Quand les étudiants en médecine sont pris pour cible... Retour sur une vague d'agressions "sans précédent" à Marseille

En début d'année, une vague d’agressions et de vols a frappé les étudiants en médecine de la faculté de La Timone. Certains ont été menacés au couteau ou "tasés" aux abords du campus. Si des interpellations ont eu lieu depuis et un service de sécurité a été déployé, le climat demeure anxiogène. Les carabins ont d’ailleurs créé un groupe sur les réseaux sociaux sur lequel ils s’alertent du moindre risque. Du côté de l’université, on plaide l’apaisement.

16/04/2022 Par Louise Claereboudt

Jeudi 24 mars, aux alentours de 20 heures. Hugo*, 20 ans, étudiant en deuxième année de médecine à la faculté de La Timone, à Marseille, rentre chez lui, seul. Il habite non loin de l’université. La nuit est tombée. Trois adolescents l’interpellent dans la rue. Hugo sait que depuis le début de l’année, d’autres carabins ont été agressés. Il décide de ne pas répondre aux invectives, pourtant incessantes. L’un des trouble-fêtes le suit malgré son silence. "Il me demande pourquoi je ne m’arrête pas. Je lui explique qu’il est 20 heures, que je ne le connais pas et que j’ai autre chose à faire", a raconté Hugo à Egora, le 1er avril. L’individu "monte dans les tours" et s’énerve : "Tu me prends pour un agresseur, tu me prends pour un voleur ?", lui lance-t-il, avant de lui asséner trois coups au visage.  "J’ai dû faire un petit tour aux urgences. Rien de grave, j’ai eu deux points de suture sur la lèvre. Mais c’est une perte de temps et d’énergie." 

Depuis début janvier, les faits de violence visant des étudiants en santé (médecine, pharmacie, dentaire…) ont explosé à proximité de la faculté de La Timone, dans la cité phocéenne. Systématiquement, les agresseurs seraient des ados à trottinette, qui cherchent à dérober ordinateurs et téléphones aux étudiants qui sortent des cours ou des écuries, situées dans la rue Sainte-Cécile, où de multiples agressions ont été rapportées dans la presse locale. "Du côté des centres de préparation, il y a beaucoup d’étudiants seuls qui sont des cibles faciles", a déploré Hugo. "Une fille a été poignardée pour un téléphone il y a trois ans", mais, selon l’étudiant, ils ont connu une vague de violence sans précédent cet hiver. "Avant-hier [le 29 mars, NDLR] des gens se sont fait taser, là aussi pour un téléphone."

"Je me dis que je m’en sors plutôt bien", confie alors le jeune homme, qui ne se dit pas "traumatisé" mais déplore la situation. "Nous, on ne peut rien faire en soi." Face à des camarades démunis et angoissés, l’association étudiante, qui n’a pas répondu à nos sollicitations, a lancé des alertes aux étudiants, leur recommandant de sortir en groupe et de ne pas rentrer seuls le soir. Trois membres ont par la suite créé une page Facebook dédiée – et privée, sur laquelle les étudiants peuvent prévenir du moindre risque. "C’est triste d’en arriver là, mais on n’a pas le choix. On veut juste rentrer chez nous sans se faire agresser", a témoigné Hugo, qui explique avoir été victime d’une "attaque gratuite" car "on ne [lui] a rien volé". Sur le groupe Actu-Timone, qui compte plus de 3.000 membres, les messages - "parfois entre 3 et 4 par jour" – prévenaient de "jeunes suspects", traînant à proximité de la faculté, à l’affût d’une "proie" facile, seule, de jour comme de nuit. "Il y avait des messages de prévention pour nous dire : attention, n’allez pas ici ou pas là", a expliqué Hugo. 

"Il y a des gens qui avertissent vraiment, mais il y en a d’’autres qui sont dans les extrêmes et qui dès qu’ils croisent des personnes qui leur paraissent suspectes, postent un message. On ne peut pas leur reprocher, mais ça crée un climat anxiogène", nous a confié l’étudiant de deuxième année. Anna, étudiante en cinquième année, ajoute : "En début de semaine [semaine du 12 avril, NDLR], un message a été posté pour avertir de la présence d’un ‘type louche avec des dreadlocks près du Casino’. Mais ce n’est pas parce que quelqu’un a des dreadlocks qu’il est louche et qu’il va nous attaquer", tient-elle à rétablir. L’étudiante habite dans une des rues où les agresseurs ont sévi, mais n’a jamais subi de violences ni de menaces. Mais certains de ses amis se sont toutefois fait dérober leur téléphone.   

Retour au calme ? 

France Bleu Provence indiquait le 23 février que deux mineurs âgés de 15 ans avaient été interpellés par les forces de l’ordre. Interrogée par Egora, la procureure de la République, Dominique Laurens, confirme l’interpellation de ces deux jeunes pour 20 faits entre janvier et fin février 2022. Les deux mineurs ont été mis en examen et placés en détention provisoire. Ils avaient déjà été interpellés fin 2021 pour 11 faits "d’extorsions et vols avec arme" puis "déferrés et mis en examen le 1er décembre dans le cadre d’une information judiciaire et placés sous contrôle judiciaire", précise-t-elle. La réprésentante du parquet indique que les faits ont néanmoins toujours été niés par ces jeunes et que, de fait, ils sont présumés innocents. "Sur un seul fait", un autre mineur, frère de l’un des interpellés, était aussi impliqué. Il "faisait l’objet d’une mesure éducative judiciaire". "Le mode opératoire était toujours le même", indique la procureure. Le "gang des trottinettes", tel que surnommé par la presse locale, arrivait à proximité de la faculté de médecine et des écuries sur ces engins "électriques" et approchaient des étudiants seuls "en exhibant un couteau". 

"Dans 95% des cas", ils ne dérobaient que le téléphone portable des victimes, exclusivement des Iphone, selon la procureure de la République. Cette dernière indique qu’il n’y avait "jamais de violences physiques". "Quelques victimes ont pris la fuite à leur vue", ajoute-t-elle. Des faits qui sont donc qualifiés en tentative. Dominique Laurens assure ne pas avoir de "nouveaux dossiers", bien que quelques témoignages d’étudiants sur les réseaux rapportent des faits postérieurs aux interpellations. Même constat du côté des étudiants. Un dispositif de surveillance renforcé a été par ailleurs déployé sur les lieux concernés. 

Du côté de l’université, on plaide aussi l’apaisement. Un contrôle des cartes étudiantes a été mis en place à l’entrée. On déplore en revanche que des "rumeurs" aient été relayées. Certains étudiants restent marqués par les agressions subies ou qui ont eu lieu parfois sous leurs yeux. "La vie a repris son cours normal mais il y a forcément toujours quelques étudiants qui sont un peu inquiets", indique Anna, qui ajoute : "C’est Marseille, quel que soit le quartier dans lequel on habite, on ne se sent jamais en sécurité à 100%." "J’essaie de me déplacer le plus possible dans les grandes rues en me disant qu’il y aura plus de monde. C’est fou d’en arriver là en 2022", déplore Hugo.

*les prénoms ont été modifiés.

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