
"Les médecins de secteur 3 sont rentables pour l'Assurance maladie" : un nouveau syndicat créé pour "défendre" l'exercice hors convention
Créé en toute discrétion à l'été 2024 pour contrer la menace d'un déremboursement de leurs prescriptions par l'Assurance maladie, le syndicat des "Médecins secteur 3" vise à défendre "sur le terrain juridique" l'exercice des médecins déconventionnés. Du droit d'être MSU à la suppression du tarif d'autorité, son président, le généraliste parisien Kamyar Dadsetan, passe en revue les combats qui les attendent.

Egora : Vous êtes président d'un nouveau syndicat rassemblant les médecins de secteur 3. Quel est votre parcours ?
Dr Kamyar Dadsetan : J'ai 43 ans. Initialement j'étais pharmacien, je me suis reconverti sur le tard. J'ai exercé en tant qu'urgentiste à l'hôpital et depuis un peu plus d'un an, je suis installé comme médecin généraliste, non conventionné, à Paris.
Forme-t-on trop de médecins ?

Fabien Bray
Oui
Je vais me faire l'avocat du diable. On en a formés trop peu, trop longtemps. On le paye tous : Les patients galèrent à se soigne... Lire plus
J'exerce une médecine générale classique, mais uniquement avec des consultations longues de 30 minutes – je crois que c'est plus de deux fois la moyenne nationale - ce qui me permet de traiter plusieurs motifs et de faire un point sur la santé globale du patient.
Mes patients sont de tous âges et de tous niveaux sociaux. Je ne fais pas encore de pédiatrie, mais je fais de la gériatrie - j'ai un DIU.

Avez-vous eu des difficultés à constituer une patientèle en secteur 3 ?
J'ai rencontré les mêmes problèmes qu'un médecin qui s'installe et part de zéro pour constituer sa patientèle. Je suis installé dans un quartier [14e, près de Montparnasse, NDLR] qui est en déficit de médecins généralistes, nous sommes classés zone d'action complémentaire (ZAC). La plupart de mes créneaux sont pris le jour même ou la veille pour le lendemain, ça permet aux patients d'avoir un médecin rapidement. Ma patientèle se constitue petit à petit.
J'ai commencé tardivement à accepter d'être médecin traitant (MT), donc même si j'ai beaucoup de patients, je n'ai pas énormément de patients MT. Je voulais d'abord être sûr que l'exercice libéral en cabinet allait me plaire et me convenir ; je ne voulais pas m'engager avec un patient et l'abandonner ensuite si je décidais finalement de déplaquer et de retourner travailler à l'hôpital.
Et j'ai tendance à ne pas accepter d'être MT dès la première consultation, j'attends d'avoir 2-3 consultations pour qu'il y ait vraiment cette relation de confiance des deux côtés qui s'installe, car c'est sur le long cours.
Pourquoi avoir choisi de vous installer d'emblée en secteur 3 ?
Pour avoir vu comment était le secteur 1 lorsque j'ai effectué des remplacements en tant qu'interne et pour avoir côtoyé de nombreux confrères en secteur 1, la convention médicale ne me donnait absolument pas envie. Elle est trop restrictive. Elle ne permet pas de valoriser des consultations longues et complexes.
Une consultation systématique de 30 minutes en secteur 1, ce n'est pas du tout valorisé, sauf pour des cas très précis (patients de plus de 80 ans en sortie d'hospitalisation...) et encore, une seule fois par an, à partir de 2026.
Ce n'est pas du tout compatible avec ma façon de faire la médecine : pour moi, la médecine c'est de traiter plusieurs motifs en une seule consultation, en prenant le temps de voir le patient dans sa globalité. En secteur 1, il faut aller vite, on doit parfois faire de l'abattage en prenant 30 patients par jour. Pour moi, la médecine de qualité c'est le secteur 3. Je ne me voyais pas subir cette pression de voir de plus en plus de patients, ou pour avoir les forfaits de l'Assurance maladie. Au moins en secteur 3, on est libre de tout ça.
Comment est né votre syndicat ?
Il est né durant l'été 2024. Il faut savoir qu'avant cela, il n'existait pas de syndicat pour nous défendre nous, les médecins secteur 3, exclusivement. C'est le premier. Notre syndicat a été créé par un petit groupe de médecins exerçant tous hors convention et ressentant le besoin de se regrouper pour défendre leur exercice face aux diverses menaces sur le secteur 3, actuelles et à venir, et pour améliorer les conditions d'exercice hors convention au quotidien.
