Gliomes : vers un dépistage systématique des 20-40 ans ?

21/02/2017 Par Marielle Ammouche

Pour certains experts, un dépistage par une IRM décennale chez les sujets de 20 à 40 ans - une première en neuro-oncologie - serait faisable, efficace et rentable.

Le premier pas vers la neurochirurgie oncologique préventive est peut-être pour demain. Plusieurs neurologues et neurochirurgiens considèrent en effet qu’une politique de dépistage des gliomes est devenue légitime en raison de l’amélioration des connaissances sur l’histoire naturelle de ces tumeurs, et des progrès thérapeutiques importants réalisés au cours de ces dernières années. Ils ont récemment présenté leurs conclusions à l‘Académie nationale de médecine. Les gliomes sont les tumeurs cérébrales primitives les plus fréquentes, avec une incidence de l’ordre de 7,5/100 000 habitants par an. Elles sont réparties en gliomes de haut grade, qui représentent la majorité des tumeurs gliales, et les gliomes diffus de bas grade (Gdbg), dont l’incidence est d'approximativement 1/100 000 habitants par an, et la prévalence de 4/10 000 dans la population générale. Ces tumeurs gliales engagent les pronostics fonctionnels puis vital de façon inéluctable. Les experts se sont intéressés aux Gdbg car ces tumeurs ont une évolution particulière. Elles sont en effet initialement lentement évolutives, et vont inéluctablement évoluer vers une transformation maligne, mettant alors en jeu les pronostics fonctionnel puis vital des patients. En outre, elles sont le plus souvent diagnostiquées chez des patients jeunes, qui mènent une vie active, lors d'une IRM effectuée en raison d'une crise d'épilepsie inaugurale. Mais de plus en plus, elles sont découvertes de façon fortuite, au cours d’une imagerie réalisée pour un traumatisme crânien ou une raison indépendante de la tumeur. On parle alors de gliomes incidentaux. Pour Emmanuel Mandonnet (hôpital Lariboisière, Paris), Luc Taillandier (CHU Nancy) et Hugues Duffau (CHU Montpellier), ces tumeurs "asymptomatiques" ne sont pas sans conséquences : "Une idée reçue est qu'un gliome silencieux ne retentit d’aucune manière sur le fonctionnement cérébral des patients". En réalité, une étude récente a montré que deux tiers des patients considérés comme asymptomatiques rapportaient déjà une plainte subjective (fatigue dans 40% des cas et difficultés attentionnelles dans 33% des cas). En outre, les fonctions neurocognitives étaient altérées de façon modérée, mais objective chez 60% des patients, avec un déficit des fonctions exécutives dans 53% des cas, de la mémoire de travail dans 20% des cas et de l'attention dans 6% des cas (Acta Neurochir (Wien). 2016;158:305-12). Même si son évolution est lente, l’histoire naturelle des Gdbg va vers un grossissement. Ainsi, "tout Gdbg grossit, avec une pente de courbe de croissance de l'ordre de 3,5 à 4 mm de diamètre moyen par an, qu'il s'agisse d'une tumeur symptomatique ou d'un incidentalome", affirment les trois spécialistes. Et la tumeur va progresser en infiltrant les fibres blanches, générant un déficit neurocognitif de plus en plus invalidant et une épilepsie. Une série du réseau français des gliomes a ainsi montré que sur 47 patients porteurs d'un Gdbg de découverte fortuite, ces tumeurs devenaient symptomatiques dans un délai médian de 48 mois à la suite du diagnostic radiologique. "De tels symptômes signifient alors que les mécanismes de neuroplasticité sont dépassés, le plus souvent du fait d'une altération de la connectivité sous-corticale, vu que le potentiel de réorganisation fonctionnelle est significativement plus faible au niveau de la substance blanche par rapport au cortex, expliquent les experts. En pratique, une intervention chirurgicale deviendra donc plus complexe à réaliser à ce stade-là que plus précocement, lorsque la limite de la plasticité n'a pas encore été atteinte." En outre, le Gdbg peut se transformer en gliome de haut grade (gliome anaplasique mais aussi glioblastome), et ce sans symptôme neurologique préalable. Dans une série chirurgicale de Gdbg fortuits (J Clin Oncol. 2012;30:2559-65), l'examen histologique a retrouvé un foyer en cours de transformation maligne dans 27% des cas.

