Pour faire de la prévention, on n'a pas d'argent mais on a des idées. Voilà quel pourrait être le slogan du nouveau service sanitaire présenté cette semaine par Agnès Buzyn et Frédérique Vidal, la ministre de l'Enseignement supérieur. Si beaucoup d'étudiants sont d'accord sur la nécessité de faire plus de prévention, ils sont plus critiques sur la solution trouvée par le gouvernement.
"Après deux jours de formation sur les addictions, la contraception et la physiologie sexuelle, on a été envoyés pour trois demi-journées dans un collège. J'étais avec un étudiant en soins infirmiers. Les élèves étaient très intéressés par les questions sur la sexualité. Il a d'abord fallu briser la glace, mais la proximité d'âge est un vrai atout. Je faisais un peu le grand frère", se souvient Luc, étudiant en médecine à Angers. L'an dernier, alors qu'il était en deuxième année, il a participé volontairement à des missions de prévention dans un collège. Aujourd'hui, il se dit ravi de cette expérience. "On fait très peu de prévention en fait, pendant nos études de médecine. Je pensais que c'était important d'en faire. Et c'est une expérience à prendre."
Lundi dernier, Agnès Buzyn et Frédérique Vidal, ministres de la Santé et de l'Enseignement supérieur, ont dévoilé le service sanitaire que feront 47 000 étudiants en santé dès la rentrée prochaine. Une initiative largement inspirée de celle d'Angers, lancée bien avant la promesse de campagne d'Emmanuel Macron. "Je crois fortement dans le rôle des jeunes générations pour faire changer le système et promouvoir les comportements favorables à la santé", a souligné Agnès Buzyn lors de la présentation de la mesure. De leur côté, les représentants des "jeunes générations", l'Association des étudiants en médecine (Anemf) mais aussi des autres futurs professionnels de santé, ont globalement soutenu la réforme. Mais derrière le verni, l'adhésion des principaux concernés n'est pas toujours aussi franche. "D'expérience on sait qu'à l'hôpital où on est à notre place, on est souvent utilisés comme du salariat déguisé, fait valoir Hugo, étudiant en 6ème année de médecine. On est payés une misère, on porte des brancards, on remplit des papiers… Il n'y a pas de sot métier, mais ce travail que nous faisons pour pas grand-chose devrait être fait au minimum par des gens payés au Smic. On est utilisés pour faire tout et n'importe quoi à l'hôpital et j'ai peur qu'en milieu scolaire ce soit encore plus le cas."
Le problème du #ServiceSanitaire en fait, c'est que l'État utilise un vrai problème pour créer un service gratuit sur le dos des étudiants en santé. Le constat, on le partage, il faut améliorer la #prévention en France. Le moyen, non, on donne assez de notre santé et notre temps.
— Alex Terne (@Amithandrel) 26 février 2018
"Le gouvernement réforme la médecine du travail et dit aux étudiants d'aller faire de la prévention en entreprises ? Ou bien dans les Ehpad, qui manquent terriblement de moyens ? Ce n'est pas en mettant du personnel corvéable et gratuit à leur disposition qu'on va faire disparaître les difficultés", abonde Charles, infirmier fraîchement diplômé.
- Détruire la médecine préventive en entreprise
— Merliche (@Papy_Merlin) 27 février 2018
- Envoyer ensuite des étudiants non payés y faire de la prévention
La logique #Macron...#ServiceSanitaire
Car ce service sera effectivement obligatoire et bénévole, malgré les demandes de l'Anemf.
Pour le côté pas de rémunération, bien sûr l’inverse aurait côté un tremblement de terre à 9 sur l’échelle de Richter dans les dogmes inéchangeables de la médecine ON PAYE PAS LES BAC +3 ET ON PAYE MAL < 250€ LES BAC +4,+5,+6 et tout le monde ferme sa bouche.
— Nalaxone (@nalaxone) 26 février 2018
Cependant, quelque 7 millions d'euros seront débloqués par le gouvernement et serviront notamment à indemniser les déplacements des étudiants, invités à aller dans les zones où l'accès aux soins est difficile. Sur le fond, plusieurs problèmes sont identifiés par les futurs professionnels de santé. A commencer par celui de la formation. "Parler de vie sexuelle, d'addictions dans les lycées, ça s'apprend. Au risque de mal faire, ou, en matière d'éducation sexuelle notamment, de véhiculer ses propres clichés", rappelle une militante féministe sur Twitter. Selon ce que l'on sait de la mise en place du service sanitaire, le moment où il se fera dans chaque filière a été arbitré. Pour les infirmiers, il aura lieu en deuxième ou troisième année, pour les pharmaciens, en quatrième ou cinquième année, et pour les médecins, en troisième année.
Hâte de voir les D1 aller faire de la prévention contre les dangers de l’alcool en sortant de soirée médecine #servicesanitaire pic.twitter.com/DeDmIJdjOd
— D. (@AeromonasH) 26 février 2018
"Pour les étudiants en médecine, on s'adresse à des gens qui ont passé un an ou deux en Paces, à apprendre de la biochimie, de l'anat basique, qui n'ont jamais touché un patient, n'ont jamais mis les pieds dans un lieu de stage… Je ne vois vraiment pas ce qu'on peut leur demander à part tenir les murs. C'est ultra-précoce. Moi, j'ai attendu le début de ma 4ème année pour toucher un patient. J'étais pétrifié", ajoute Hugo.
Un temps de formation est tout de même prévu pour tous avant d'aller sur le terrain, ainsi qu'un temps de restitution à l'issue du service. Mais tout ça doit être contenu dans les six semaines imparties, qui pourront être distribuées sur trois mois. "En trois mois, on leur demande d'acquérir des compétences en prévention ?, s'étonne Charles. Alors qu'en Ifsi*, pendant trois ans, on a des unités d'enseignements consacrées à la prévention. Si on veut développer quelque chose, on le fait sur trois ans ! Ces trois mois, c'est un pansement sur une jambe de bois", s'agace-t-il. Il pose aussi la question du suivi des actions sur le long terme. "En prévention, il faut un suivi des populations, un suivi des actions. Une action une fois par an, ce n'est pas très pertinent", ajoute Charles. Pourquoi ne pas avoir valorisé l'engagement associatif que pratiquent déjà de nombreux étudiants ?, s'interrogent plusieurs carabins. "Je suis secouriste à la Croix-Rouge, explique Hugo. Je n'ai pas attendu qu'on vienne me demander de participer à des actions de prévention. J'aime le faire, je le fais sur mon temps perso. Forcer des gens à faire quelque chose de bénévole, ça va faire des mécontents." "J'ai l'impression qu'on a pour but de nous placer dans des structures qui manquent de moyens, qui manquent de personnel. Sauf qu'on envoie des bleus, déplore Hugo. Et qui n'auront pas forcément envie d'être là, et qui vont sentir l'arnaque s'il n'y a pas d'encadrement ou de suivi." Même sentiment du côté du jeune infirmier : "J'ai peur que l'intérêt soit plus politique que pédagogique". *Institut de formation en soins infirmiers
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