Ce qui a accéléré la création du syndicat, c'est la menace de l'Assurance maladie en juillet dernier d'un déremboursement des prescriptions des médecins de secteur 3. Quelque part, on peut remercier chaleureusement Thomas Fatôme et Marguerite Cazeneuve, les numéros 1 et 2 de la Cnam ! Sans eux, le syndicat n'existerait peut-être pas encore…
Ce déremboursement aurait eu des conséquences dramatiques sur l'accès aux soins
Pour vous, ce déremboursement, c'est le principal danger qui pèse sur les médecins de secteur 3 ?
Cette proposition portée dans le rapport Charges et produits pour 2025 visait à dérembourser toutes nos prescriptions : les médicaments, les bilans sanguins, les radios, les prescriptions de soins infirmiers, de kiné, les transports… Tout aurait vraiment été à la charge du patient qui pourtant cotise de façon obligatoire à la Sécu et souvent aussi à la mutuelle. Ce déremboursement aurait eu des conséquences dramatiques sur l'accès aux soins pour nos patients.
Il faut savoir que nous sommes un peu plus de 1 000 médecins non conventionnés en France, avec à peu près 1 000 patients chacun : potentiellement plusieurs centaines de milliers de patients auraient eu à assumer seuls le coût de médicaments essentiels pour leur santé, parfois même pour leur survie, et le coût de tous leurs examens médicaux. Il y aurait des renoncements aux soins, avec des pertes de chance énormes et des retards diagnostics, à l'issue dramatique pour les plus fragiles. Un diabétique pourrait ne plus avoir les moyens d'acheter son insuline, qui est vitale ; un patient qui a eu une embolie pulmonaire et ne peut plus acheter ses anticoagulants, pareil, c'est la mort assurée.
Cette décision aurait créé une véritable médecine à deux vitesses pour le coup. Elle aurait été à l'encontre de la mission de l'Assurance maladie et du contrat social. Quelque part, c'est inquiétant qu'elle ait été portée avec autant de fierté et de vigueur par des responsables qui sont censés défendre les patients et l'accès aux soins pour tous… C'est vraiment une proposition dangereuse et irréfléchie.
Qui sont les membres de votre syndicat ?
Au sein du bureau, nous sommes tous généralistes. On exerce une médecine générale classique avec quelques spécialités en plus comme la médecine du sport, le traitement de la douleur chronique ou l'échographie. Les adhérents sont principalement des généralistes classiques eux aussi, pas des médecins à exercice particulier. On compte également quelques psychiatres, des endocrinologues ou des cardiologues. Essentiellement de récents déconventionnés, depuis un an ou deux.
Des déconventionnements en lien avec le mouvement de l'UFML-S ?
Les Assises du déconventionnement organisées par l'UFML-S ont pu mettre en lumière le secteur 3, beaucoup d'entre nous ont pu le connaître ainsi. En revanche, on ne veut pas se servir du déconventionnement comme d'un moyen de pression, d'un instrument de lutte contre l'Assurance maladie. Je considère que l'exercice en secteur 3 est quelque chose de personnel, de réfléchi.
C'est absurde d'interdire à un médecin de secteur 3 d'être maitre de stage
Quelles sont les missions et revendications de votre syndicat ?
Notre mission principale est de défendre un exercice serein et sans restriction de la médecine déconventionnée, comme cela se fait depuis des décennies. Pour cela, nous avons fait appel à un cabinet d'avocats parisien spécialisé en droit constitutionnel. Face à la proposition de déremboursement, l'été dernier, ils ont trouvé des failles juridiques, soulevé des arguments pour montrer le caractère anticonstitutionnel, inégalitaire et dangereux de cette mesure. Nous avons pu alerter la ministre de la Santé de l'époque, Geneviève Darrieussecq, et le Conseil d'Etat, et logiquement la proposition n'a pas été retenue dans le PLFSS 2025.
Nous allons uniquement nous défendre sur le plan juridique. Nous n'allons pas faire de lobbying auprès des députés, ni de tapage médiatique. On considère que la voie juridique est la plus efficace.