Obtenir une résection supratotale et limiter les risques opératoires

L’idée d’une prise en charge la plus précoce possible, et donc d’un dépistage, est légitimée par les progrès chirurgicaux qui ont été réalisés dans ce domaine. Si longtemps l’attitude thérapeutique a consisté en une surveillance rapprochée par crainte des effets secondaires de la chirurgie, cela n’est plus le cas aujourd’hui. Il est ainsi actuellement clairement établi qu’une exérèse chirurgicale précoce permet de limiter et retarder les risques de transformation maligne, et augmente la survie. La médiane de survie est ainsi passée de 6-7 ans avec une simple biopsie initiale à 13-15 ans lors de résection précoce. L’impact est d’autant plus important que l’intervention est précoce chez un patient asymptomatique, que la tumeur est petite et la résection large. L’objectif est de pouvoir réaliser une résection "supratotale", consistant à prendre une marge de sécurité de 1 à 2 cm autour de l'hypersignal Flair visible sur l'IRM pré-opératoire.  Le dépistage apparaît donc comme la meilleure situation pour optimiser la prise en charge des Gdbg : "d'un point de vue oncologique, un dépistage systématique permettrait d'arriver plus tôt dans l'histoire naturelle de la pathologie, avant toute transformation maligne, permettant ainsi une qualité d'exérèse maximisée sur des Gdbg plus petits n'envahissant pas encore les circuits neuraux cruciaux pour les fonctions cérébrales", ont affirmé les trois experts devant les académiciens. Dans une série chirurgicale récente de 21 patients opérés d'un Gdbg de découverte fortuite, aucun patient n'était décédé avec un suivi médian de 49 mois (allant de 20 à 181 mois) (J Neurosurg. 2015; 122:1397-1405).

En outre, le développement des méthodes de cartographie individuelle, effectuées sur des patients opérés éveillés, a permis une chute significative du taux de déficits permanents sévères. Ainsi, dans une étude française portant sur 374 chirurgies éveillées effectuées entre 2009 et 2014 (dont 86% de GDBG), le taux de déficit invalidant permanent était nul (World Neurosurg. 2015;84:1838-44). Ceci est possible grâce au phénomène de plasticité cérébrale : du fait de l’évolution lente de la maladie, tout au moins au début, le cerveau peut se réorganiser au fur et à mesure de la progression tumorale. Ceci explique pourquoi les symptômes neurologiques sont inexistants ou mineurs pendant de nombreuses années. "Un dépistage systématique des Gdbg permettrait in fine une meilleure préservation de la qualité de vie des patients en rendant possible une chirurgie plus fiable sur cerveau n'ayant pas encore atteint ses limites de réorganisation fonctionnelle", ajoutent les experts.

Les conditions pour un dépistage organisé sont remplies

Cette idée d’un dépistage est apparue d’autant plus légitime aux yeux des spécialistes que les conditions nécessaires à sa réalisation sont remplies. Ainsi, ils écartent un risque de surtraitement par le fait que les données épidémiologiques confirment la gravité de la tumeur : "sur la base de données épidémiologiques récentes, nous avons montré qu'après une période initiale de 4 ans à la suite du diagnostic, le risque de mourir du Gdbg était supérieur au risque de mourir d'une autre cause - ce risque lié au Gdbg se majorant ensuite nettement au cours du temps (Cancer. 2014;120:1758-62)", expliquent E. Mandonnet, L. Taillandier et H. Duffau. Ensuite, ce type de dépistage présente une bonne acceptabilité de la population cible, de l’ordre de 66% dans une étude de 2016 réalisée chez 520 étudiants parisiens, un pourcentage similaire à celui retrouvé en Allemagne dans une étude sur 2176 participants. Enfin, les auteurs de cette communication considèrent que ce dépistage serait rentable. Ils ont pris en compte la prévalence de la maladie (4/10 000), évalué le coût du dépistage par IRM (150 dollars par examen, soit 1 500 000 dollars pour dépister 4 patients), la "valeur" en productivité d’une personne active (estimée à 120 000 dollars par an). Et ils ont ainsi calculé que "le coût d’un tel dépistage serait compensé si un traitement précoce permettait au patient de vivre au moins 3 ans supplémentaires avec une vie socioprofessionnelle active". "Les aspects financiers ne devraient donc pas représenter un obstacle à un tel programme national", concluent-ils.

Une IRM tous les 10 ans

E. Mandonnet, L. Taillandier et H. Duffau proposent de dépister les sujets de 20 à 40 ans avec une IRM effectuée tous les 10 ans. Il s’agirait de réaliser une simple séquence Flair sur une IRM à 3 teslas, avec des coupes de 2-3 mm d'épaisseur, sans injection de produit de contraste (donc examen totalement non-invasif). En considérant l’effectif d’une classe d’âge en France, cela reviendrait à proposer une IRM à 750 000 participants, soit in fine approximativement 500 000 participants qui bénéficieraient de l'examen (si l'on tient compte d'un taux d'acceptation de 66%). "Il faudrait un total de 45 machines pour dépister les 500 000 participants", calculent les spécialistes. "Le facteur limitant ne serait pas tant l'accès aux machines IRM, mais aux ressources humaines, car ce projet demanderait un nombre trop important de neuroradiologues investis à plein temps pour interpréter l'ensemble des imageries - à savoir 150 médecins spécialisés. C'est la raison pour laquelle le but serait d'utiliser un logiciel de détection automatique des anomalies IRM, en privilégiant la sensibilité de l'algorithme, afin de ne passer à côté d'aucune lésion", ajoutent-ils. Des études pilotes de dépistage ont déjà eu lieu aux Pays-Bas, en Norvège, et en Allemagne, sur un total de près de 9000 participants, qui montrent la faisabilité d’un tel programme. "Offrir pour la première fois un tel choix à chacun dans la population générale permettrait d’évoluer vers une séquence thérapeutique commençant par une neurochirurgie oncologique fonctionnelle préventive", concluent les auteurs de cette communication.

 
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