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"Le médecin généraliste, aujourd’hui, c’est l’entonnoir de l’accès aux soins" : comment AvenirSpé veut simplifier les parcours

Pour les 55 000 médecins spécialistes libéraux, les prochains mois seront décisifs. Car si la convention médicale a été signée le 21 juin dernier, il reste deux chantiers majeurs à mener à bien : la révision des tarifs de la classification commune des actes médicaux (CCAM), qui représente 80% de leurs honoraires, et les modalités de cotation de l’avis ponctuel de consultant (APC). Alors que les Rencontres de la médecine spécialisée se tiennent à Lille ces 3, 4 et 5 octobre, le Dr Patrick Gasser, président d’AvenirSpé, appelle à redéfinir les parcours avec pragmatisme.

03/10/2024 Par Aveline Marques
Interview Spécialistes
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Egora.fr : Pour les spécialistes, on pourrait dire que les vraies négociations commencent avec la révision des tarifs de la CCAM…

Dr Patrick Gasser : C’est une autre négociation qui commence. Sur la CCAM, au travers de la refonte de la nomenclature des actes médicaux et chirurgicaux, il va falloir notamment renégocier les taux de charge pour le calcul des tarifs. Nous avions convenu avec l’Assurance maladie de mettre en place une commission assez rapidement. Calculer ces taux de charge ne va pas être si simple… Il va falloir prendre l’ensemble des spécialités, voir comment travaillent les uns et les autres. C’est un tarif commun aux hôpitaux, aux libéraux, aux différentes régions, qu'il va falloir uniformiser.

Nous allons demander à des tiers de nous aider. La Cnam doit nous donner une liste d’entreprises qui ont une convention avec l’Assurance maladie. Est-ce qu’elles nous conviendront ? Il faut quand même qu’il y ait une indépendance.

C’est un énorme travail, c’est le sujet majeur pour 2025, pour que ce soit effectif dès 2026.

Quelles sont vos revendications ?

Il faudra être factuel : il y a des taux de charge qui ont augmenté, le tarif doit donc augmenter ; s’il y a des taux de charge qui ont diminué, le tarif peut diminuer. Moi j’essaie d’être le plus honnête et le transparent possible. Mais compte tenu de l’inflation depuis 2004, date à laquelle cette hiérarchisation a été mise en place, ça m’étonnerait qu’il y ait des tarifs qui baissent, je pense qu’ils vont plutôt augmenter. Bien sûr, il y a eu des gains de productivité, mais comme dans tous les métiers, ça ne veut pas dire que les tarifs diminuent. Et dans le domaine de la santé, le matériel est plutôt en augmentation…

Un groupe de travail sur le parcours de soins, l’accès direct et les modalités de cotation de l’avis ponctuel de consultant (APC*) a été mis en place. Quelle est la position d’AvenirSpé sur la question ?

L’accessibilité aux soins, et notamment aux médecins spécialistes, c’est le deuxième gros sujet. On ne demande pas l’accès direct mais seulement que l’accès aux spécialistes soit simplifié.

D’abord pour que les paramédicaux (je n’aime pas ce terme, il est un peu dévalorisant), qui ont une forme d’expertise dans leur métier, puissent adresser un patient directement à un spécialiste : par exemple un kiné à un rhumatologue, à un médecin MPR ou à un chirurgien ; même chose pour une puéricultrice, une sage-femme, un infirmier qui traite une plaie chronique… On a des gains potentiels à réaliser, à la fois en termes de délais d’accès pour diminuer la perte de chance, mais aussi des gains financiers.

Alors il y a peut-être certaines spécialités où il pourrait y avoir de l’accès direct, comme il y en a déjà pour le dermatologue, le gynécologue… Globalement, on ne veut pas être embolisés par les demandes, mais je pense qu’il faut faire confiance à l’ensemble des soignants. Il faut être assez pragmatique, pour avoir la prise en charge la plus optimale possible.

"On n'est plus dans les années 1980, où les généralistes se battaient entre eux pour avoir des patients"

Concrètement, vous demandez à pouvoir coter plus largement l’APC ? Qu’un spécialiste puisse le coter sur adressage d’un autre spécialiste ?

Le pneumologue qui voit un infarctus, il fait quoi ? Il l’envoie au généraliste ? On n'est plus dans les années 1980, où les généralistes se battaient entre eux pour avoir des patients. Compte tenu de la demande de soins, il faut qu’on arrête ce petit jeu. D’après l’OMS, il nous manquerait 18 millions de soignants dans le monde.

Le médecin généraliste, aujourd’hui, c’est l’entonnoir de l’accessibilité aux soins. Tout le monde le dit, du pharmacien au kiné et à l’infirmière, en passant par le spécialiste.

