Asco 2022 : que faut-il retenir de la grand-messe annuelle de cancérologie ?

14/06/2022 Par Marielle Ammouche
Cancérologie
Cette année encore, le congrès de l’American society of clinical oncology (Asco), qui s’est déroulé à Chicago du 2 au 6 juin, a été riche en nouvelles molécules et nouvelles études dites "transformantes", c’est-à-dire à même de changer les standards thérapeutiques actuellement utilisés. Les nouveautés concernent particulièrement les cancers du sein, avec des essais prometteurs dans de nombreux profils tumoraux, et les cancers digestifs. On parle aussi beaucoup de nouvelles stratégies dites "agnostiques" ou "pan-tumorales", fondées sur des traitements donnés en fonction d’une anomalie génétique, indépendamment de la localisation de la tumeur.  

 

Cancers du sein : études Destiny, Tropics-2 et patritumab 

Ainsi, parmi les études phares de cette édition 2022 figure, en premier lieu, Destiny-Breast 04. Cette étude a évalué le trastuzumab deruxtecan (Enhertu, laboratoire Daiichi Sankyo et AstraZeneca) dans le cancer du sein métastatique/non résécable, dans une nouvelle population de patientes. Cet anticorps conjugué à un cytotoxique ciblant HER2 constitue, en effet, le standard thérapeutique des premières lignes de traitements des cancers du sein avec amplification du gène HER2. Or, "dans les premières phases de développement du trastuzumab deruxtecan, il avait été objectivé des réponses chez des patientes ayant une expression faible voire très faible de la protéine, indépendamment même d’une anomalie du gène. Cela a justifié des essais prospectifs de plus grande taille", a expliqué le Dr Esma Saada-Bouzid, oncologue médical au Centre Antoine Lacassagne de Nice, lors d’un point presse d’Unicancer, le 7 juin. Cette constatation est d’autant plus importante qu’environ la moitié des patientes présentent une faible expression de HER2. 

C’est la phase 3 randomisée qui a été présentée à l’Asco. Elle a inclu 557 patientes ayant un cancer du sein avec une expression faible du récepteur HER2 (et dont 494 avaient des récepteurs hormonaux). Dans ce sous-groupe principal, le trastuzumab (en association à la chimiothérapie) a entrainé un doublement de la médiane de survie sans progression qui est passée de 5,4 à 10,1 mois, et un allongement significatif de la médiane de survie globale, de 17,5 à 23,9 mois, par rapport au traitement conventionnel (chimiothérapie seule). Ces gains ont par ailleurs été confirmés dans la population globale. "Et la bonne surprise est que dans le sous-groupe de patientes sans récepteurs hormonaux (patientes triple négatives, de mauvais pronostic), on a un gain de la même amplitude, même si les chiffres sont un peu inférieurs. Elles pourront bénéficier de cette molécule", ajoute le Dr Saada-Bouzid. 

Ce traitement présente cependant des effets secondaires non négligeables, à type de vomissements, de cytopénies, mais aussi des pneumopathies interstitielles (12%), pouvant nécessiter une hospitalisation, et ayant conduit au décès de deux patientes dans l’étude. "Malgré tout, c’est clairement un changement du standard pour l’une des tumeurs les plus fréquentes", résume la spécialiste. 

Toujours dans le cancer du sein métastatique, Tropics-2 est une autre étude évaluant un anticorps conjugué à un cytotoxique, le sacituzumab govitecan (Trodelvy, laboratoire Gilead) pour les patientes avec récepteurs hormonaux et n’exprimant pas HER2. Dans cet essai sur plus de 700 patientes, ce traitement a apporté une amélioration de la survie sans progression de 34%.  

Et chez les patientes ayant un cancer du sein métastatique surexprimant HER3, l’anticorps patritumab conjugué au darixtucan (laboratoire Daiichi Sankyo) a montré des signes d’activité. Il est apparu aussi prometteur dans le cancer du poumon. "Les cibles se multiplient et les anticorps auxquels sont fixés ces molécules cytotoxiques se développent à grande vitesse", déclare le Pr Jean-Yves Blay, président d'Unicancer. "De nouvelles classes thérapeutiques arrivent rapidement et vont être transformantes au-delà du cancer du sein."  

 

Cancers rectocoliques : Paradigm, biopsie liquide, dostarlimab 

Autre étude marquante, Paradigm (étude japonaise sur 823 patients) dans le cancer du côlon métastatique non muté K-RAS. Dans cette situation, la stratégie n’était pas clairement prouvée. Paradigm a comparé le panitumumab (Vectibix, laboratoireTakeda), un anticorps anti REGF associé à une chimiothérapie par Folforinox versus bevacizumab, un anticorps anti VEGF (plus Folforinox) en première ligne de traitement chez des patients atteints d’un cancer colorectal métastatique RAS non muté. Les résultats présentés en session plénière ont objectivé une diminution du risque de décès de 28% dans le sous-groupe majoritaire des patients atteints de cancer du côlon gauche, et qui s’est confirmée sur l’ensemble de la population étudiée (26% dans la population totale).  

