Elle trouve cela "inconcevable". En Paces à Saint-Etienne, Flavie manque de mots pour commenter la décision prise par le ministère de l’Enseignement supérieur, à peine quelques jours avant ses partiels de fin d’année. La semaine dernière en effet, une note de la Direction Générale de l’Enseignement Supérieur et de l’Insertion Professionnelle (DGESIP) a été envoyée aux universités, les informant à la dernière minute que les étudiants “dans l'obligation d’être isolés”, c’est-à-dire Covid + ou cas contact ne pourraient se rendre à leurs examens de fin de semestre. Mais problème… "La nécessité d’équité d’évaluation entre les étudiants ne permet pas d’organiser une seconde session courant janvier”, s'insurge le syndicat des élus de médecine de Saint-Etienne (EMES) dans un communiqué. La note de la DGESIP précise donc que les “étudiants isolés sont invités à se signaler aux facultés et à produire un certificat médical leur permettant d’annuler leur année universitaire", précise-t-il. Comprendre : un redoublement - voire triplement avec la réforme du premier cycle - inévitable pour les étudiants concernés. Cette mesure est applicable partout en France, confirme le Pr Diot, Doyen des doyens des facultés de médecine à Egora.
Quelles conséquences, alors, pour les candidats ? Un véritable dilemme : recommencer une année de Pass (ou une troisième année de Paces) dans le contexte que l’on connaît avec la mise en place de la réforme chaotique… Ou passer l’examen malade, sans se signaler. “Honnêtement, je compte me présenter malgré tout”, avoue Naïma, doublant sa Paces à Bordeaux. “Effectivement j’ai des symptômes. Mais je ne peux pas saboter deux ans de Paces comme ça même si je ne suis pas sûre de l’avoir”, se désole la jeune femme. Comme elle, de nombreux étudiants interrogés ne cachent pas leur sentiment d’injustice, les poussant à se présenter au concours malgré leurs symptômes et tests positifs. En Pass à Strasbourg, Nyoucha, elle, ira concourir “avec ou sans Covid”, estimant qu’elle ne peut pas se permettre de “recommencer une nouvelle fois cette année”. Clémence est tout aussi déterminée. Redoublant sa Paces dans une faculté privée de Lille, elle paie son année et a bossé “comme une tarée” pour en arriver là. “J’ai la chance d’avoir une fac qui met en place une salle à côté pour les cas + et les cas contact. Même si ça n'avait pas été le cas, je serais allée au concours. Je ne laisserai pas la fac m’interdire de passer mes examens. Si je dois mettre trois masques, une combi, apporter mes propres plexi pour me protéger des autres je le ferai mais c’est inadmissible d’exclure les élèves comme ça”, s’agace-t-elle. Noémie, Louis, Audrey, Martin… Ils sont encore nombreux à nous confesser préférer prendre le risque de passer le concours contaminé plutôt que de devoir faire une croix dès le mois de décembre sur leur année déjà bien difficile. “Si on me disait à cet âge ‘t’es positif, tu ne peux pas venir passer tes examens’ je ne fournirai pas mon test… et au pire Photoshop existe. Je ne suis pas pour trafiquer les résultats, mais là…”, lâche aussi Emma. Des clusters en puissance “C’est ainsi que naîtront des clusters qui ont pourtant été évités lors de la tenue des concours de la Paces en juin”, se désole le syndicat EMES. Lors du concours de la Paces en effet, un protocole sanitaire renforcé avait été mis en place pour que le concours de la Paces puisse se dérouler, prévoyant une salle à part pour les personnes présentant des symptômes du Covid ou testés positifs.
