Incontinence urinaire : les bandelettes sous-urétrales en sursis ?
Mises en accusation par des patientes très douloureuses après opération, les bandelettes sous-urétrales pour incontinence urinaire sont dans une mauvaise passe. Au grand dam des urologues, qui ont souligné l’efficacité de ces dispositifs lors du 118e Congrès français d’urologie.
Les bandelettes sous-urétrales, dispositifs implantables utilisés contre l’incontinence urinaire d’effort, vivent-elles leurs derniers jours ? En cause, la médiatisation de patientes souffrant de vives douleurs plusieurs années après l’opération, dénonçant une errance médicale. Parmi ces "ameshées" (contraction de "mesh", "treillis chirurgicaux" en anglais, et d’"amochées"), 113 ont, à ce jour, porté plainte contre X pour tromperie et blessures involontaires, selon l’association Balance ta bandelette.
Conséquence : la confiance des femmes atteintes d’incontinence urinaire envers les bandelettes sous-urétrales semble s’être largement érodée, du fait de la médiatisation des "ameshées" mais aussi des révélations en 2018 des Implant Files, qui ont montré les insuffisances de la réglementation en matière d’implants médicaux. Selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), les ventes ont diminué de près de moitié entre 2017 et 2023, tandis que le nombre annuel de cas déclarés de matériovigilance est passé de 28 à 79 dans le même temps.
Du côté des urologues, la crainte est grande de voir prochainement disparaître ces implants synthétiques, solution des plus efficaces, selon eux, chez les patientes nécessitant une prise en charge chirurgicale. À la défiance croissante à l’égard de bandelettes sous-urétrales s’ajoute la réévaluation en cours de l’ensemble des produits actuellement sur le marché, qui oblige les fabricants à fournir des données de sécurité à deux ans post-implantation. Parmi eux, plusieurs ont déjà délaissé le marché français ces dernières années, soit par impossibilité de produire des données de sécurité qu’ils n’ont pas recueillies, soit par crainte de procédures judiciaires.
Problème de formation mais aussi d’indication
En vue d’une réinscription sur la liste des produits de santé financés au titre des produits d’hospitalisation – celle actuelle arrive à échéance le 31 janvier 2025 –, l’évaluation des dossiers est en cours auprès de la Haute Autorité de santé (HAS). Selon le Pr Christian Saussine, du service d’urologie du CHU de Strasbourg, "nous sommes dans l’attente de fin janvier. Si les fabricants obtiennent la possibilité de commercialiser, nous continuerons à utiliser ces dispositifs. Quand ils sont bien posés et suivis, qu’on prend bien en charge les complications, les résultats sont excellents. Mais cela peut être un cauchemar pour certaines patientes. Ce n’est pas la faute de la bandelette, c’est un problème d’évaluation des pratiques, de formation des chirurgiens."
Selon l’urologue strasbourgeois, "cette formation est assurée par notre association [l’AFU], mais elle n’est pas obligatoire. Dès lors, les 'moutons noirs' se soustraient aux formations et aux évaluations. Peut-être faut-il un système un peu plus contraignant ?" Selon la Pre Marie-Aimée Perrouin-Verbe, du service d’urologie du CHU de Nantes, "parmi les bandelettes sous-urétrales pour incontinence qu’on retire, notamment dans un contexte de douleur, la majorité sont mal positionnées. Mais au-delà de la formation des chirurgiens, il y a aussi parfois un problème d’indication : certaines patientes présentent des antécédents de douleur sur des implants, ou un historique de douleurs chroniques, de fibromyalgie. Chez ces patientes, il faut à tout prix limiter les nouvelles chirurgies avec implant, au risque d’aggraver les douleurs existantes."
En France, 2,7% de retraits à dix ans
En termes de complications, les données britanniques du National Health Service (NHS) indiquent un taux de 9,8% à cinq ans, tandis que celles nécessitant une reprise chirurgicale (dont une ablation complète ou partielle) se situent entre 2 et 3,5%. Idem en France, où des données du Programme de médicalisation des systèmes d’information indiquent un taux de retrait de 2,5% à cinq ans et de 2,7% à dix ans(1). En raison de la complexité de la prise en charge des complications, en particulier à distance de l’opération, la HAS a publié, en avril 2023, des recommandations afin d’homogénéiser les pratiques. De plus, une liste de centres experts habilités à traiter les complications graves est en cours de constitution, en vue d’un prochain arrêté.
Craignant la fin des bandelettes sous-urétrales pour incontinence, la communauté urologique défend, dans sa grande majorité, le maintien de celles du type TVT ("Tension-Free Vaginal Tape"), au détriment des TOT ("Trans-Obturator Tape"). Apparues en 1995, les TVT se posent par voie rétropubienne, nécessitant une cystoscopie afin de ne pas méconnaître une perforation vésicale. Un problème que les TOT, disponibles depuis 2001 et introduites par le trou obturateur, permettaient théoriquement de diminuer - évitant ainsi le recours au cystoscope.
TVT versus TOT ?
"La revue Cochrane publiée en 2017, qui fait référence(2), montre que les deux dispositifs peuvent être à l’origine de complications, explique Marie-Aimée Perrouin-Verbe. Mais ce ne sont pas les mêmes : en postopératoire, ce qui est la vraie problématique, les douleurs au niveau des muscles obturateurs, en racine de cuisse, sont quatre fois plus fréquentes avec les TOT. Et cette région anatomique est peu connue des urologues. Or un TVT peut être enlevé plus facilement qu’un TOT, et en totalité. L’ablation du TOT en totalité est plus compliquée, et certaines patientes demeurent douloureuses malgré le retrait complet du matériel."
"Si nous souhaitons garder la possibilité de pratiquer cette chirurgie très efficace, peu invasive par rapport à ce que nous faisions auparavant, peut-être faut-il se résoudre à 'sacrifier' le TOT, du moins à n’y recourir que dans quelques indications de niche ?", s’interroge l’urologue nantaise.
Alors que l’implantation de bandelettes est à la baisse, d’autres techniques (re)font surface. Parmi elles, la colposuspension, gold standard avant l’avènement des bandelettes sous-urétrales, dont le taux de succès est moindre que le TVT. Mise au point au début du XXe siècle, la pose de bandelettes autologues, prélevées à partir de l’aponévrose des muscles grands droits de l’abdomen ou du fascia lata (au niveau de la cuisse), pourrait être plus efficace que les bandelettes synthétiques, mais avec un risque accru de troubles de la vidange vésicale(3). Quant aux agents de comblement, injectés au niveau péri-urétral, les complications sont certes moins fréquentes, mais au prix d’une moindre efficacité(4).
- Laude M, et al. Progrès en urologie-FMC, novembre 2023.
- Ford AA, et al. Cochrane Database of Systematic Reviews, 31 juillet 2017.
- Brazzelli M, et al. Health Technology Assessment, mars 2019.
- Freitas AMI, et al. Journal of Urology, 1er septembre 2022.
Références :
118e Congrès français d’urologie (CFU), Paris, du 20 au 23 novembre. D’après les présentations des Prs Christian Saussine (Strasbourg) et Marie-Aimée Perrouin-Verbe (Nantes) et la conférence de presse de l’Association française d’urologie (20 novembre).
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