On défend aussi l'exercice déconventionné au quotidien. En ce moment, on travaille sur le fait de permettre aux médecins de secteur 3 d'être maitres de stage universitaire (MSU). Il faut savoir qu'un médecin secteur 1, quand il se déconventionne, perd ce droit. Le Collège national des généralistes enseignants empêche les médecins de secteur 3 d'accueillir des internes au cabinet pour les former, alors qu'on a plus de temps pour le faire, qu'on a le même diplôme et les mêmes connaissances. C'est une interdiction absurde dans ce contexte de pénurie de MSU et que les besoins vont augmenter avec l'ajout d'une année d'études. Ils considèrent qu'un patient ne doit pas payer le médecin, donc pour eux ça justifie le fait de ne pas être MSU…
On a d'autres sujets, notamment le problème des gardes. Un médecin de secteur 3 volontaire pour effectuer une garde sera rémunéré sur la base des tarifs conventionnés, alors qu'il ne l'est pas et qu'il a des charges bien supérieures.
Il y a plein d'autres projets : fin septembre, on organisera le tout premier séminaire de médecine déconventionnée ; on va nouer des partenariats avec des organismes de formation pour proposer des FMC ; on va développer des projets avec l'intelligence artificielle pour améliorer le quotidien - au sein du bureau on a un médecin ingénieur de formation - ; sur notre site, on va proposer une interface pour les remplacements de secteur 3… Ça fait pas mal de projets pour un jeune syndicat.
Les médecins de secteur 1 qui se déconventionnent retrouvent le goût de la médecine en devenant secteur 3
Combien d'adhérents avez-vous ?
Pour l'instant, on est un peu plus de 130 sur environ 1000 médecins en secteur 3. On va bientôt attendre les 15% de médecins déconventionnés adhérents à notre syndicat, en proportion c'est bien plus que les autres syndicats. Les déconventionnés ont l'air de se syndiquer en plus grand nombre ! Ça continue d'augmenter progressivement au fil des semaines, et je pense que ce n'est pas près de s'arrêter au vu des contraintes que fait peser la convention médicale sur les conventionnés.
La nouvelle convention impose un délai de deux ans pour un médecin déconventionné qui souhaiterait se conventionner. Est-ce un obstacle ?
On ne connait aucun secteur 3 qui souhaite se reconventionner. Les secteur 1 qui se déconventionnent sont des médecins, souvent en burn out ou pré-burn out, qui fuient une convention maltraitante, qui ont perdu le goût d'exercer la médecine et le retrouve en devenant secteur 3. Ce délai de deux ans vise à faire peur aux médecins conventionnés qui hésitent, c'est juste un moyen de pression.
Allez-vous vous battre pour une hausse du remboursement de la consultation en secteur 3 ?
On ne va pas s'y pencher tout de suite, mais ça fait partie des demandes des adhérents. Car ce tarif d'autorité - de 0.43 à 0.61 centimes d'euros pour une consultation de généraliste - imposé par l'Assurance maladie empêche aussi le remboursement des mutuelles. C'est absurde car les patients cotisent et paient leur mutuelle une fortune. Quand un patient consulte un médecin à l'étranger, il est pris en charge entièrement par l'Assurance maladie, alors qu'en voyant un médecin non conventionné en France il ne sera pas du tout pris en charge.
En tant que médecins secteur 3, on est rentables pour l'Assurance maladie. On ne reçoit pas les milliers d'euros de forfaits annuels, ça fait déjà une économie. Et le fait de traiter plusieurs motifs en une seule consultation permet aux patients de ne pas multiplier les rendez-vous, ça permet d'économiser quelques consultations. Rien que pour cette raison, l'Assurance maladie devrait autoriser le remboursement de nos consultations.
Ce n'est pas aux médecins de secteur 3 qu'il faut reprocher une éventuelle inégalité d'accès aux soins et le non-respect du contrat social, mais à l'Assurance maladie qui impose ce tarif d'autorité injuste pour les patients.
Et on ne peut pas non plus reprocher aux médecins secteur 3 de ne pas vouloir adhérer à une convention dont les syndicats signataires bénéficient d’un fonds conventionnel de 2,7 millions d’euros par an reversé par l’Assurance maladie, ce qui pose donc la question de conflit d’intérêts et de la capacité réelle de ces syndicats signataires à négocier quoique ce soit avec la Cnam.
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