairement par la mise en place du Service d'accès aux soins (SAS), qui en permettant une meilleure prise en charge des soins non programmés en journée, soulagera l'activité de PDSA. Mais les Mayennais posent une condition : que l'utilisation de la plateforme nationale ne soit pas obligatoire. Le ministre François Braun s'y est engagé. *Sollicité par Egora, le GHT, dont le CH de Laval est l'établissement support, n'a pas souhaité donner suite. **Afin d'éviter une "professionnalisation de l'effection", les régulateurs sont nécessairement des médecins installés, assurant aussi des gardes d'effection.
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