Un pôle d’expertise pluridisciplinaire pour combattre les cancers des femmes
La Pre Anne Vincent-Salomon est à la tête de l’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) des cancers des femmes, qui est opérationnel depuis juin 2024. Cette nouvelle structure s’attèle à la lutte contre les cancers des seins, ovaires, endomètres, col de l’utérus, vulve et vagin, et également les tumeurs rares que sont les sarcomes gynécologiques. Rencontre avec cette praticienne et chercheuse déterminée, qui prône l’innovation, la pluralité mais également le rassemblement des protagonistes d’un même combat.
Egora : Qu’est-ce qu’un institut hospitalo-universitaire (IHU) en règle générale, mais également le vôtre en particulier ?
Pre Anne Vincent-Salomon : Un IHU est un label d’excellence qui a pour objectif de rassembler autour d’une question médicale et scientifique toutes les expertises pour répondre à quatre missions : faire de la recherche, améliorer les soins, enseigner et innover. Il s’agit somme toute de créer de la valeur à la santé. Dans notre cas particulier, c’est l’hôpital de l‘institut Curie, à Paris et à Saint Cloud, avec le centre de recherche de l’institut Curie, l’Université Paris Sciences & Lettres et l’Inserm qui créent l’IHU Cancer des femmes.
Il y a 17 IHU au total en France, à Paris et en province. Trois d’entre eux concernent la cancérologie : l’IHU Thema du Pr Hugues de Thé autour des maladies hématologies, l’IHU Prisme du Pr Fabrice André au niveau pan-oncologique avec un accent sur l’approche des anomalies moléculaires. Nous sommes tous trois complémentaires, l’objectif est à terme de renforcer nos synergies.
Associer l’Institut Curie, l’Inserm, mais aussi l’université Paris Sciences & Lettres comme co-fondateurs de votre IHU : un sacré cocktail ! A première vue, des forces éparses non historiquement liées...
La pluridisciplinarité fait la particularité de cet IHU. Ce sont les médecins, les chercheurs, les infirmières et les patientes qui co-construisent l’IHU Cancer des femmes. Mais également l’université Paris Sciences & Lettres, qui regroupe l’Ecole Normale Supérieure, l’Université Dauphine, l’École des Mines, l’ESPCI, les écoles d’Art (Beaux-Arts de Paris, l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs … : en somme l’excellence universitaire. Pourquoi ? Parce que le nombre de femmes touchées par des cancers du sein ou gynécologiques sont terribles, et la pluridisciplinarité avec des spécialités qui n’ont pas eu l’habitude jusqu’à maintenant de se questionner sur le cancer pourra apporter un regard nouveau. On espère que l’innovation viendra de la multidisciplinarité, qu’elle sera porteuse de progrès et de résultats.
Comment est venue cette volonté de se tourner vers les cancers des femmes en particulier ?
Tout d’abord, il faut savoir que l’Institut Curie possède une immense expertise concernant les cancers des femmes, ce qui fait qu’on était légitime sur ce sujet. Ensuite, les cancers du sein et de l’endomètre ne cessent d’augmenter : 78 000 femmes par an ont un cancer dont 61 000 cancers du sein, 5 348 de l’ovaire, 8 400 de l’endomètre, et 3 159 du col utérin. La survie avec cancer augmente chez l’homme plus qu’elle n’augmente chez la femme. Diminuer le nombre de décès liés aux cancers du sein métastatiques et aux cancers gynécologiques est un enjeu de taille.
Notre ambition est d’être le centre national de référence dédié aux cancers des femmes et d’enclencher une véritable dynamique au-delà même de notre IHU. On souhaite par exemple lutter contre les cancers associés aux HPV qui sont évitables, et pour cela travailler avec des associations de patientes, Unicancer et l’Institut National du Cancer (Inca), afin de promulguer la vaccination contre le HPV.
Comment est construit votre projet de recherche et quelles sont les pistes explorées dans les années à venir ?
Notre projet de recherche comprend huit groupes de travail s’intéressant à plusieurs thématiques de la recherche fondamentale aux parcours de soin des femmes jeunes ou âgées. Pour n’en citer que quelques-uns réalisant des actions structurantes, nous créons le Women’s Cancer Atlas. Il s’agit d’un atlas recensant des données multimodales : à la fois cliniques, d’imagerie, de pathologie, de génomique et des analyses scientifiques en cellules uniques. Ces dernières sont colligées afin de donner de la matière à tous les chercheurs qui ont construit le projet avec nous. On va ainsi essayer de mieux comprendre la carcinogenèse des tumeurs gynécologiques, de trouver de nouveaux outils pour diagnostiquer et dépister plus précocement la maladie et les rechutes.
Une autre action structurante est le Women’s Living Lab, un incubateur d’idées co-construit avec les chercheurs, les étudiants, les soignants, les patientes et les associations de patientes afin d’innover sur des objets du soin quotidien, et la volonté d’ajuster les parcours de soins, notamment pour les femmes très jeunes, très âgées ou qui travaillent.
L’IHU du Cancer des femmes, ce sont des projets ambitieux qui vont des analyses biologiques de l’infiniment petit à une prise en charge holistique de la patiente.
Est-ce que votre IHU a également dans ses objectifs de simplifier la complexe discipline oncologique auprès des médecins généralistes ?
C’est effectivement pour nous un véritable sujet. Nous souhaitons faciliter le travail des médecins généralistes en créant de l’information ajustée à leur pratique à propos des cancers des femmes : l’évolution des classifications, quels sont les symptômes d’alerte diagnostique, quels sont les traitements actuels. De plus en plus de traitements se réalisent par voie orale et les médecins traitants jouent alors un rôle majeur dans l’observance car ils sont à proximité des patients.
On aimerait également monter des cours post universitaires pour les internes de médecine générale sur les cancers des femmes.
C’est très important pour nous de démystifier l’oncologie auprès des médecins traitants car ce sont également les premiers garants de la médecine préventive. Or, il y a par exemple 8 000 cancers des seins par an chez la femme associés à l’alcool. Si la campagne anti-alcool va faire partie de notre action, il est bon que les médecins généralistes soient de fidèles alliés pour la perpétuer également. De même, leur rôle est central pour promouvoir la vaccination anti-HPV des jeunes pour réellement éviter les cancers liés aux HPV gynécologiques, mais aussi de la sphère ORL et du canal anal.
La Pre Salomon déclare avoir une participation financière dans le capital des entreprises IBEX Medical Analytics et Primaa, avoir participé à des interventions ou avoir été prise en charge lors de déplacements, avec : Daichii-Sankyo, Roche, MSD, Astra-Zeneca, Ibex Medical Analytics, MSD
Références :
Entretien avec la Pre Anne Vincent-Salomon, médecin pathologiste depuis 1993 à l’Institut Curie à Paris et titulaire d’une thèse de doctorat en sciences en génétique cellulaire et moléculaire en oncologie
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