Il faut penser à des parcours structurés. Ça ne veut pas dire sortir du parcours. Et ça ne veut pas dire que le généraliste n’est pas tenu au courant.

J’espère que la réflexion va avancer. Aujourd’hui, qui a peur de se faire « dépouiller » ? Soyons pragmatiques, on peut faire mieux avec autant.

L’ancien Premier ministre Gabriel Attal avait annoncé une expérimentation de l’accès direct aux spécialistes : que devient-elle ?

Rien ! Ça a été pondu par le cabinet du Premier ministre de l'époque, probablement pour nous faire plaisir. C’était juste avant la signature de la convention…

Globalement, il y avait vu une forme d’incompréhension : on ne veut pas l’accès direct aux spécialistes. Il faut définir les choses et surtout, il faut un pilote dans l’avion. Quand tout le monde fait tout, on fait tout mal. La preuve en est, tout le monde s’épuise et malgré tout, on n’arrive pas à répondre aux demandes de la population.

Les CPAM veulent proposer à certains spécialistes comme les internistes, les gériatres, les endocrinologues ou les néphrologues de devenir les médecins traitants des patients en ALD qu’ils voient à plusieurs reprises dans l’année. Est-ce une solution ? Ces spécialistes sont-ils en capacité de suivre ces patients ? Les généralistes en doutent…

Encore une fois, il faut être pragmatique. Moi quand je vois un patient qui n’a plus de médecin traitant et qui me demande de lui renouveler son traitement, je fais quoi ? Je lui dis d’aller voir le boucher du coin ?

Ce sont des querelles de château sans intérêt. Si le patient est demandeur… Quand vous avez une pathologie néphrologique et une dialyse toutes les 48 heures, je pense que le néphrologue vous connaît mieux que le généraliste.

Quant aux gériatres… ça fait 20 ans que j’entends que les patients ont des listes de médicaments à ne plus savoir qu’en faire, pourquoi ne pas solliciter davantage les gériatres ? Ils ne pourront pas voir tout le monde, mais ils pourront au moins donner des conseils car ils ont une expertise. La gériatrie fait partie des spécialités qui doivent être développées demain car la population va vieillir.

C’est en développant l’expertise qu’on va faire de la qualité. Ça ne veut pas dire que je dénigre le travail effectué par mes collègues généralistes dans la proximité, loin de là.

C’est l’une des raisons d’être des équipes de soins spécialisés (ESS). Dans les mois prochains, vous allez travailler avec la Cnam sur l’élaboration du cahier des charges. Quels sont les enjeux ?

Ils sont multiples. Le premier enjeu, effectivement, c’est l’accès à l’expertise dans un délai qui ne fait pas perdre de chance aux patients. Une ESS, c’est une communauté de spécialistes qui, collectivement, va répondre à une demande, de façon urgente ou moins urgente. Il faudra mettre en place un questionnaire en amont pour pouvoir hiérarchiser ces demandes.

Il faudra avoir des collaborateurs, des IPA, des assistants médicaux, des protocoles. Il y aussi les enjeux de la formation, de l’évaluation entre pairs – qui amène à la qualité, et de la mise en place de l'éducation thérapeutique, car il y en a assez peu.

Tout cela devrait être développé à l’échelon départemental ou régional, en fonction du tissu local. Les ESS permettront de redonner un peu de souffle.

On veut aussi développer des pôles de santé spécifiques (pôles mères-enfants, pôles de santé mentale, pôles d’ophtalmologie…) et des centres autonomes pour faire de la chirurgie... Ce que j’appelle des établissements libéraux de proximité.

*L'avis ponctuel de consultant est un avis donné par un médecin correspondant à la demande explicite du médecin traitant ou, par dérogation pour le stomatologiste, à la demande explicite du chirurgien-dentiste. Coté actuellement 56.50 euros, il sera revalorisé à hauteur de 60 euros le 22 décembre prochain.

3 commentaires
Photo de profil de B M
4,5 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 4 heures
Pourquoi entendons-nous encore et toujours les mêmes discours idéologiques, jamais les discours de réalité? Le généraliste , entonnoir de l'accès aux soins...hum c'est carrément l'inverse monsieur. A...Lire plus
Photo de profil de Fabien Bray
5,6 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 3 heures
Merci pour la leçon, mais le dermato n'est pas en accès direct... Quand au suivi des patients par le spécialiste uniquement, chiche! J'ai hâte de voir le PuPh traitant se taper le dossier MDPH, ou se...Lire plus
Photo de profil de Romain L
13,5 k points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 3 heures
En gros le type vient d'acter que la médecine générale était morte et qu'il fallait signer l'avis de décès pour que le monde puisse continuer de tourner....Lire plus
 
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