Cette nouvelle est d’autant plus difficile à avaler pour les étudiants, qu’elle tombe à quelques jours de leurs épreuves - qui se déroulent depuis le 7 décembre jusqu’à la fin de la semaine prochaine - et que les “capacités de formation” (remplaçant le numerus clausus) ne sont toujours pas déterminées. Ils naviguent donc à vue. “Je pense que ces personnes qui décident pour nous ne se rendent pas compte de ce que cette décision signifie pour nous”, tranche Camille, étudiante à Clermont-Ferrand. “On parle beaucoup des Pass/Las mais être en Paces n’est pas non plus un cadeau cette année : les concours décalés, le manque d’informations de la part de la fac, les épreuves fusionnées... On passe nos journées à bosser, à ne voir personne et si par malchance on attrape le virus, on dit adieu à notre année ?”, écrit-elle, amère. Car la situation est encore plus compliquée pour les étudiants en Paces doublants. Leur concours à eux, différent de celui de la Pass, aura lieu début janvier. La note de la DGESIP préconise à tous les étudiants un isolement de 14 jours avant les épreuves. Incompatible, donc, avec les fêtes de fin d’année. “A ma fac, on a aucune nouvelle. On ne sait rien, explique Eveanne. Mais je suis en train de me dire que Noël ou même le nouvel an, je ne pourrai pas le passer en famille car je ne peux pas prendre le risque d'être positive et je ne veux pas tripler. Je suis dégoûtée, déçue et fatiguée.” Lâcheté du ministère de l’Enseignement supérieur Dans cette année difficile, jonchée de difficultés liées au cours en distanciel, le confinement et la mise en place de la réforme, plus de deux jeunes sur trois souffrent d’anxiété. Et l’attitude du ministère n’a rien fait pour arranger les choses… Même si la note a été envoyée une dizaine de jours aux universités, aucune communication officielle n’a été faite par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (Mesri) aux étudiants. Ces derniers ont été informés au compte-goutte par des mails envoyés à l’initiative des facultés ou par la presse. Malgré les demandes répétées de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) d’assumer cette décision pour que les étudiants n’apprennent pas la nouvelle “de la mauvaise manière”, le Mesri fait l'autruche.
Comme l'a rappelé @Morgane_ANEMF les étudiants attendent une communication officielle de la part de @sup_recherche @MinSoliSante @Matignon. Votre silence est intolérable ! Est-il représentatif de la considération que vous portez aux futurs soignants ?
— Mathieu Lamy (@Mathieu_ANEMF) December 8, 2020
Complètement opposé à cette décision, l’Anemf a aussi demandé que les mesures appliquées pour le concours en juin soient à nouveau mises en place pour cette session. “Aucun étudiant ne va se déclarer”, craint la présidente de l’association, Morgane Gode-Henric. “On parle d’étudiants qui travaillent depuis des mois, encore plus pour les redoublants… C’est compréhensible”, souligne-t-elle. Lucy, en Pass, a décidé d’assumer et de prévenir sa faculté qu'elle était contact d’un cas Covid depuis deux jours. “Ils m’ont dit de rester chez moi, de ne pas venir. C’est débile de perdre une année de ma vie à cause de la pandémie”, regrette la jeune femme. Pour l’Anemf, si la forme est à revoir au niveau du ministère, le fond l’est également. “On ne parle même pas d’une note. En fait, c’est un mail. Il n’a aucune valeur juridique, il n’y a pas d’ordonnance, de circulaire, de décret. Nous demandons aux universités qu’elles fassent preuve de bon sens. Certains établissements ont aussi peur des recours, car rien ne les protège. On veut donc que le Gouvernement assume clairement sa décision, ce n’est pas aux fédérations d’apprendre la nouvelle aux étudiants Nous sommes là pour les représenter, on n’est pas le gilet pare-balles du ministère”, affirme Morgane Gode-Henric. La réponse du ministère, qui compte sur la "responsabilité" des étudiants Contacté par Egora, le ministère s’est enfin décidé à s’exprimer. “L’organisation des examens et concours suit les recommandations de la cellule de crise interministérielle", expliquent dans un premier temps les équipes de Frédérique Vidal. "C’est ainsi que le protocole sanitaire très rigoureux qui avait été mis en place lors de la première vague a été reconduit avec quelques aménagements dont, par exemple, la nécessité de garder le masque pendant toute l’épreuve. Il n’y a pas de mesures dérogatoires pour les étudiants qui nécessiteraient d’être isolés à cause de la Covid-19”, assument-elles