Dans ce domaine du cancer colique, une autre étude, présentée en session orale, a mis en évidence l’intérêt de la biopsie liquide (évaluation de l’ADN tumoral circulant). Les patients avaient tous été opérés d’un adénocarcinome colique de stade 2 avant d’être randomisés en : bras expérimental (302 patients) qui tenait compte de la valeur de l’ADN circulant, et bras standard (153 patients). Dans le bras expérimental, 2 biopsies liquides étaient réalisées à 2 et 4 semaines. Si l’une d’elles était positive, une chimiothérapie était réalisée ; sinon, une simple surveillance était mise en place. Dans le bras standard, la chimiothérapie était proposée sur critère anatomo-clinique de haut risque de récidive. Le critère principal était la survie sans rechute à 2 ans. Les résultats ont été en faveur de la biopsie liquide : "Le fait d’effectuer une biopsie liquide a divisé par 2 l’indication de faire une chimiothérapie adjuvante", a détaillé le Dr Saada-Bouzid : 15% contre 28 dans le bras standard. En outre, malgré un temps d’initiation de la chimiothérapie allongé, il n’a pas été observé de différence en termes de survie sans rechute. "Les courbes sont strictement transposables après un recul de 37 mois " : 93% dans bras expérimental et 92 dans bas standard. Il s’agit d’une "étude à niveau de preuve extrêmement élevé, susceptible de changer les pratiques sous réserve que la biopsie liquide soit disponible", conclut l’oncologue.  

La cancer rectum est classiquement traité par radio-chimiothérapie et chirurgie. Mais la radiothérapie – ainsi que la chirurgie- sont pourvoyeuses d’une toxicité importante. Mais cette édition de l’Asco est porteuse d’un grand espoir dans ce domaine grâce...

aux résultats d’une étude, qui rapporte une très bonne efficacité d’une immunothérapie par un anticorps anti PD-1, le dostarlimab (Jemperli, laboratoire GSK). Déjà indiqué dans le cancer de l'endomètre, ce traitement a été testé chez des patients ayant un cancer rectal non métastaté particulier, dit MMRD, qui est caractérisé par une instabilité génétique dans les cellules tumorales. L’effectif est très restreint (14 patients), mais les résultats sont d’une telle ampleur, qu’ils méritent d’être soulignés, selon le Pr De Blay. En effet, tous les patients sont entrés en rémission au cours de l'essai clinique.  

Dans le cancer du pancréas aussi, le choses bougent. "On voit émerger des approches thérapeutiques prometteuses et notamment le ciblage d’une mutation du gène K-RAS (G-12D, majoritaire dans les cancers du pancréas), avec plusieurs approches de type tyrosine kinase mais aussi des approches d’immunothérapies cellulaire type vaccinothérapie ou CAR-T cells, avec des cas cliniques rapportés prometteurs", complète le Dr Esma Saada-Bouzid. 

Globalement, l’immunothérapie – ainsi que les thérapies cellulaires - ont fait l’objet de nombreuses présentations, avec en ligne de mire un élargissement des indications potentielles de l’immunothérapie aux tumeurs localisées. 

 

Traitements "tissu-agnostique" : Ragnar 

L’intérêt de cibler une mutation particulière est encore plus mis en avant à travers l’étude Ragnar. L’approche utilisée est celle dite "agnostique", qui repose non pas sur une localisation tumorale, mais sur des profils moléculaires. Ainsi, le traitement est attribué en fonction de l’altération génétique retrouvée et non du type de cancer. L’étude a ainsi évalué l’efficacité et la tolérance d’une nouvelle thérapie, l’erdafitinib (laboratoire Janssen), déjà utilisé dans les cancers de la vessie porteurs de mutations FGFR2 ou FGFR3. Elle a montré, pour la première fois, que cette molécule pourrait également apporter des bénéfices chez des patients atteints d’une vingtaine de cancers et tumeurs rares à un stade avancé présentant des mutations génétiques FGFR (1 à 4). 

Ragnar a inclus, pour le moment, 178 patients atteints de différentes tumeurs solides (rein, sein, glandes salivaires, pancréas, poumon, cancers gastriques, gliomes de bas ou haut grade, endomètre…), y-compris rares, porteurs d’une mutation ou fusion de l’un des gènes FGFR. Ils étaient à un stade avancé de la maladie et en échec de traitement. Les résultats intermédiaires ont montré un taux de réponse objective de 29%, et un taux de contrôle de la maladie de plus de 70%. "Un grand nombre de tumeurs peuvent être sensibles à ce médicament. C’est le cas des cholangiocarcinomes (8% de patients concernés), ou des tumeurs difficiles à traiter comme le cancer du pancréas, les tumeurs des glandes salivaires, les tumeurs d’origine inconnues, le cancer du sein, des gliomes de haut grade, cancers du poumon, cancers gastriques… avec une grande variété de réponses", précise le Dr Yohann Loriot (Institut Gustave Roussy et investigateur principal de l’étude).   

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