"Aidez-nous" : médecins, infirmières ou pharmaciens, ils sont confrontés au renoncement aux soins

10/12/2021 Par La CPTS Paris 20

Alors que l’articulation entre l’Assurance maladie obligatoire et les complémentaires est en débat, des professionnels de santé de la CPTS du 20ème arrondissement de Paris ont décidé d’écrire une lettre ouverte à Olivier Véran. Médecin, infirmière, kiné, pharmacien, sage-femme et même secrétaire médicale... Ils alertent le ministre de la Santé sur le renoncement aux soins et racontent des situations concrètes qu'ils ont vécues avec des patients qui n'ont pas d'assurance ou une mauvaise complémentaire et qui n'ont pas pu être pris en charge comme il le fallait. Egora publie leur texte, en intégralité.    "Monsieur le Ministre, La CPTS Paris 20 tient à participer à la réflexion sur l’articulation entre l'Assurance Maladie obligatoire et complémentaire. Dans votre discours du 8 novembre 2021 sur le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale, vous avez dit : "La réponse, ça n’est pas moins de droits, c’est plus de droits, mieux de droits. C’est d’ailleurs dans ce cadre que j’ai demandé au Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie de réfléchir à l’articulation entre assurance maladie obligatoire et complémentaire." Nous, soignantes et soignants du 20ème arrondissement de Paris, nous voyons tous les jours en consultation des patient.e.s qui n'ont pas d'assurance complémentaire, ou une mauvaise complémentaire, et qui ne peuvent financer le reste à charge. Nous sommes témoins tous les jours de renoncement aux soins aux terribles conséquences. Qui n’a pas de complémentaire santé ou une mauvaise complémentaire, aujourd’hui en France ? Les plus fragiles : celles et ceux qui ne travaillent pas ou qui sont au chômage (ainsi que leurs enfants), les étudiant.e.s, les personnes âgées ou encore tous celles et ceux dont les revenus dépassent les seuils de la complémentaire Santé Solidaire mais ne leur permettent pas de financer une complémentaire santé. Les professionnel.le.s de santé de la CPTS Paris 20, notamment des médecins, infirmières, sages-femmes, masseurs-kinésithérapeutes, ou encore pharmaciens souhaitent vous présenter à travers ces 10 vignettes les difficultés que nous rencontrons pour soigner nos patients sans complémentaire ou avec une complémentaire “premier prix”, avec pour conséquence une mauvaise couverture de nos soins pourtant indispensables.   Vignette 1 : sage-femme Une jeune femme de 26 ans, sans complémentaire : “Je la vois car elle est en début de grossesse, et elle n’est pas à jour dans son dépistage du cancer du col de l’utérus. Elle est d’accord pour un frottis maintenant, organisé et pris en charge à 100%. Nous prenons rendez-vous mais nous avons oublié le reste à charge de ma consultation. En effet, seule l'analyse du test de dépistage (cytologique ou HPV) est prise en charge à 100% dans le cadre du nouveau dépistage organisé. Elle doit donc me payer 12.46 euros mais elle ne les a pas.”

  Vignette 2 : masseur-kinésithérapeute Un jeune homme, étudiant de 23 ans, qui a pris une complémentaire étudiante en choisissant la formule de base chez une des complémentaires emblématiques. En effet, malgré des "petits boulots” en parallèle de ses études, il ne peut financer la moindre option et comme tout étudiant, il consulte en diagonale ses garanties, pensant qu’elles couvrent tous les soins essentiels liés à son jeune âge. Il a une entorse de cheville, grade 2 (sur 3) et...

une rééducation est nécessaire pour une bonne récupération et la reprise du sport. “Après la facturation des 5 premières séances, il constate que sa complémentaire ne prend pas en charge le ticket modérateur pour des séances de kinésithérapie. Il n’a pas les moyens de régler les 6.45 euros de la sixième séance, part correspondant à la partie mutuelle et décide d’arrêter les séances malgré la proposition qui lui est faite de ne pas payer cette part complémentaire.”   Vignette 3 : médecin généraliste Un homme âgé de 58 ans, chômeur : “Hier lors de ma consultation sans rendez-vous, j'ai vu ce patient, qui souffre de douleurs de la fosse lombaire droite depuis 1 mois. A l'échographie, une imagerie a permis d’explorer le rein droit. Mais pourquoi a-t-il tant trainé à faire cet examen ? “Pas de sous” m'a-t-il dit. Cet examen ne suffit pas, un scanner est nécessaire. Cet homme est au chômage et n'a plus de complémentaire santé. Ses revenus dépasseraient le seuil pour bénéficier de la CSS avec participation. Je prescris un uroscanner en sachant qu'il ne pourra pas payer le ticket modérateur. J'appelle les Coursiers Sanitaires et Sociaux pour qu'ils gèrent le droit éventuel à la CSS. Je rage de tout ce temps perdu à régler la situation administrative, car ma salle d'attente se remplit ce qui ne saurait être bon en temps COVID alors qu’en équipe, nous avions décidé d'être à l'heure sur nos créneaux de consultation non programmée. Je rêve d’une “grande sécurité sociale” où j'aurais pu prescrire tranquillement cet uroscanner et appeler mes confrères urologues, plutôt que les coursiers.”

