Egora : La littérature médicale associe aujourd’hui la fécondation in vitro (FIV) à un risque d’accouchement prématuré, de petits poids de naissance, de « birth defect » (anomalies congénitales, malformations…) voire d’HTA gravidique, de prééclampsie ou encore de diabète gestationnel. Les facteurs de risque de cette morbi-mortalité maternelle / néonatale sont-ils tous identifiés ? Pr Pierre-Emmanuel Bouet : En effet, beaucoup de méta-analyses ont été faites sur le sujet. Malgré elle, l’AMP revêt toutes les caractéristiques du coupable idéal à première vue mais en réalité, l’interprétation des résultats est délicate dans la mesure où il est difficile d’étudier un facteur isolément et que de nombreux éléments confondants peuvent fausser les conclusions. En effet, les risques supplémentaires engendrés par l’AMP sont-ils directement liés aux caractéristiques des patients ayant recours à l’AMP (patients âgés, infertiles, gamétogénèse déficiente), aux traitements donnés (hyperstimulation ovarienne) ou encore aux conditions techniques employées en AMP (technique de fécondation, culture gamétique et embryonnaire, congélation embryonnaire) ? De manière générale, les résultats sont contradictoires en fonction des cohortes. Enfin, le point d’alarme majeur était les grossesses gémellaires qui sont un facteur de risque très important. On a réussi à adapter nos pratiques en admettant qu’on était trop pourvoyeur de grossesses multiples avec toutes les complications qu’elles engendrent. Elles sont bien mieux régulées aujourd’hui en recourant notamment à des transferts d’embryon unique de façon récurrente. Une méthodologie d’étude finalement inadéquate selon vous ? Oui en effet, dans ce domaine, la plupart des études comparent ce qui n’est pas comparable. Pour évaluer les effets réels de la FIV, il faut avoir un design en « sibling-ship », c’est à dire inclure des couples qui ont eu au moins 2 enfants dont l’un spontanément et l’autre par FIV (même père, même mère). Des singletons à chaque fois et comparer les grossesses et enfants spontanés aux grossesses et enfants issus de FIV. Une première étude avec ce design ne montrait pas de différence en termes de petits poids de naissance, de poids de naissance global et d’accouchement prématuré (1) alors qu’une autre démontrait plus de petits poids de naissance et d’accouchements avant 37 SA dans le groupe FIV-ICSI (2). Le « sibling-ship » seul comporte quelques limites puisqu’il est démontré que le 2ème enfant est souvent de poids supérieur au premier. Et ce design n’élimine pas l’effet que pourrait avoir l’origine de l’hypofertilité. Il y a donc un intérêt majeur d’y associer de « l’intersibling » avec 4 groupes de couples : NC1-NC2 (natural conception - groupe contrôle), NC1-FIV2, FIV1-FIV2, FIV1-NC2. On compare ainé /ainé puis cadet /cadet. L’étude de Seggers (3) a démontré que ni l’approche « intersibling » ni la « sibling-ship » ne retrouvait d’effet indésirable de la FIV en elle-même. Les résultats sont donc rassurants sur la sécurité des traitements en AMP et s’il y a un effet, il est encore une fois multifactoriel comprenant à la fois les techniques utilisées mais aussi les caractéristiques maternelles et du couple (étiologie de l’infertilité notamment). S’agissant des malformations cardiaques congénitales, une échographie cardiaque fœtale devrait-elle être systématiquement mise en place en cas de grossesse issue de FIV ? La méta-analyse Giorgione et al. (4) portant sur 6 études de cohorte a effectivement démontré que les fœtus conçus par FIV étaient plus à risque de développer une anomalie congénitale cardiaque. Elle comparait 25.000 enfants issus de FIV-ICSI vs 290.000 conçus spontanément (singleton et multiples). Le taux de malformations cardiaques était de 1,3% dans le groupe FIV contre 0,7% pour les grossesses spontanées. Mais à mon sens, il faut attendre d’avoir plus de résultats d’études. Même si en pratique un comité de surveillance national s’est mis en place pour évaluer cela, la prévalence de ces malformations cardiaques reste rare pour le moment et la systémisation d’un dépistage spécifique réalisé par un échographiste de référence expert en pathologies cardiaques fœtales n’est pas nécessaire aujourd’hui. Si on s’apercevait à l’avenir que la prévalence augmentait, il serait alors justifié de proposer une échographie de référence cardiaque fœtale. Enfin, comment expliquer l’augmentation de dyschromosomies chez les enfants issus d’AMP ? Plusieurs pistes se doivent d’être explorées. Des excès d’anomalies chromosomiques structurelles sont retrouvés chez certains couples infertiles, donc on peut imaginer un risque de transmission. Mais nous avons désormais la possibilité de diminuer ce risque avec le diagnostic préimplantatoire. Il y a d’autre part un probable impact épigénétique des traitements ou des techniques (ICSI). Quelques cas évoquant un effet sur l’empreinte génétique ou l’expression génique (suppression de la méthylation de l’ADN, stress oxydatif) ont été rapportés. La période périconceptionnelle (gamétogenèse, fécondation et développement embryonnaire préimplantatoire) est physiologiquement soumise à une reprogrammation épigénétique intense, ce qui peut renforcer l’hypothèse d’un risque de dérégulation épigénétique en contexte d’AMP. Au sein de ces pathologies, on retrouverait en particulier les syndromes de Beckwith-Wiedemann, Russell-Silver, Angelman et Prader-Willi. (1) Romundstad LB et al. Lancet 2008 ; (2) Henningsen AK et al. Fertil Steril 2011 (3) Seggers J et al. Fertil Steril 2015 (4) Girogione V. et al. Ultrasound Obstet Gynecol 2018(5) Romundstad LB et al. Lancet 2008 ; (6) Henningsen AK et al. Fertil Steril 2011 (7) Seggers J et al. Fertil Steril 2015 (8) Girogione V. et al. Ultrasound Obstet Gynecol 2018 *Le Pr Bouet déclare n’avoir aucun lien d’intérêt
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