également. “Comme évoqué à l’occasion d’échanges réguliers entre le MSS, le MESRI avec les organisations étudiantes et conférences des doyens, les mesures préventives et d’isolement doivent donc prévaloir avant la date des concours. Ainsi, pour faciliter l’isolement des étudiants qui seraient dans l’impossibilité personnelle de le faire, les CROUS se sont organisés pour mettre à disposition des logements y compris pour des étudiants n’y résidant pas habituellement. Pour les concours, les étudiants qui se retrouvent dans l’impossibilité de passer les épreuves bénéficient des mesures habituellement mises en place dans leur université pour leur permettre de concourir l’année suivante sans considérer l’année en cours comme une première tentative (Covid-19, maladie, blessure, empêchement physique,…)”, précise encore le ministère. Le Mesri communique également le détail de la procédure de substitution décidée par la DGESIP (voir encadré). Mais c’est une ligne à la fin de leur mail qui attire l’attention : “Salle dédiée – Il est recommandé de prévoir une salle dédiée en cas de difficulté survenue en cours d’épreuve (toux, fièvre etc.). Cette salle pourra permettre à l’étudiant de poursuivre son épreuve, ainsi que le prévoit la disposition 1.2.1 du protocole applicable aux concours de la fonction publique”. Enfin, interrogé sur le risque que les étudiants contaminés se présentent malgré tout aux épreuves, le ministère confie à Egora ne pas être inquiet, comptant sur la "responsabilité individuelle" de chacun. Il assure, de plus, que "le protocole sanitaire mis en place est très rigoureux et contraignants pour éviter toute contamination par des étudiants qui seraient malades sans le savoir”.
Le redoublement possible pour tous En ce qui concerne les modalités pratiques de la décision du ministère, le redoublement sera possible pour tous les étudiants malgré les textes de la réforme. Les actuels Paces, déjà redoublants, pourront tripler en Pass l’an prochain. Les Pass, quant à eux, pourront faire une demande de redoublement toujours sous le régime Pass pour l’année universitaire 2021-2022.
Communiquée à Egora par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, voici le détail de la note communiquée aux universités :
1) Règles spécifiques aux examens :
Lorsqu’il est fait le choix d’organiser des examens en présentiel, il convient de prévoir des épreuves de substitution pour les candidats devant rester en isolement ou en quarantaine. Ces épreuves doivent être conçues de manière à assurer une égalité de traitement avec les étudiants de la session principale : la durée et les modalités de l’épreuve doivent être similaires. Cette session doit être organisée dans un délai supérieur à 14 jours mais ne doit pas excéder deux mois après la première session. Elle ne doit pas être confondue avec la session de rattrapage encore appelée "seconde session".
2) Règles spécifiques aux concours, y compris épreuves permettant de constituer le dossier d’accès au 1er cycle des formations médicales :
S’agissant des concours dans les disciplines de santé, les étudiants qui ne pourraient pas se présenter à une épreuve pour cause d’isolement pourront bénéficier de l’annulation de leur année universitaire et se présenter au concours l’année suivante sans avoir épuisé une des chances offertes de candidater.
3) Règles communes aux examens et concours :
Mesures préventives - Il est important de recommander aux étudiants de limiter leurs contacts et d’éviter les situations à risque dans les 14 jours avant la date de l’examen ou du concours présentiel. Principalement pour les candidats aux concours dont les conditions d’hébergement rendraient difficile le respect de cette quarantaine (résidence dans un domicile ne permettant pas l’isolement par exemple), les CROUS peuvent proposer des solutions d’hébergement temporaire et en nombre limité. Si vous souhaitez en faire bénéficier certains de vos étudiants, il convient de prendre l’attache de votre CROUS pour en vérifier la faisabilité, sachant qu’il ne pourra être demandé au CROUS de veiller au respect individuel de la quarantaine.
Salle dédiée
Il est recommandé de prévoir une salle dédiée en cas de difficulté survenue en cours d’épreuve (toux, fièvre etc.). Cette salle pourra permettre à l’étudiant de poursuivre son épreuve, ainsi que le prévoit la disposition 1.2.1 du protocole applicable aux concours de la fonction publique. »
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