  Vignette 4 : pharmacien Une patiente de 48 ans, diagnostiquée d’une sclérose en plaques. L'Affection Longue Durée tarde à être renouvelée, le Fampyra, un médicament prescrit pour améliorer la marche, n'est pris en charge qu'à 15% par l’Assurance Maladie. La patiente n'a pas de mutuelle à jour. Il lui reste donc plus de 140 euros à charge. Si son pharmacien n'avait pas fait l'avance du médicament à ses frais, le traitement aurait été interrompu.   Vignette 5 : infirmière Pour le vaccin contre la grippe, savez-vous que...

si le vaccin est bien pris en charge à 100%, le geste infirmier quant à lui n'est pris en charge qu’à 60% par l'Assurance Maladie Obligatoire si la personne n'est pas en ALD ? Hélas, ceci est le cas pour de nombreuses personnes de plus de 65 ans qui ont reçu la proposition de vaccin anti-grippe. “Nous, infirmier.e.s, devons donc faire payer 2 euros de ticket modérateur à nos patients qui n'ont pas d'AMC et qui ne sont pas en ALD, ce que qu’ils ne comprennent pas, puisque le vaccin est présenté comme gratuit dans toutes les communications officielles.”   Vignette 6 : secrétaire médicale Pendant la pandémie COVID, le ticket modérateur a disparu pour les consultations de prévention Covid, pour les téléconsultations, pour les tests et les vaccinations mais pas pour les hospitalisations dont nous connaissons le coût très important. “Cette mesure a été une grande aide pour faciliter l’accès aux soins et nous a permis d’accompagner nos patients sereinement. Hélas nous avons plusieurs retours de patients sur leur prise en charge à l’hôpital pour un Covid. Certaines hospitalisations chez des personnes sans complémentaire ont eu des conséquences financières dramatiques chez certains avec les 20% de reste à charge, qui se comptent en milliers d’euros.”

  Vignette 7 : médecin généraliste Un patient de 80 ans, en rémission de son cancer et donc en ALD : “Hier encore, j'ai fait passer sur son ALD une demande de tomodensitométrie thoracique. Sans cela, ce patient ne l'aurait pas fait, faute de moyens financiers. Démarche pas très satisfaisante d'un point de vue éthique…”   Vignette 8 : pharmacien Le pharmacien se retrouve souvent avec des patients fragiles ayant des difficultés à régler le ticket modérateur. Un patient souffrant d’un cancer... 
Le centre d'imagerie médicale prescrit un produit de contraste pour réaliser une IRM. La prescription ne précise pas l'ALD et le produit coûte 130 euros, remboursés à 65%. Le patient ne travaillant plus du fait de sa maladie n'est pas éligible à la CMUc. Une patiente venant d'accoucher : son enfant n'est pas encore reconnu par la mutuelle. Elle a des difficultés à payer le reste à charge pour un traitement antibiotique et antiviral.   Vignette 9 : médecin généraliste La mère d’une enfant de 1 an a consulté à la Maison de Santé Pluriprofessionnelle. Sa fille n'est pas à jour des vaccins obligatoires : “Nous prescrivons immédiatement le prevenar+ infanrix hexa qu'elle aurait dû avoir à 11 mois. La mère n'a pas d'AMC, n'a pas le droit à la CMUc et nous dit qu'elle ne peut pas régler le ticket modérateur (32.22 euros pour ces 7 vaccins en 2 injections) ”. L'enfant ayant eu les premiers vaccins à la PMI de Villeneuve Saint-Georges, “nous appelons la PMI pour qu'elle puisse effectuer les vaccins là-bas. Mais, la PMI nous explique que les rendez-vous sont programmés sur un an, que cette maman en a loupé plusieurs et donc qu’ils ne pourront la recevoir que dans 4 mois... Nous appelons la PMI de notre quartier : ils sont débordés et ne peuvent recevoir l'enfant. ” La mère est fragile et change de logement régulièrement Un rendez-vous dans 4 mois risque de ne pas être honoré. Elle est actuellement à l’hôtel près de notre MSP et le contact est bon avec l’équipe de soins. "Néanmoins, nous ne pouvons pas remplir notre mission, qui est de vacciner cet enfant qui n'est pas à jour."

  Vignette 10 : médecin généraliste à la PASS Un homme de 25 ans, a ses droits ouverts à la Sécurité Sociale, mais n'a pas de complémentaire. Il se présente aux urgences pour une douleur thoracique qui amène à la découverte d’une hypertension artérielle sévère. Un bilan est nécessaire mais en l’absence d’ALD, la prise en charge médicamenteuse, biologique et l’imagerie ont dû être effectuées à la Permanence d'Accès aux Soins de Santé. A ce jour il est en ALD mais sans la PASS, le retard de la prise en charge aurait pu avoir de graves conséquences sur sa santé. Au-delà du constat que le double traitement des dossiers par la sécu puis par les complémentaires est cher et que le système des mutuelles est injuste car non solidaire, nous vous demandons de nous aider à prendre en charge TOUS nos patientes et patients.   Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, nos salutations respectueuses, La CPTS Paris 20"

Signataires : Mady Denantes, médecin généraliste ; Dora Levy, médecin généraliste ; Antonin Mathieu, médecin généraliste ; Isabelle Gueguen, infirmière ; Stephanie Saguez, sage femme ; Alexandre Hottiaux, pharmacien ; Clara Lopez, médecin généraliste ; Marie Karsenty, secrétaire médicale ; Christophe Jolivet, masseur-kinésithérapeute ; Laurianne Badoc, médecin généraliste. 

 
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